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EAN : 9791031904221
104 pages
L'Herne (07/02/2024)
3.58/5   20 notes
Résumé :
Qu'elle a été grande, la France ! De l'individualisme et du culte de la liberté pour lesquels, autrefois, elle avait versé son sang - elle n'a retenu, dans sa forme crépusculaire, que l'argent et le plaisir... Quand on ne croit à rien, les sens deviennent religion. Et l'estomac finalité. Le phénomène de la décadence est inséparable de la gastronomie... Depuis que la France a renié sa vocation, la manducation s'est élevée au rang de rituel. Les aliments remplacent le... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Je n'avais jamais lu Emil Cioran mais Sylvain Tesson le cite souvent et j'étais curieuse de découvrir l'un de ses écrits. Merci à Babelio et aux éditions de L'Herne de m'avoir permis de sauter le pas en m'envoyant cet essai !

"De la France" a été écrit dans un contexte particulier. L'auteur venait de s'installer définitivement à Paris, mais il écrivait encore en roumain. On sent l'admiration de l'auteur pour son pays d'adoption, mais il témoigne ici de ce qu'il appelle sa "décadence précipitée". le lecteur ne peut s'empêcher se demander quelle part a joué le contexte d'écriture de cet essai (rédigé en 1941) dans cette vision de la chute française.

Mais Cioran prend trop de recul et de hauteur pour que l'armistice de Rethondes (et ses conséquences) soit seule responsable de la chute française à ses yeux. Pour lui, c'est la civilisation dans son ensemble qui a perdu sa vivacité et son essence. Et il le regrette, tant il aime sa nouvelle patrie.
Que l'on soit d'accord ou non avec l'analyse de l'auteur, certaines réflexions font mouche encore aujourd'hui. Une lecture inspirante.
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« De la France » est la réédition -peut-être dispensable- par l'Herne, d'un livre de jeunesse de Cioran. Ce court essai a été écrit, en roumain, en 1941, alors que Cioran occupait (en fait n'occupait guère, préférant la fréquentation assidue des cafés) un vague poste diplomatique à l'ambassade de Roumanie auprès du gouvernement de Vichy.
La thèse centrale de l'ouvrage tient en une ligne : la France qui avait été un immense pays au XVIIIème siècle, éblouissant le monde par sa puissance et sa culture raffinée, est à présent une nation décadente ayant renoncé à toute grandeur au profit des petits égoïsmes individuels.

On le voit, tout cela n'est ni d'une perspicacité ni d'une originalité remarquables. Cioran, bien sûr, ne connaît alors qu'une seule France : celle défaite sans gloire en 1940, celle qu'il observe à Paris pendant l'occupation, celle de Pétain et Laval. Il ignore ou veut ignorer qu'il y a une autre France, en exil ou souterraine, qui tranche heureusement avec la médiocrité ambiante qu'il s'emploie à décrire. Passons.

Il faut cependant reconnaître que cet opuscule, bien qu'il ne nous épargne guère les clichés, est souvent écrit avec un esprit et un sens de la formule qui caractérisent déjà l'auteur. Au-delà des aphorismes amusants, dont le texte abonde, on peut même trouver, ça et là, quelques jugements qui n'ont rien perdu de leur pertinence et qui entrent étrangement en résonance avec notre époque.

A titre d'illustration : (à propos de l'Allemagne) « Un peuple de bon goût ne peut pas aimer le sublime, qui n'est que la préférence du mauvais goût porté au monumental » ; (à propos de la France) «De l'individualisme et  du culte de la liberté pour lesquels, autrefois, elle avait versé son sang, elle n'a retenu, dans sa forme crépusculaire, que l'argent et le plaisir » ou encore « Quand on ne croit à rien, les sens deviennent religion. Et l'estomac finalité » ; « Dans le monde de l'esprit, les vérités platement exprimées ne persistent pas, alors que les erreurs et les paradoxes enveloppés de charme et de doute s'installent dans la quasi-éternité des valeurs » ; « Une fois l'individu éveillé, la nation perd de sa substance, et lorsque tous s'éveillent, elle se décompose » ;  ; « Le monde slave s'élève, menaçant pour l'Europe en raison de son excès d'âme. La Russie en a trop. La France trop peu ». Et pour conclure, cette interrogation « L'Europe trouvera-t-elle une formule pour concilier la profonde débauche du Slave ou la dépravation théorique du Germain et la calligraphie intellectuelle de la France ? ». La question reste posée : « l'Europe de l'Atlantique à l'Oural », ça ne paraît pas gagné.

