Premier commandement : « le film éponyme de
Stanley Kubrick tu oublieras. En lisant la préface de
Jacques Goimard – “Une odyssée formelle” – tu comprendras. »
2001, l'odyssée de l'espace de Kubrick est en effet essentiellement visuel, voire impressionniste, pour filer la métaphore picturale. Il n'explique rien : il nous laisse le soin de le faire ou, plus intelligemment, de ne pas le faire. le roman de Clarke et ses suites, c'est le contraire. Il donne à voir, certes, mais surtout : il invite à se représenter mentalement le futur qu'il propose.
Ceci étant dit, la présente édition de cette odyssée, aussi spatiale que spirituelle, se lit comme une naissance. D'abord avec deux nouvelles en forme de genèse du projet Odyssée : Rencontre à l'aube…(dont le dénouement a des allures de planète des singes, vous comprendrez !) et La Sentinelle (qui en dit long sur la délicatesse humaine, façon éléphant dans un magasin de porcelaine, vous comprendrez aussi !).
Ce qui frappe dans 2001, c'est son caractère tellement plausible, sauf quelques détails devenus obsolètes – telle la présence de l'URSS, disparue depuis plus de vingt ans. Si le film était une songerie, le roman est une réflexion approfondie sur l'évolution, à la fois organique et artificielle, à travers Hal, cet ordinateur (sur)doué d'une âme. Roman mystique lorsque l'on voit plus loin, 2001 est une ode à l'infini, dont nous ne sommes qu'une part négligeable.
Direction 2010, maintenant…
Premier écueil, et pas des moindres : on reprend l'histoire à partir du film. Ce n'est plus un satellite de Saturne mais de Jupiter qui occupe cette nouvelle expédition. Idem pour certains événements rétrospectifs : il est ainsi relaté que Bowman a tenté de sauver Poole. Dans le film, oui : pas dans le roman. Ceci rend la frontière entre le texte et l'image poreuse, et l'on s'en trouve un peu dérouté. 2010 est aussi un voyage qui dévoile le mystère, c'est-à-dire qu'il limite les débordements de notre imaginaire. Comme si l'auteur, en ayant parcouru précédemment l'au-delà de notre système et de notre entendement limité, avait besoin de retrouver des dimensions plus acceptables et d'expliquer l'inexplicable. Il reste des descriptions éminemment visuelles qui nous font toucher du bout des doigts ce que – à moins de faire connaissance avec un monolithe ! – nous ne connaîtrons pas…Notre lointaine descendance, quant à elle, apercevra peut-être la renaissance de « l'archange déchu », qui sait ?
Mais avant de partir en 2061– clin d'oeil à Kubrick ( ?), qui inséra lui aussi un intermède dans son film –, la présente édition nous offre une pause : le 20 juillet 2019 (Une journée dans la vie de la planète Terre). Bien sûr, pour nous qui entrons dans l'année 2015, cette vision n'est plus possible en l'état puisqu'il est question d'un futur immédiat qui, nous le savons, n'adviendra pas en ces termes. Cependant, des similitudes avec notre actuel monde sont indéniables, notamment pour ce qui concerne des avancées technologiques. Il s'agit là d'un texte collaboratif, écrit avec des spécialistes de divers domaines d'étude, ce qui explique son caractère très didactique.
On avait quitté 2010, qui s'achevait par une naissance astrale, et en entrant dans 2061, nous assistons à celle de la vie, plus viable que celles rencontrées par Bowman lors de ses précédents « voyages ». C'est une autre odyssée de l'évolution qui commence, en quête de ce que les semeurs de l'espace, responsables de cette gigantesque expérience, considèrent comme la plus importante valeur : l'esprit, autrement dit la conscience. A noter dans ce troisième volet la pénétration de l'espace par les puissances privées : les Etats n'en n'ont plus l'exclusivité, ce qui va dans le sens de notre présente évolution. Mais peut-on parler d'évolution ? C'est une autre histoire…On retrouve le professeur Floyd, régénéré grâce aux prodigieuses avancées de la médecine et qui connaîtra à son tour l'accomplissement de sa vie d'astronaute.
Enfin, 3001, dernière étape, raconte d'abord la résurrection de Poole, première victime de Hal, dont le corps dérivait depuis mille ans dans l'espace. Mais 3001 évoque quelque part l'immortalité de la conscience humaine, quels que soient ses balbutiements à l'échelle universelle. On peut aussi comprendre cette ultime étape comme une histoire de l'autodétermination humaine.
Conclusion : nous avons là une odyssée majeure de la S.F., avec toutefois une petite réserve s'agissant du titre. Il eût fallu, en effet, écrire : « 2001 et autres odyssées », car si les romans suivants forment un ensemble cohérent, le premier, né d'une rencontre entre deux imaginaires foisonnants, est, selon moi, une comète insaisissable et solitaire.
Plus généralement, il y a de l'utopie chez Clarke, mais une utopie à échelle astronomique. En sera-t-il ainsi ? La vie trouvera-t-elle toujours son chemin ? Oui, si les espèces ne se laissent pas dominer par une intelligence obscurantiste et/ou essentiellement mercantile, ne mesurant l'avenir qu'à l'aune d'idéologies et d'intérêts limités, sans réelle vision. Attendons de voir…
Il n'empêche, cette aventure spatiale en même temps qu'originelle est un testament positif adressé au futur et l'affirmation d'une réalité pas encore vérifiée : il est impossible que la vie n'ait essaimé que sur notre planète bleue !
Enfin, ces forces créatrices, que sont-elles vraiment ? Des extraterrestres ? D'accord, en apparence. Au-delà, qui organise cet universel programme ? Dieu, pourquoi pas ? Même si l'on peut chrétiennement objecter qu'Il n'intègre pas dans ses calculs créateurs la dimension darwiniste…à moins que ?
(Remerciements aux éditions Omnibus et à Babelio, via Masse critique)