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Critique de pastelsab


Lettre d'excuse à Philippe Claudel

Cher Monsieur Claudel,
Est-ce la providence qui m'a fait éplucher les journaux de la semaine, justement le jour de votre passage ? Si j'avais lu l'article, à peine deux heures plus tard, je vous aurais manqué. L'annonce de votre venue dans une ville proche de la mienne, où j'étais persuadée que vous ne mettriez jamais les pieds, me précipite dans une espèce d'exaltation incrédule. Mon fatalisme tempère mon enthousiasme et ne croit pas qu'il peut vous rencontrer ni vous parler réellement. Sans mon consentement, il a érigé, par protection, une barrière invisible et infranchissable entre vous et moi.
Devant le miroir, je m'observe d'un oeil critique et décide de troquer ma tenue décontractée contre une robe plus habillée. Ma volonté de paraître de mon mieux devant vous est futile, mais le respect que je vous porte mérite un effort vestimentaire. Durant le trajet, une part de moi élabore des scénarios extravagants, tandis que l'autre tente de tempérer un enthousiasme à la limite de l'hystérie. Dans le cinéma, je calcule. Ne pas m'asseoir trop prêt ni trop loin de l'écran. Etablir une distance de sécurité et regretter un instant de ne pas avoir le cran de m'installer au premier rang pour vous voir mieux et baver malencontreusement sur vos chaussures.
A votre arrivée, je me place sur le bord de mon siège, suspendue à vos lèvres. Ma voisine trouve que vous faites trop de discours. Son ennui me paraît incongru. le film, oui, mais l'occasion de vous entendre en parler, c'est de l'or. L'oeuvre est accessible à tous mais l'auteur on le devine à peine derrière et lorsqu'on l'a devant soi, on a envie qu'il explique tout.
« Tous les soleils » commence et je vous oublie en faveur de votre oeuvre. J'avais préparé des mouchoirs, qui ne serviront pas. Vous me surprenez. En visionnant « Il y a longtemps que je t'aime » mes sanglots auraient rempli une bassine. Mais celui-là, c'est autre chose. Gai, sentimental, absurde, il frôle le tragique sans jamais y basculer. Pourtant, à la fin, lorsque les morts observent les vivants, je me surprends à verser une larme. Vous n'avez pas perdu la main.
Après le film, j'écoute les questions du public avec affliction. Il me semble que personne n'apprécie votre présence à sa juste valeur. L'un vous interroge sur votre patronyme. Vous répondez d'une boutade : « Je m'appelais Proust mais j'ai pris un pseudonyme ». Un autre vous confond avec le responsable de la distribution du film, tandis, qu'un dernier vous parle de son livre préféré, qu'il souhaite faire dédicacer s'il parvient à trouver un stylo. Vous répondez très cordialement. Mais, ma patience, contrairement à la vôtre, a des limites. Pourquoi personne ne parle du contenu du film ? Je rassemble mon courage et lève la main, vous m'apercevez et tendez votre bras vers moi pour que je prenne la parole. C'est mortifiant tout ce monde, je déteste parler en public. J'aurais voulu vous avoir en face de moi sans cet auditoire. Je vous pose une question sur le rapport entre les adultes et les enfants. La réponse, il me semble l'avoir perçue mais je cherche une confirmation de votre part. Vous développez le paradoxe, les enfants sont plus matures que les adultes. Une autre interrogation sur l'apparition des morts me vient à l'esprit, mais je n'ose la poser car elle me paraît trop métaphysique et je ne désire pas vous mettre dans l'embarras.
Alors que les gens sortent de la salle, je reste assise sur mon siège, un peu assommée. L'eau à la bouche d'une discussion, qui n'aura jamais lieu.
A l'entrée, je vous aperçois, seul. Vous paraissez si accessible que je n'hésite pas à me planter devant vous. La volonté de vous remercier est plus forte que mon embarras. Peut-être aurais-je dû y réfléchir à deux fois, peut-être, aurais-je dû préparer quelque chose car me voilà complètement désemparée. « Je voulais vous dire merci… » je commence, mais, ensuite, il ne vient à mes lèvres qu'une pluie de clichés : « J'ai lu tous vos livres… » Vous semblez poliment flatté. J'enchaîne avec un compliment ridicule vous comparant à un Dieu vivant descendu du ciel. Je ne suis pas certaine que ma métaphore vous enchante. « Il ne faut rien exagérer » vous tremperez. J'acquiesce. Evidemment j'en fais trop, mais je ne trouve par d'autres mots pour vous faire comprendre l'importance de cette rencontre. Toute la discussion, je m'égare et vous parle de moi alors que je désirais vous parler de vous et de votre écriture.
Je vous explique mon sentiment de m'être fait bernée lors de la lecture de la petite fille de Monsieur Linh. « La scène où l'obus tombe sur la poupée au lieu de la petite fille, je me suis sentie soulagée, quelle chance que ce ne soit pas l'inverse... » Vous m'aidez : « Plus tard, on apprend que c'est le contraire… » Je continue sur ma lancée : « Oui, vous arrivez toujours à me surprendre. Pourtant, je le sais et je me méfie de vous. » Vous riez : « Oui vous avez raison de vous méfier. » J'insiste : « Mais vous réussissez toujours à me mener en bateau. » Quelques secondes de silence. Je me sens complètement stupide. Il me semble que je suis passée à côté de l'essentiel. J'aurais pu développer mon propos, vous dire que j'étais si impressionnée, que j'ai relu le livre une deuxième fois, à l'affût de tous les indices manqués et troublée par ce nouvel éclairage à la fois touchant et cruel. Pourtant, je conclus. C'est trop difficile, votre présence me paralyse. « Merci. » je répète. Alors que je fais mine de m'en aller, vous me tendez votre main. A la fois, étonnée et reconnaissante, je la sers entre la mienne.
Dans la rue, le regret m'envahit de n'avoir pas su transmettre la joie que j'ai de lire vos livres. J'aurais dû souligner la musicalité parfaite de votre écriture. Combien cette douce mélodie de mots que vous parvenez à composer, apparemment sans effort, me régale. Je n'ai pas su vous parler de vos personnages et de leurs failles, qui révèlent toute la complexité de l'humanité. Un équilibre parfait d'ombre et de lumière, qui coexiste à l'intérieur de chaque être. J'aurais voulu vous dire que votre écriture respire la bonté et que cette qualité, je la suppose vôtre. J'aurais voulu vous faire comprendre combien vous m'avez fait rire, pleurer, combien vous m'avez choquée, aussi, parfois. Savoir vous parler de votre façon si simple et si juste de retranscrire les sentiments d'amour, d'amitié, d'espoir mais aussi de violence et d'intolérance. J'aurais voulu vous faire comprendre combien ce que vous faites est important. J'aurais voulu vous écouter, mais je n'ai pas osé me taire et laisser s'installer le silence. Coupable de brièveté, je vous écris cette lettre d'excuse.
Mais peut-être avez-vous déjà entendu ces paroles un milliard de fois. Peut-être que mon simple « merci » n'était pas si dérisoire et que vous avez perçu dans mes non-dits, plus de sens, que dans mes paroles...
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