Au total, un petit ouvrage, certes souvent brillant, mais manquant singulièrement de profondeur. Un exercice de fascination/répulsion pour le pays qui accueille Cioran mais que celui-ci ne connaît encore que bien superficiellement.
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Emil Cioran est un intellectuel , philosophe et écrivain roumain qui s'installera en France à partir de 1941 , y résidera jusqu'à sa mort en 1995 et y publiera directement en français à partir de 1949 . Il s'inscrit dans une pensée nihiliste .

L'opération Masse Critique Non-Fiction , m'a permis de découvrir un écrit de jeunesse de Cioran , « de la France » rédigé en 1941 alors qu'il était attaché culturel à la légation roumaine auprès du régime de Vichy .

L'ouvrage qui oppose la France à d'autre nations européennes : Grande-Bretagne , Allemagne , Russie plus particulièrement , s'intéresse à ce que Cioran considère comme sa décadence . Il transpire du texte à la fois un sorte de mépris pour l'état d' une France arrivée à l'aboutissement de son destin et une admiration pour ce qu'elle a été .

Dotée , très tôt d'un espace géographique délimité et d'une existence de Nation centralisée , la France y est décrite comme une entité résolument tournée vers elle même , persuadée de sa grandeur et peu ouverte aux autres « civilisations » . Cioran la décrit et décrit ses artistes , ses penseurs comme incapables de passion et d'enthousiasme . Seule la période napoléonienne est citée en contre exemple . Cioran accorde peu d'importance à la Révolution Française et à ce qu'elle a engendré comme valeurs . La France serait une Nation au passé formellement parfait , esthétisante et réduite au paraître . Une Nation aux artistes élégants et mineurs au regard des Shakespeare, Dostoïevski et autres musiciens allemands . Même ses cathédrales sont en deçà du gothique allemand. Son apogée serait le XVIIIème siècle des salons .

J'ai senti dans le propos de Cioran une propension à la mélancolie personnelle alors qu'il reproche à la France d'être une nation vouée au «  cafard » à l'heure de son déclin .

L'ouvrage est intéressant en ce qu'il permet de percevoir le regard d'un intellectuel européen sur la France du milieu du XXème siècle et sur son histoire . Il ne faut pas perdre de vue que le texte a été rédigé à l'époque de la victoire des fascismes , sous le régime de Vichy par un diplomate roumain , alors que la Roumanie est proche de l'Allemagne et du nazisme .

Je ne connais pas assez Cioran pour savoir si ce texte entre en écho avec ses publications ultérieures . Par ailleurs j'ai été gênée par le parti-pris de considérer chaque Nation comme une entité , un organisme quasi-vivant et non pas la somme d'individus ayant leur libre arbitre .
Une rare évocation des individus concerne les militants communistes français que Cioran traite avec un certain mépris , de même la « populace » le « français moyen » ou le « petit bourgeois » .

