AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9781095086377
Inculte éditions (04/01/2017)
3.83/5   21 notes
Résumé :
A travers la figure de l'aventurier et naturaliste russe Nikolaï Miklouho-Maclay, premier homme blanc à avoir vécu au contact des papous de Nouvelle-Guinée, Claro livre un nouveau roman dans lequel biographie et autobiographie se mêlent. Au terme de ces étonnants allers-retours Claro questionne la machine romanesque. Sous ses coups de boutoir, la figure de l'auteur vacille et tombe de son piédestal.
Que lire après Hors du charnier natalVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
« On entre dans un mort comme dans un moulin » écrivait Sartre, biographe de cet Idiot de la famille qu'était Flaubert. Pourtant quand il est question avec Claro d'un homme mystérieux comme Nicolaï Mikloukho-Maklai (1846-1888), proto-ethnologue des Papous, l'incarnation se complique. Se complique d'un mirage et d'un dédoublement.

Donc, croyez-moi, ne me croyez pas, peu importe, puisque toute vie racontée n'est qu'un violent processus de défiguration.

Quelle idiotie, quelle famille ? Les questions de Sartre sont épuisées, et ce qui aurait dû être le récit d'aventure « hors du charnier natal » n'est rien que la débâcle toute célinienne de l'aventure, du projet, pour l'écrivain comme pour son sujet.

Je le livre ainsi au lecteur, entre deux hontes bues. À ce dernier de s'en saisir et d'en faire, si bon lui semble, un personnage susceptible d'enrichir ses rêves préoccupés. Je ne suis ni le four ni le moulin.

Ni le four, ni le moulin. Au lecteur de fictionner, d'imaginer autrement à partir des traces, des odeurs, des images que produit la prose puissante de Claro. Ce mouvement est bien sûr celui qui hante la littérature depuis sa période moderne, celui qui brise le récit en mille morceaux où se reflètent tous les possibles. A cet égard, on mentionnera la très belle « Maison des épreuves » que Claro a justement traduit récemment, et l'appel du surréalisme de Breton contre la description romanesque, en faveur du récit poétique et de la vie réinventée :

Prends le temps, murmure en moi l'ersatz de narrateur soucieux de ne pas trop bâcler ce décor pourtant plus vite planté ici qu'un simple bulbe. Soigne, décore. Embaume ou aère. Décris l'âcre et peins l'amer. Aménage des marges. Coiffe des têtes. Fais tourner des têtes. Tranche les têtes. Pinaille. Protège. Vérifie les ourlets. Souligne l'horizon. Atténue les reliefs. Renforce les perspectives. Ici une pincée de joie. Là un soupçon d'inquiétude. Plisse les tentures. Rapproche les sièges. Commente sans commenter. Retape. Répare. Distille l'allusif. Insère une échappée."

Le livre pourrait se lire comme une psychobiographie, puisque nous alternons entre chapitre de confessions analytiques du narrateur en train d'écrire la biographie de Nicolaï Mikloukho-Maklai, et chapitre à la troisième personne restituant des bribes des tribulations de cet explorateur. Mais tous deux se rejoignent dans un psychonaufrage, sur une recherche désespérée de lignes de fuites « hors du charnier natal » (famille, patrie, identité), s'incarnant en deux direction opposées : l'un cherchant dans un ailleurs tropical sa destinée, l'autre, creusant jusqu'à l'os son intériorité par l'écriture. le livre nous livre au vertige de cette psychanalyse existentielle face à la mauvaise foi assumée et à la nausée de l'écriture (ce qui sauvait Roquentin, ce qui déporte ici le narrateur).

« Immobile en feu, ai-je écrit ailleurs, faute de mieux. Je n'écris pas pour me connaître. J'écris toujours, je crois, pour me déprendre. Me déprendre de quoi ? L'écriture, telle que je la conçois, me permet justement de ne pas m'attarder sur la nature indélicate de ce dont je me déprends, et qui est sans doute moi moins l'écriture. Stop ! Un instant ! Telle que je la conçois ?! Allons, nous n'en sommes plus là. C'est souvent l'écriture qui me conçoit, me déçoit et m'assoit, me pense et me dirige, me bouscule et m'égare, m'entrave et m'élance.

