AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782080664600
Flammarion (30/06/2008)
3.31/5   8 notes
Résumé :
Dans les années 30, lui est un Monsieur-tout-le-monde, avocat aux aspirations médiocres, elle une mère de famille bourgeoise typique. L'autopsie de leur vie de couple, à travers leurs démélés avec les domestiques, les gens de couleur, l'éducation des enfants....
Une chronique douce-amer de la mythologie américaine
Que lire après Mr and mrs bridgeVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
D'abord Mrs Bridge.
Mrs Bridge dont la vie s'écoule sans vague ni remous, dans cette Amérique des années 30 puis 40 qu'elle traverse avec la certitude quiète de ceux qui ne manquent de rien, ce grâce à son avocat de mari qui passe sa vie au travail pour assurer le confort matériel des siens. Les Bridge comptent ainsi parmi la moyenne bourgeoisie de Kansas City, et comme toutes les bourgeoises de Kansas City, Mrs Bridge est mère au foyer, s'occupant de leurs deux filles, Ruth la discrète et Carolyn la dégourdie, et de leurs fils Douglas, dernier essai réussi pour avoir un garçon.

Au fil de courts chapitres de nature anecdotique mais significative, Evan S. Connell dévide la routine de son existence, et met en évidence le vide qui affleure sous le vernis d'apparences toujours sauvegardées. Car enserrée dans le carcan de la bienséance, de la respectabilité, Mrs Bridge ne vit pas vraiment. Chacun de ses actes, chacune de ses paroles, sont conditionnés par la conviction de ce qu'elle et les membres de sa famille représentent, conviction fondée sur les critères d'une convenable "normalité" à laquelle elle se soumet aveuglément.

Son emploi du temps, les enfants grandissant, devient de plus en plus difficile à combler. Elle ne peut plus par ailleurs s'occuper aux tâches ménagères depuis que les Bridge ont embauché Harriet, une jeune noire, comme employée de maison. Il lui reste les boutiques -mais de caractère raisonnable, peu dispendieux, elle finit par trouver cela un peu vain- et les sorties avec ses amies. Ce désoeuvrement est à peine exprimé. Jamais Mrs Bridge ne s'en plaint, comme elle ne se plaint d'ailleurs jamais de rien, ne profère jamais un mot plus haut que l'autre, ne contredit jamais ses interlocuteurs.

Car Mrs Bridge, en apparence du moins, n'a pas d'avis, pas d'envie, pas d'états d'âme. Elle n'a surtout pas d'opinions, si ce n'est celles de son mari, qu'il convient d'avoir selon son milieu et son appartenance sociale, qui sont souvent d'ailleurs, plutôt que des opinions, des préjugés. Ses lectures se cantonnent généralement à celle du journal mondain de Kansas City. le moindre accroc, le moindre élan de spontanéité menaçant la creuse plénitude de son quotidien la perturbent, la solution pour y faire face consistant à faire comme s'ils n'existaient pas. On a l'impression qu'elle évolue dans un univers factice, ultra sécurisé, un microcosme au sein duquel, insipide, lisse, étrangère à toute passion, elle porte avec une innocence tout de même un peu suspecte les oeillères qui lui évitent toute remise en question, toute curiosité vis-à-vis de ce qui se passe ailleurs, la hissant dans les hauteurs d'un monde où la pauvreté, la violence, l'injustice, ne sont que de faibles échos bien vite étouffés.
Ainsi, elle pratique la charité et l'ouverture d'esprit comme le reste : avec parcimonie et selon un protocole bien établi. Malgré un intérêt feint et de bon aloi pour les minorités, noirs, pauvres ou juifs, il est préférable, pour sauvegarder la pérennité de cette société à niveaux hermétiques, de ne pas se mélanger...