Nous sommes en 1941 , l'engagement des résistants français jusqu'en 1945 et la reconstruction française après-guerre apportent bien des nuances sinon un démenti aux propos sceptiques et péremptoires de Cioran ,

Néanmoins la lecture de cet ouvrage est très instructive et amène à avoir un regard critique sur ce que sont notre « Roman National » et nos valeurs historiques . Court , il permet une seconde lecture qui le rend plus accessible et il faut sans doute accepter l'impression de malaise qu'il procure .
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Citations et extraits (34) Voir plus Ajouter une citation
Quand on ne croit à rien, les sens deviennent religion. Et l'estomac finalité. Le phénomène de la décadence est inséparable de la gastronomie. Un certain Romain, Gabius Apicius, qui parcourait les côtes de l'Afrique à la recherche des plus belles langoustes et qui, ne les trouvant nulle part à son goût, ne parvenait à s'établir en aucun endroit, est le symbole des folies culinaires qui s'instaurent en l'absence de croyances. Depuis que la France a renié sa vocation, la manducation s'est élevée au rang de rituel. Ce qui est révélateur, ce n'est pas le fait de manger, mais de méditer, de spéculer, de s'entretenir pendant des heures à ce sujet. La conscience de cette nécessité, le remplacement du besoin par la culture - comme en amour - est un signe d'affaiblissement de l'instinct et de l'attachement aux valeurs. (p.66)
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La poursuite insistante du bonheur, le goût pour la parade du paradis, la volonté d’étouffer le noyau amer du temps, du cœur sont les preuves d’une profonde fatigue. Dans le souhait de s’épuiser dans l’immédiat, il y a le renoncement à l’infini. Rien n’est plus gênant que de voir une nation qui a abusé — à juste titre — de l’attribut « grand » — grande nation, grande armée, la grandeur de la France — se dégrader dans le troupeau humain haletant après le bonheur. Elle était réellement grande quand elle ne le cherchait pas. Aucune guerre, aucune révolution, aucun monument et aucun acte d’exception ne se sont jamais réalisés sans la passion aventureuse pour les flagellations de l’adversité et sans cette influence de chance et de malchance couronnant les actes de gloire. « Le Français moyen », « le petit-bourgeois » : types honteux de circulation courante, qui ont fleuri sur les ruines des exploits du passé. Quelle ironie de la vie : le sacrifice des héros est suivi des fades délices du médiocre, comme si les idéaux ne jaillissaient de la gloire du sang que pour être piétinés par les doutes.
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Les Français ne peuvent plus mourir pour quoi que ce soit. Le scepticisme cérébral est devenu organique. L'absence d'avenir est la substance du présent. Le héros n'est plus concevable parce que personne n'est plus inconscient ni profond.
Une nation est créatrice tant que la vie n'est pas sa seule valeur, tant que ses valeurs sont ses critères. Croire dans la fiction de la liberté et mourir pour elle ; participer à une expédition pour la gloire ; considérer que le prestige de son pays est nécessaire à l'humanité ; substituer à cette dernière ce en quoi l'on croit, voilà les valeurs.
Tenir davantage à sa peau qu'à une idée ; penser avec l'estomac ; hésiter entre honneur et volupté ; croire que vivre est bien plus que tout, voilà la vie. Mais les Français n'aiment plus qu'elle, et ne vivent plus que par elle. Depuis longtemps, ils ne peuvent plus mourir. Ils l'ont trop souvent fait dans le passé. (p.43)
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Les gens ne semblent faits que pour se retrouver et parler. Le besoin de conversation provient du caractère acosmique de cette culture. Ni le monologue ni la méditation ne la définissent. Les Français sont nés pour parler et se sont formés pour discuter. Laissés seuls, ils baillent.