Partout l'ironie et la poésie s'insinue. Entreprise de "défiguration" disait Claro au départ, on peut y entendre quelque chose de Foucault dans cette volonté de disparaître : "Plus d'un, comme moi sans doute, écrivent pour n'avoir plus de visage. Ne me demandez pas qui je suis et ne me dites pas de rester le même : c'est une morale d'état-civil ; elle régit nos papiers. Qu'elle nous laisse libre quand il s'agit d'écrire." Je n'est pas un autre. La « revisitation » n'amène aucune illumination. La vraie vie n'est pas ailleurs, ni ici, d'ailleurs. Penser, écrire, est comme mouvement vers un dehors désoeuvrant (Blanchot), un ailleurs problématique (il faut écouter la conférence de François Jullien à cet égard).

L'incarnation dans l'écriture, le mouvement même d'écriture est ce qui reste, mais ne sauve pas, car tout se perd, tout fait naufrage. Même le miroir que Nicolaï Mikloukho-Maklai offrait à l'écrivain se fissure, un nid de frelons s'y niche, menace, le brise. On ne s'échappe pas malgré tous les exils, intérieurs ou extérieurs, malgré les voyages, l'écriture, la lecture, la drogue – « misérable miracle » selon Michaux.

« Décidément, l'être au bouillie, bouillie tiède, il ne tient pas la route, un désastre l'habite et le trémousse qui l'empêche de coaguler. S'il durcit, il se fendille aussitôt, puis éclate, se répand, se disperse. »

Alors Nicolaï Mikloukho-Maklai ? Sa destinée se perd pour nous dans le vague du lointain, des anecdotes, des lettres jamais reçues, histoire donc de fantôme :

« En nous, sachez-le, trépignent et s'agitent des êtres dont nous n'avons pas la moindre idée, car ils échappent aux idées, qu'ils mâchent et recrachent comme des abricots pas mûrs. Ces êtres n'ont ni corps ni esprit, ne sont ni pierre ni eau, ni bois ni feu – ce sont des fantômes, enfants de nos songes et mensonges, auxquels nous commettons l'imprudence de confier nos projets. »

« le récit ? plus de récit » écrivait Blanchot dans La folie du jour. Pourtant bien sûr une partie de nous continuera toujours de rêver à s'échapper du charnier natal, à retrouver du récit. Si Nicolaï Mikloukho-Maklai est appelé par les Papous « l'homme de la Lune » (kaaram-tamo), cette appellation ne peut que rappeler que cette même dénomination, "homme de la lune", est utilisée pour désigner le personnage principal, Axel Heyst, dans le ténébreux roman Victoire de Conrad. Même ratés ces conquérants continuent de fasciner.

Lien : https://lucienraphmaj.wordpr..
Commenter  J’apprécie          30
c'est un livre puissant que je vous présente aujourd'hui.

Déjà, regardez cette magnifique couverture. Les éditions Inculte savent mettre en valeur leurs livres.

Je l'avoue humblement, « hors du charnier natal » est le premier livre de Claro que je lis, malgré la production de l'auteur, qui n'en est pas à son coup d'essai.

Sans le savoir, j'avais lu des traductions du monsieur, notamment « waiting period » de Hubert Selby Jr. Mais aucun de ces livres à lui. Est-ce qu'une traduction est une oeuvre aussi ? Je serais tenté de dire oui, mais ne m'étant jamais frotté à l'exercice (pour cause, je ne parle aucune autre langue), je me garde de l'affirmer.

« Hors du charnier natal » est un livre qui secoue. Premièrement parce qu'il se distingue très largement de la production habituelle de livre présente sur mes tables de libraire.

Ensuite parce que, quelque soit le livre que l'on croit ouvrir, nous sommes percuté par une écriture exigeante et poétique qui nous entraîne ailleurs.

