Il est devenu courant de célébrer l’identité complexe de Heinrich Heine : enfant de l’Aufklärung et dernier poète romantique, esprit à la fois ironique et mélancolique, écrivain juif de langue allemande exilé en France, impossible de « fixer » Heine, de le ramener à une seule identité, même sur le plan littéraire, car il fut à la fois poète, prosateur, journaliste, essayiste, auteur de ballet. Né à Düsseldorf d’un père négociant en textile et d’une mère issue d’une famille de banquiers, il défendit pourtant, dans de nombreux écrits, les idéaux révolutionnaires de son temps et se préoccupa du sort du peuple, au point de devoir quitter l’Allemagne pour des raisons politiques. Les nombreuses facettes de sa personnalité, ses multiples talents, cette « identité complexe » qu’on ne cesse de brandir pour en souligner la modernité ont souvent été exploités par ses adversaires pour le présenter comme un esprit léger, versatile, sans profondeur, dont il faudrait se méfier. Pourtant, il nous semble qu’en situant Heinrich Heine au milieu des tensions propres à son époque, on peut au contraire être frappé par la constance de ses idées et par sa rigueur morale, supérieures à celles de nombre de ses contemporains.