On en vient à se demander si elle a des sentiments, cette Mrs Bridge : même avec ses enfants elle garde une sorte de distance -sauf peut-être avec Carolyn, qui lui ressemble-, comme si elle observait avec curiosité et une vague crainte ces êtres sur lesquels son emprise a une limite. Imaginer qu'il faudra un jour les considérer comme des grandes personnes l'ennuie...

Mais oui, elle en a, des sentiments, qui se révèlent, par bribes, à l'occasion de questionnements qui éclatent, en petites bulles, à la surface de son existence plane et confortablement mortifère, de vagues impressions, de sombres pressentiments qui la saisissent à la pensée du passage du temps, comme si quelque chose qu'elle n'avait pas su saisir s'éloignait, comme si des attentes s'étaient évaporées avant même d'avoir pu être vraiment formulées... mais comme tout ce qui pourrait venir bouleverser la route bien tracée de son existence, elle enfouit ces fugaces ingérences sous le vernis de son impassible honorabilité, restant aux yeux du monde Mrs Bridge, une épouse, temporairement une mère, et c'est tout.


"Il ne voyait pas l'intérêt d'instruire ses filles ou de préparer leur avenir, si ce n'est en s'assurant qu'elles soient propres, polies, franches, modestes et convenablement éduquées. Quant au reste, leur mère y pourvoirait."

Ensuite, Mr Bridge.


Ce qui frappe assez vite avec ce pendant au roman ci-dessus, écrit dix ans après, c'est l'impression de découvrir deux vies parallèles qu'aucune friction ni communion ne permettent de lier, deux solitudes qui se côtoient sans jamais se rencontrer vraiment.

Si Mrs Bridge pouvait passer pour l'archétype de l'épouse docile, offrant au monde une image d'épouse et de mère "modèle", Mr Bridge est quant à lui un symbole du conservatisme, produit de la classe moyenne de cette Amérique des années 30 qui, épargnée par la crise économique, évoluant dans un environnement socialement uniforme, se conforme avec intransigeance aux carcans moraux de leur caste.

C'est a priori un homme sans surprise, qui accorde à la réussite financière une importance capitale, l'époux et père représentant le garant de la sécurité matérielle de sa famille. Il passe d'ailleurs bien plus de temps à son cabinet d'avocat que dans son foyer, entretenant avec son assistante une complicité intellectuelle dont il ne rêve même pas avec sa conjointe. Il est ainsi celui qui inculque à ses enfants, par l'exemple, le culte du mérite, le travail étant le pilier sur lequel tient la respectabilité de l'individu et la pérennité d'une société américaine qu'il ne voit que prospère, où tout individu, si tant est qu'il s'en donne les moyens, peut saisir sa chance, la pauvreté étant par conséquent un corollaire de la paresse... Dans le monde de Mr Bridge, la place de chacun est précisément définie : la mère au foyer, le mari au travail, les noirs hors des sphères logiquement réservées aux blancs... Tout doit être contrôlé, organisé. Lui-même ne s'autorise aucun laisser-aller, aucune spontanéité. Contrairement à sa femme, il affirme ses opinions -fondées sur des préjugés reniant la légitimité de toute différence- avec la conviction de leur justesse, ne tolère aucune remise en question, et en instruit ses enfants en père pontifiant, comme s'il le faisait au nom d'une instance moralement supérieure.

Incapable d'auto dérision, psycho rigide, il se rend parfois bien compte qu'il force un peu le trait, mais il est exclus de s'abaisser à une bienveillance ou une tolérance qui seraient preuve de faiblesse.

Un bien sinistre personnage, en somme, dont on pourrait se demander s'il est capable d'éprouver quelque émotion... on se prend, par moments, à penser que Mr Bridge est une belle ordure -la manière dont il commente le lynchage d'un noir en présumant qu'il avait probablement fait quelque chose de mal est notamment particulièrement glaçante- et à se demander quels auraient été son destin, son comportement, s'il avait été citoyen allemand, mais cela n'a pas de sens, car ce qu'on l'on est dépend au moins autant des circonstances, de l'environnement dans lequel on vient au monde, que d'un caractère qui déterminerait nos pensées et nos agissements. Mr Bridge est Mr Bridge parce qu'il est né en Amérique, dans un milieu qui a dans une certaine mesure conditionné une vision du monde que son refus de réelle confrontation avec des êtres différents n'a pas permis de nuancer, ou de démentir.