Pas de carte pour guider dans les contrés subtilement parcourues par l'auteur. Se laisser glisser, pas grand-chose d'autre à faire. Ou plutôt si. Car le livre exige du lecteur. Sans que celui ci sache bien quoi.

Sans repère, sans sol stable sous les pieds, au bord du cratère qui, on le sent, n'en a pas fini avec des prétentions éruptives.

Biographie, fiction, auto-fiction, essai littéraire, introspection ??? Les clés du langage, comme autant de manière de forcer les serrures de la littérature. le narrateur nous entraîne à une vitesse folle derrière Nicolaï Mikloukho-Maklai, ethnologue (l'est il seulement, lui qui ne finit aucune étude?), qui se perd en Nouvelle-Guinée, devenant divinité pour une tribu perplexe. Mais l'anthropophage n'est pas le « sauvage ». le narrateur seul éventre et écorche son sujet.

Mais de quel sujet s'agit il au juste. Cet ethnologue disparu, l'auteur lui même ? L'écriture ?

Le narrateur n'a de cesse durant le voyage de s'en prendre à lui même, au fait même d'écrire, moquant les « facilités » (les guillemets doivent en faire partie) qu'il s'autorise pour mieux s'en prendre à elles.

Et c'est un duel à trois qui se déplie (Deleuze, es tu là?) entre l'auteur, son sujet et l'écriture qui les maintient, contrains, en lien. L'autofiction prend le pas sur la biographie, puis inversement.

Clairement, je n'ai pas capté toutes les références présentes dans le livre, et si certaines me sont apparues, je suis bien conscient d'en avoir loupé plein.

« Hors du charnier natal » est le livre le plus compliqué que j'ai eu à chroniquer depuis la naissance de ce blog. J'ai aimé. Mais le verbe aimer est inadéquat.

J'y ai retrouvé ce qui m'avait bousculé chez William S. Burroughs, ce décorticage de la langue, la démonstration que la littérature peut être plus qu'un récit. La langue y est malaxée, la poésie y est âpre et revêche.

« Un livre ! J'aurais juré autrefois que cet objet pouvait passer, ombre aidant, pour un piédestal. Mais c'est là bien entendu une vision tout juste digne d'un benêt. Un livre n'est rien de plus qu'une trappe, située quelque part en soi. C'est aujourd'hui Nikolaï que j'y jette, mais il n'est pas sûr que ce soit lui qui s'y brisera les reins. »

Pour moi, une vrai découverte. J'ai hâte de relire Claro.
Lien : https://bonnesfeuillesetmauv..
Commenter  J’apprécie          40
Claro est de retour, et mon vieux mon vieux, mon petit minou. J'en ai pris plein l'inspiration, comme d'hab.

Lui aussi il s'inspire t'as vu ? de lui beaucoup, parce qu'à chaque fois à travers ses romans, en sale gosse qu'il est même à l'âge qu'il a, il parsème ses petits chapitres d'éléments autobiographiques que si toi t'avais décidé d'écrire tu serais entrain d'te toucher avec. Puis ensuite de la vie des autres, des trucs qu'il lit.

Un mec à qui tu dis bonjour quand il commande un demi quoi.

J'sais jamais comment définir Claro, comment le vendre. J'ai un truc qui me vient à l'esprit du genre Claro est à Céline ce que Jean Claude van Damme est aux films de karaté. Tu peux pas comprendre si t'en as jamais lu/vu.

J'sais même pas si le minou dont il écrit la vie dans ce roman a vraiment existé. Je m'en contrefous, Claro fait l'effet d'un carton d'acide arrosé de pinard qui tâche, le talent en plus et foutant un bordel monstre dans les règles de l'écriture.

Voilà quelqu'un qui réfléchit à l'avenir de la littérature, sortir du texte pour t'en balancer un direct en pleine face minou. Il distord le texte bordel, il le distord !

Si tu m'crois pas t'as qu'à lire CosmoZ, ou j'sais pas moi, Madman Bovary. Tu verras, c'est méga méga kiffant.

