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Critique de Syl


Syl
28 octobre 2015
Eric Coatalem, galeriste à Paris, est spécialisé dans les peintures françaises des XVIIe et XVIIIe siècles, et a organisé de nombreuses expositions sur Lubin Baugin, François Perrier, Jacques Rigaud, Gustav Klimt, Louyse Moillon…

Avec cet ouvrage de belle facture, érudit, dense de 500 pages, de 200 artistes répertoriés et de 500 reproductions (pour la plupart venant de collections privées), il honore les natures mortes qu’on appelait à l’époque le « petit genre » peu prisé par les collectionneurs, l’Académie royale de peinture et les musées.
Les choses naturelles, une nature détaillée avec une méticulosité infinie, qui célèbrent aussi bien la vie que la mort, sont magnifiquement exposées dans ce livre-musée scindé en deux parties :

Les artistes français du XVIIe siècle
Les artistes étrangers et français de toutes époques

Dans l’introduction, il est dit que la nature morte raconte « la fugacité du temps, la mort ou la simple beauté du monde ».
C’est au XVIIe siècle qu’elle prend son essor en Europe, mais Hilliard T. Goldfarb (conservateur en chef adjoint et conservateur des maîtres anciens, musée des Beaux-Arts de Montréal) tient à revenir dans le temps en citant des artistes de la Grèce antique, les enluminures du Moyen-Âge, la Haute Renaissance…
La corbeille de fruits du Caravage est l’un des premiers tableaux présentés dans le livre.

A travers ces tableaux, peintures de la réalité, on pénètre… « les intérieurs des maisons, les fleurs et les denrées alimentaires vendues sur les marchés du XVIe siècle. ». On lit que les classes nobles et bourgeoises s’étaient prises de passion pour les jardins. Avant, le jardin était médicinal, après, il était aussi d’agrément. Les fleurs (cultivées et non sauvages) resplendissent sur les toiles, et les bouquets sont peints en dépit des saisons. Une fleur de l’hiver se mêlera à la fleur de l’été. L‘Académie royale des sciences s’intéresse alors à l’étude de la botanique (fleurs, fruits), et à l’étude de la faune (planches anatomiques d’animaux). Les pièces de boucherie, de dépeçage, trouvent une place dans le décor.
On admire les nombreuses compositions florales dont l’éphémère beauté nous saisit.

Au fil des différentes époques, les compositions changent. De classiques, mesurées, elles tendent vers une exubérance riche et artificielle. Précieuses, débauche de trésors, œuvres décoratives, les scènes sont composées pour flatter les sens. L’esthétisme luxueux convient au règne de Louis XIV.

« Le plus la Peinture imite fortement et fidèlement la nature, plus elle nous conduit rapidement et directement vers sa fin, qui est de séduite nos yeux. » De Piles, chef de file des théoriciens à l’Académie à la fin du siècle, en 1708.

La vanité « tout le tragique de la condition humaine », particularité de la nature morte, montre une composition qui amène au funèbre et à la fragilité de la vie. Le religieux est dépassé et suggère d’autres symboles. Aux ossements, aux crânes, les artistes intègrent souvent des objets comme un livre, un sablier, un vase, une bougie… Le matériel, toute chose tangible, et le spirituel, l’essence mystique de l’âme. Ce chapitre est rédigé par Alexis Merle du Bourg, docteur en Histoire de l’Art.
Là encore, les tableaux montrent des styles bien différents et « ambivalents ». (L’ambivalence, lorsque le peintre ajoute un miroir dans lequel un crâne s’y mire. « De manière continue depuis le Moyen-Âge, le miroir a été associé à la dénonciation explicite de la vanité, et secondairement de la luxure… »).
La sobriété de certaines œuvres qui renvoient à la déchéance, au néant, à la solitude, fait place à une autre génération qui montre une « sophistication » plus prononcée.

L’éphémère et l’éternel se conjuguent dans des mystères, l’évanescence, l’austérité et le faste. Les spécialistes nous racontent ces beaux tableaux qui inspirent admiration et frissons. Les sentiments évoluent suivant les représentations… L’opulence d’une corbeille de fruits et les richesses d’une tablée de François Habert (actif au XVIIe siècle) procurera une émotion autre que « La vanité au crâne, rose et montre à gousset » de Nicolas de Largillierre (1656-1746).

Un crâne, je songe immédiatement au poème de Baudelaire… « L’Amour est assis sur le crâne de l’Humanité, Et sur ce trône le profane, Au rire effronté, Souffle gaiement des bulles rondes qui montent dans l’air, Comme pour rejoindre les mondes au fond de l’éther… ».
Lorsque je vois « Le dessert de gaufrettes » de Lubin Baugin, (1610-1663), je pense aussitôt à « Tous les matins du monde » et j’entends la musique de M. de Sainte-Colombe
La peinture est poésie, rêve, voyage, tout au long de ce « dictionnaire des peintres travaillant en France au XVIIe siècle » ; de Nicolas Baudesson (1611-1680) à Baudoin Yvart (1611-1728?) et autres anonymes…

Magnifique livre, j’ai conscience d’avoir été une privilégiée lors des Masses Critiques de Babelio. Bible, référence, il est à recommander à tous les amoureux des arts. Je tiens à préciser qu’il n’est point nécessaire d’être savant pour apprécier cet ouvrage et comprendre les symboles. On se balade émerveillé devant tant d’adresse, on se questionne sur le temps qui passe et les lésions qu’il laisse, la vie, la mort, la beauté, la pureté, la fragilité, la décrépitude, les croyances, notre monde, leurs mondes et l’essence réelle et irréelle des choses.
Il serait un superbe cadeau pour Noël !
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