La méthode narrative est calquée sur celle qu'utilisait déjà l'auteur dans "Mrs Bridge", une succession de courts paragraphes dévidés sur un ton anecdotique, Evan S. Connell exprimant des faits, sans jugement, même si le choix même de ces faits dénote la férocité du regard. Et comme dans Mrs Bridge, il laisse parfois affleurer les manifestations de pulsions, de questionnements, qui viennent bousculer, l'espace d'un instant, la rigoureuse structure mentale de son personnage, qui expriment alors ses frustrations ou d'inavouables désirs, les sentiments que lui inspirent sa femme -qu'à aucun moment il ne tente de comprendre- et ses enfants, enfouis sous l'auto-censure qu'il s'impose au nom, sans doute, de son équilibre psychologique et existentiel...

Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
Commenter  J’apprécie          10
Appâtée par un billet tentateur, j'ai noté ce diptyque, présent en réserve à la médiathèque (ils vont râler, je leur fais vraiment sortir des vieilleries); le premier roman, Mrs Bridge, date de 1959, le second de 1969. Nous sommes à Kansas City, dans les années 30 devine-t-on, on parle de prohibition et la seconde guerre mondiale démarre; le temps passe pour India et William Bridge et leurs trois enfants, deux filles, Ruth et Carolyn, un fils, Douglas (il fallait un fils, heureusement arrivé sans trop attendre).

Les deux romans se présentent sous formes de courtes 'vignettes' longues d'une demi-page à deux pages, parlant d'un petit événement de la vie de la famille. Au fil de la narration se dessinent les caractères.

Mrs Bridge est la parfaite ménagère de ces années-là, dévouée à sa famille, tâchant de bien éduquer ses enfants. Que fait-elle de ses journées? Hariett la cuisinière femme de ménage est là, elle a aussi une blanchisseuse, alors une fois les enfants à l'école, elle s'ennuie. Elle n'est pas désespérée, se retrouve avec des amies de la même classe sociale, commence à apprendre l'espagnol. Elle paraît arrangeante, pas de vagues, quoi, mais elle est parfois dépassée. Elle a ses opinions sur les noirs (la traduction utilise un autre mot). Obéissante à son mari, elle ne fuit pas devant l'ouragan (au sens propre). Un passage plus long, le voyage en Europe (ne pas rater la vision de Paris par le couple).

Rien n'est vraiment expliqué démontré, c'est le lecteur qui doit se faire son idée. Une image de la bourgeoisie provinciale aisée mais pas gaspilleuse, vue avec acuité et on le sent, amusement.

Passons à Monsieur, avocat passant beaucoup de temps au bureau, et même travaillant chez lui. Il veut le meilleur pour ses proches, a déjà écrit son testament et prévu de subvenir aux besoins de la famille après sa disparition (il serait alors le premier à partir?). Raciste (noirs, juifs), misogyne (ses avis sur les femmes est carré, au moins il ne s'en cache pas) et homophobe, l'homme est vraiment exemplaire de son époque et milieu social provincial, on va dire.

On assiste à ses confrontations avec ses enfants, surtout Douglas, au début le genre de gamin débrouillard et bricoleur, et Ruth, qui rêve de sortir de la ville. Elle réussira à se faire une place à Greenwich village, où son père découvrira la vie qu'elle mène avec stupeur.

Walter est droit dans ses bottes, persuadé d'avoir toujours raison, puritain déclare un personnage, mais des ambiguïtés se dessinent parfois.

Le fameux voyage en Europe est beaucoup plus détaillé que chez Mrs. Bridge.