(genre le mec il a traduit Pynchon donc y'a du level alors dézo si je suis en pamoison devant le gus hein)

Hors du Charnier natal ça se lit vite, ça se comprend lentement, digestion difficile pour remise en déforme assurée !

Encore dézo si tu piges rien. J'ai pas pigé grand chose non plus. Mais mon vieux j'ai kiffé
Lien : https://www.instagram.com/lo..
Commenter  J’apprécie          15
Au coeur de la quête de l'autre en nous, le langage.

Sur mon blog : https://charybde2.wordpress.com/2017/01/06/note-de-lecture-hors-du-charnier-natal-claro/
Commenter  J’apprécie          40
Chronique complète ici : http://www.undernierlivre.net/hors-du-charnier-natal-claro/
Larves et imagos, oiseaux marins estropiés, éponges et coraux, fleurs jaillies du fumier [...] Dans ce Charnier natal, où les trappes ouvertes par l'écriture sont oubliettes et passages, les images, les associations d'idées incongrues et déroutantes, sourdent en une puissance taurine et délicate, dans ce double mouvement qui excave et élève, fidèle aux obsessions de l'écrivain immobile et en feu. [...]
Lien : http://www.undernierlivre.ne..
Commenter  J’apprécie          30


critiques presse (2)
Actualitte
03 août 2017
Comment d’ailleurs accède-t-on à soi, puisque je est un autre ? Un chemin de réponse peut se trouver dans Hors du charnier natal, roman discret de Claro, mais qui, j’en suis certain, restera.
Lire la critique sur le site : Actualitte
LeMonde
10 mars 2017
En racontant (peut-être) la vie de Nikolaï Mikloukho-Maklaï, ethnologue précurseur, l’écrivain démantèle (sûrement) le mécanisme de la fiction jusque dans ses moindres rouages.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (15) Voir plus Ajouter une citation
Le Grec me croit crétois et le Crétois me soupçonne athénien ; l'Arabe m'estime juif et le Juif m'imagine arabe ; à n'en pas douter, je deviendrais vite Danois honteux en Suède et Martien récalcitrant aux yeux d'un Vénusien. Si j'étais chien, les chacals me prendraient à tous les coups pour une hyène - il est vrai que mon rire les y inciterait. De même que je ressemble de plus en plus à mon père à mesure que je traverse la galerie des outrages par laquelle il lui a bien fallu transiter pour mériter d'imploser lentement, de même il est possible qu'un éternel métèque fasse le guet en moi, prêt à brouiller les cartes généalogiques, bien décidé à me rappeler, si besoin était, qu'un aïeul dut fauter quelque part en amont. Rastaquouère : c'est aussi une vocation.



Enfants, les petits culs-blancs de ma cité de banlieue n'hésitaient pas à me traiter de "bicot", un terme que je ne connaissais que trop, d'abord parce que c'est ainsi que s'appelait un de mes héros de bande dessinée d'alors (dont la sœur portait des chemisiers vaporeux...), ensuite parce que j'entendais souvent le mot expectoré par la bouche de mon grand-père paternel, pied-noir mal remis de son dernier voyage maritime, bien que ses poches eussent été encore bien remplies. Ainsi, je ressemblais donc à ceux-là mêmes qui avaient chassé ma famille d'Algérie ? Par quelle magie ? Les maîtres ont des secrets dont ils confient à leurs esclaves le soin de les transmettre à leurs fils, c'est bien connu. Mon grand-père vénérait la blondeur de sa première épouse ainsi que les Vénus graciles de Botticelli mais gardait visiblement rancune à tous ces "bicots" qui lui avaient construit puis "confisqué" sa demeure. Moi-même, je lui aurais bien confisqué ses biens, en plus de ses conseils édifiants, mais la caresse précède souvent les coups chez les êtres crédules dont j'étais. Adolescent, je devins la proie facile de la flicaille giscardienne qui, alors, semblait avoir élu domicile dans les couloirs du métro et trouvait déplaisant que je réponde à leurs questions par des imparfaits du subjonctif.