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Quand une civilisation entame-t-elle sa décadence ? Lorsque les individus commencent à prendre conscience ; lorsqu'ils ne veulent plus être victimes des idéaux, des croyances, de la collectivité. Une fois l'individu "éveillé", la nation perd sa substance, et lorsque tous s'éveillent, elle se décompose. Rien de plus dangereux que la volonté de ne pas être trompé. La lucidité collective est un signe de lassitude. Le drame de l'homme lucide devient le drame d'une nation. Chaque citoyen devient une petite exception, et ces exceptions accumulées constituent le déficit historique de la nation. (p.40)
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Vidéo de Emil Cioran
CHAPITRES : 0:00 - Titre
C : 0:06 - CRÉATION - Paul Bourget 0:17 - CRÉATION DE L'HOMME - Jean Dutourd 0:28 - CROIRE - Comte de Las Cases
D : 0:38 - DÉBAUCHE - Restif de la Bretonne 0:51 - DÉCEPTION - Fréron 1:04 - DÉLUGE - Jean-François Ducis 1:15 - DÉMOCRATE - Georges Clemenceau 1:26 - DERRIÈRE - Montaigne 1:36 - DOCTRINE - Édouard Herriot 1:46 - DOULEUR - Honoré de Balzac 1:58 - DOUTE - Henri Poincaré
E : 2:11 - ÉCHAFAUD - Émile Pontich 2:23 - ÉCOUTER - Rohan-Chabot 2:33 - ÉGALITÉ - Ernest Jaubert 2:43 - ÉGOCENTRISME - René Bruyez 3:00 - ÉGOÏSME - Comte d'Houdetot 3:10 - ÉLECTION - Yves Mirande 3:21 - ENFANT - Remy de Gourmont 3:33 - ENNUI - Emil Cioran 3:41 - ENSEIGNER - Jacques Cazotte 3:53 - ENTENTE - Gilbert Cesbron 4:05 - ENTERREMENT - Jean-Jacques Rousseau 4:14 - ÉPOUSE - André Maurois 4:37 - ÉPOUSER UNE FEMME - Maurice Blondel 4:48 - ESPOIR - Paul Valéry 4:57 - ESPRIT - Vicomte de Freissinet de Valady 5:07 - EXPÉRIENCE - Barbey d'Aurevilly
F : 5:18 - FATALITÉ - Anne-Marie Swetchine 5:27 - FIDÉLITÉ - Rivarol
5:41 - Générique
RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE : Jean Delacour, Tout l'esprit français, Paris, Albin Michel, 1974.
IMAGES D'ILLUSTRATION : Paul Bourget : https://en.wikipedia.org/wiki/Paul_Bourget#/media/File:Paul_Bourget_7.jpg Jean Dutourd : https://www.purepeople.com/media/jean-dutourd-est-mort-a-l-age-de-91_m544292 Comte de Las Cases : https://www.babelio.com/auteur/Emmanuel-de-Las-Cases/169833 Restif de la Bretonne : https://fr.wikiquote.org/wiki/Nicolas_Edme_Restif_de_La_Bretonne#/media/Fichier:NicolasRestifdeLaBretonne.jpg Fréron : https://www.musicologie.org/Biographies/f/freron_elie_catherine.html Jean-François Ducis : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-François_Ducis#/media/Fichier:Jean-François_Ducis_par_le_baron_Gérard.jpg Georges Clemenceau : https://www.lareorthe.fr/Georges-Clemenceau_a58.html Montaigne : https://www.walmart.ca/fr/ip/Michel-Eyquem-De-Montaigne-N-1533-1592-French-Essayist-And-Courtier-Line-Engraving-After-A-Painting-By-An-Unknown-16Th-Century-Artist-Poster-Print-18/1T9RWV8P5A9D Édouard Herriot : https://www.babelio.com/auteur/Edouard-Herriot/78775 Honoré de Balzac : https://www.hachettebnf.fr/sites/default/files/images/intervenants/000000000042_L_Honor%25E9_de_Balzac___%255Bphotographie_%255B...%255DAtelier_Nadar_btv1b53118945v.JPEG Henri Poincaré : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/b/be/Henri_Poincaré_-_Dernières_pensées%2C_1920_%28page_16_crop%29.jpg René Bruyez : https://aaslan.com/english/gallery/sculpture/Bruyez.html Yves Mirande : https://www.abebooks.com/photographs/Yves-MIRANDE-auteur-superviseur-film-CHANCE/31267933297/bd#&gid=1&pid=1 Remy de Gourmont : https://www.editionsdelherne.com/publication/cahier-gourmont/ Emil Cioran : https://www.penguin.com.au/books/the-trouble-with
+ Lire la suite
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