Souriez, vous êtes fichés!
Jean-Marc Berlière, spécialiste de l'histoire des polices en France, nous offre un petit voyage dans les archives, où tapis dans des boites et des classeurs dorment depuis des siècles des visages photographiés de profil et de face.
Dans cet ouvrage abondamment illustré, on apprend que depuis l'abolition en 1832 de la flétrissure, cette marque au fer rouge qui permettait de reconnaître les condamnés, l'Etat a déployé des trésors d'ingéniosité pour identifier et catégoriser les citoyens.
La photographie est donc rapidement devenue un rouage indispensable dans l'histoire de l'identification, et le témoin crucial des rapports toujours complexes entre l'individu et l'Etat. Depuis l'invention de Daguerre « optimisée » par Bertillon jusqu'aux années 60, c'est une véritable épopée des politiques de fichage qui nous est contée. Chaque époque fichant à tour de bras ce qui l'inquiète -les Communards en 1871 qui ont droit à leur « Missel » (dans lequel figure Gustave Courbet), les juifs à leur « Fichier » pendant l'Occupation, les membres du F.L.N. et leurs sympathisants à la fin des années 50- l'ouvrage présente un panorama très vaste de fiches signalétiques, allant du quidam tueur de fillette à Django Reinhardt, enregistré comme forain à la Préfecture de police en 1935. L'ennemi intérieur changeant de visage au cours des ans, les Versaillais fichent les Insurgés en 1871, puis vient le tour des anarchistes, des espionnes au service de l'Allemagne dès 1914, des bolchéviques peu après, des réfugiés, des apatrides, des nomades, des résistants, des collabos… C'est bien simple, tout le monde y passe, même les cocottes, les cochers et les vélos- taxis.. On retrouve donc dans l'ouvrage les trombines aussi diverses que la bande à Bonnot, Picasso, Trotsky, sur sa carte de séjour, et des bagnards en partance pour la Guyane.…
L'ensemble se parcourt avec beaucoup de plaisir et on en deviendrait presque nostalgique quand on songe au monde merveilleux de l'ADN qui laisse aujourd'hui l'individu aussi nu que le jour de sa naissance.
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Très beau livre, bien documenté et écrit...
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Les directeurs de cette aventure textuelle et imagée sont l’un historien de la police et l’autre conservateur général du patrimoine aux Archives. Ils ont uni leurs efforts pour nous proposer cette réflexion qui aurait largement pu croiser aussi des travaux de philosophes, de psychanalystes, de sémiologues, ... L’iconographie est particulièrement bien choisie, maintenant fermement les options à partir desquelles les auteurs nous conduisent.
Lire la critique sur le site : NonFiction
"Des fichiers hors du commun", tel était il y a deux ans le sujet d'une table ronde de l'association des archivistes français à laquelle étaient conviés historiens, juristes et défenseurs des droits de l'homme, et le titre ô combien évocateur des actes récemment publiés, Les Données personnelles, entre fichiers nominatifs et jungle Internet, dit à quel point le numérique et Internet sont au cœur des préoccupations de l’institution des Archive en échos aux très légitimes inquiétudes que les fichiers nominatifs suscitent chez les citoyens. L'encadrement juridique est de plus en plus dense, de nouveaux concepts prennent force comme le droit à l'oubli, mais la prise en compte des fichiers de toute nature par les services d'archives, leur conservation, leur classement et leur communication au public ne datent pas d'Internet. On peut même dire que cette typologie documentaire est une des spécificités de l'archivistique contemporaine, les processus multiples d'enregistrements, de recensements et d'identification des individus s'étant considérablement développés au XIXème et XXème siècles.
Le caractère éminemment volumineux de ces archives sérielles générées par des processus a très vite posé des problèmes majeurs et d'abord cette question fondamentale : que faut-il garder? Devant l'impossibilité matérielle de tout conserver, quelles sont les sources vraiment indispensables, aujourd'hui et demain, à l'histoire de cette modernité?
Vidéo de Jean-Marc Berlière