Je pourrais, certes, trouver un certain plaisir, voire un vague réconfort, dans cette imposture involontaire, dans la mesure où toute imposture se double d'un précieux sentiment de puissance. Après tout, n'est-il pas judicieux d'avancer masqué en plus d'une circonstance ? Écrire, n'est-ce pas précisément cela ? Quand j'écris, je laisse aller au casse-pipe qu'est le lecteur non pas moi-même mais ce double légèrement maquillé, possiblement dégénéré, qu'est l'auteur. En vérité, il m' a fallu plusieurs décennies pour accepter de me ressembler et laisser s'avancer vers les autres à la fois moi et l'hôte policé qui m'héberge - et ce grâce au temps qui, mieux que le fantasme assumé de la race, vous façonne durablement la gueule et sans état d'âme...
Commenter  J’apprécie          50
Le temps des adieux est un temps froid et sec : la santé y gagne ce que l'affection y perd. Nikolaï Mikloukho-Maklaï, qui a tout juste passé la vingtaine, embarque donc aux côtés du zoologue Haeckel.

Ce dernier a perdu sa femme et, paraît-il, le goût de vivre, à croire qu'un secret nichait et palpitait dans l'autre et qu' en rentrant sous terre cette autre a préféré emporter avec elle tout ce qui aujourd'hui pourrait aider le veuf à ne pas vouloir la rejoindre...

Nikolaï, lui, reste sourd aux stratégies du deuil, dont tant selon lui se repaissent, au point qu'il finissent par trouver un début de saveur dans son complexe entretien, tant leur fait horreur le rire de l'oubli. Quitter l'autre lui est facile. Nécessaire. Il ne voit aucun mystère dans la perte, seulement un raccourci permettant l'esprit de devancer la chair. Aux enterrements, c'est tout juste s'il ne félicite pas les vivants de leur endurance...


Le soir, quand Nikolaï s'enferme dans sa cabine où le roulis dicte sa loi et casse les assiettes, ce n'est pas à Haeckel qu'il pense, ni à la défunte madame Haeckel, ni même à lui. Il pense aux pensées qui l'habitent, et qui se moquent des cierges et des catafalques. Il pense aux éponges, mortes-et-non-mortes, qui essaiment au fond des mers l'odieuse sagesse du temps. Au plancton, dont la danse iridescente recèle sans doute des motifs édifiants. Il pense à tout ce qui se mesure, se pèse, se transforme, se dissout. Puis il bourre sa pipe et étudie les volutes de fumée que le plafond aplatit en un champignon indécis...

Les proches ne l'intéressent pas, ; les proches ne le retiennent en aucun point de la surface de son être, qui pour lors ne connaît que tension, étant réduite à une passion : celles des éponges. Il sent qu'en elles, dans ce semblant de cœur qui bat en chacun de leurs alvéole, bruit une énigme dont même Darwin n'a pas soupçonné la portée. (En français, alvéole peut être masculin ou féminin, ce qui réjouit, même si l'on sait hélas que ce sont les hommes qui régentent le genre de choses.)...
Commenter  J’apprécie          30
Non, décidément , je n'entends rien à cet homme, à ce Nikolaï, ou du moins pas grand-chose. Entre ce Russe que rien ne hante sinon son propre spectre et moi qui bouffe du papier du soir au matin, zéro connivence, c'est certain. Je n'y ferais même pas mon nid, dans ce gandin. Mais qu'est-ce qui m'empêche, du fond du rotin de mon âme, de ronger, de dévorer à petites dents de lait ce qui reste de sa carcasse dès lors que son destin s'invite sur ma page ? C'est sans danger, je l'ai dit. Et puis ne nous leurrons pas : les vies ne se racontent pas, au mieux on les recommence, tête la première, cul en comète, on les déforme comme des vêtements en oubliant qu'elles et qu'ils furent, aussi armures. Pour raconter une vie, il faudrait en avoir saisi non ce qu'elle a laissé, mais tout ce qu'elle a tu, caché, enfoui, détruit, tout ce noir magma informe qui infuse jusqu'à la moindre de nos respirations. La masse de nos secrets forment tumeur, qu'ils soient bénins comme le vol d'un sucre (ou d'une voiture) ou plus graves, comme un meurtre (d'après la légende familiale, mon arrière-grand-père trucida un homme en duel à Majorque, ô vanité du pittoresque), et que dire de ces secrets dont nous n'avons nous-même pas la clé, ignorant souvent pourquoi nous avons agi ainsi, menti ainsi, esquivé ainsi, trahi ainsi, etc. Car ces secrets là, plus obscurs encore et comme pris dans la gangue de secrets pour ainsi dire officiels, finissent, les ans aidant et la force s'usant, par former une insondable lie sur laquelle poussent, comme sur un fumier qu'on croyait sec et sourd, d'aberrantes fleurs morales dont nous sentons bien que nous connaissons le pollen, et les effets de ce pollen, mais que pour rien au monde nous n'oserions cueillir, alors même que c'est de leur parfum que s'enivrent nos moindres pensées. Et c'est cette crasse indifférenciée que certains prennent pour l'âme...
Commenter  J’apprécie          30
En nous somnole un autre. Un inconnu au teint cireux, apparemment inerte, qui semble attendre l’affriolant baiser d’une allumette. S’il sourit, ce ne peut être que sous l’effet d’une lente combustion, celle des rêves qui l’embaument. Nous évitons de penser à lui un peu comme nos aïeux évitaient de penser au sexe, c’est-à-dire avec un zèle alarmant. Nous le supposons susceptible, ombrageux, à l’affût. Mais aussi : curieux de tout, surtout de nous, et encore plus de nos failles. Sur les tréteaux de notre petite mythologie d’opérette, on voit luire ses dents de charbon et ses yeux de cannibale, on sent remuer son échine souple et on perçoit sa parole rongée. Il nous suffit de l’imaginer nous aborder pour que tout notre être aspire à un destin d’asticot.
Commenter  J’apprécie          40
Faut-il être fat pour s’imaginer qu’en écrivant un livre on fera autre chose que soulever des couvercles, des couvercles posés non sur d’odorantes marmites, mais à même le terreau moite où ça germe, où ça se rebiffe. Une fois de plus, dans mon imprudence, je redresse le capot de l’ordinateur et, comme dans Kiss me Deadly, ce film de gangsters et d’uranium enrichi, l’éblouissante fureur de l’innommé m’affole de ses mortels UV. S’aveugler exige du doigté, c’est une évidence.
Commenter  J’apprécie          50

Videos de Christophe Claro (29) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Christophe Claro
Pourquoi l'échec serait-il forcément négatif. N'y aurait-il pas un peu de plaisir coupable à échouer ? Avec ce nouvel essai, L'échec paru aux éditions Autrement, Claro pose la question de Comment échouer mieux. "Seul l'exercice de l'échec permet d'élargir le champ des possibles. Si, comme le disait Beckett, il importe d'échouer mieux, c'est sans doute parce que créer ne veut pas dire réussir, mais plutôt soutirer à l'obscurité un aveu de lumière. Au risque, consenti, d'aboutir à une impasse – c'est là non une malédiction, mais une chance". Pour ce faire, Claro aborde entre autres Kafka, Pessoa, Cocteau et Hitchcock, des grands noms qui ont un point en commun, celui d'avoir échoué. Avec beaucoup d'humour et une grande sensibilité, l'auteur nous invite à réfléchir et à repenser nos limites ainsi que nos faiblesses et les regarder avec un nouveau prisme pour que ces derniers nous aident à avancer.
+ Lire la suite
autres livres classés : romanVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus


Lecteurs (48) Voir plus



Quiz Voir plus

Les écrivains et le suicide

En 1941, cette immense écrivaine, pensant devenir folle, va se jeter dans une rivière les poches pleine de pierres. Avant de mourir, elle écrit à son mari une lettre où elle dit prendre la meilleure décision qui soit.

Virginia Woolf
Marguerite Duras
Sylvia Plath
Victoria Ocampo

8 questions
1710 lecteurs ont répondu
Thèmes : suicide , biographie , littératureCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..