Le regard est toujours plein d'ironie dans cette subtile narration à la troisième personne en 'il' ou 'elle' selon le volume, mais faisant appel au regard plus critique du lecteur. Une belle réussite sur ce plan là.
Lien : https://enlisantenvoyageant...
Commenter  J’apprécie          10
C'est au détour d'une foire aux livres que j'ai découvert et acheté ce - ces - roman/s.

J'ai lu en deux fois, d'abord Mr Bridge, il y a quelques mois, puis Mrs Bridge, il y a peu, même si le second a en fait été écrit en premier et une dizaine d'années avant.

J'ai aimé cette idée originale de raconter la vie de couple, de famille par le prisme des deux protagonistes qui ont chacun leur propre roman.

Nous suivons alors les joies et petits tracas d'un couple d'américains aisés du Kansas des années 1930, qui cohabitent ensemble plus qu'ils ne vivent ensemble.
Et si Mr Bridge s'attache avant tout à parler de confort materiel et de travail, Mrs Bridge est plus encline à gérer la vie domestique et familiale.

Ce roman parle du couple et de ses difficultés à communiquer.

Et nous (re)découvrons par la même occasion les us et coutûmes de ces années-là: la ségrégation (ben oui ils aiment bien leur bonne - noire, bien entendu - mais point trop n'en faut), le sexisme "naturel", les considérations matérielles petitbourgeoises, etc...

C'est agréable à lire car il s'agit de chapitres très courts faisant davantage penser à des saynètes et à des anecdotes même s'il y a une continuité dans le récit. Par contre cela m'a semblé quelque peu désuet et j'ai connu des difficultés à entrer en sympathie avec les personnages.

Commenter  J’apprécie          40
La collection Vintage chez Belfond nous permet de (re)découvrir des classiques et des perles du genre ! Voici Mr & Mrs Bridge : deux romans américains adaptés au cinéma et écrits par un auteur qui a marqué de nombreux contemporains.

Ce diptyque est une forme de témoignage, une étude de la société américaine durant une période charnière. Ce sont deux personnages qui vivent côte à côte mais non ensemble comme le met en avant le fait qu'ils ne se confient jamais l'un à l'autre, la scission entre les deux livres : on ressent toute l'ambition de Mr. Bridge qui l'empêche de profiter de ce qu'il souhaite, de voir au delà du taboue et des moeurs.

Le style d'Evan S. Connell est extrêmement intéressant. D'une part les chapitres sont à courts, brefs, vifs. Un narrateur omniprésent nous permet de suivre les agissements du personnage principal, ses pensées et nous laisse nous faire notre avis. Il n'y a pas de jugement, seulement le constat et presque l'étude de toute une génération. D'autre part, l'écriture est ciselée, précise et poétique.

le fait que ces deux livres soient complémentaires démontrent un rôle déterminant et séparé de l'homme et de la femme à cette époque. Ce sont deux êtres d'un charisme fou, inoubliables et parfois torturés. J'ai adoré le dénouement et j'ai aimé les deux romans autant l'un que l'autre, je garde peut-être une petite préférence pour le personnage de Mrs Bridge (solidarité féminine peut-être...).

En définitive, voici deux sorties littéraires à ne surtout pas manquer !
Lien : http://leatouchbook.blogspot..
Commenter  J’apprécie          40
Deux livres (l'un sur Monsieur, l'autre sur Madame) qui traitent de la difficulté de communiquer dans le couple, du vide existentiel qui habitent certains, de la façon dont on peut vivre avec les préjugés les plus vils en croyant être quelqu'un de bien... Deux ouvrages écrits dans les années 20 mais tellement modernes !
Commenter  J’apprécie          00


autres livres classés : kansasVoir plus


Lecteurs (29) Voir plus



Quiz Voir plus

Livres et Films

Quel livre a inspiré le film "La piel que habito" de Pedro Almodovar ?

'Double peau'
'La mygale'
'La mue du serpent'
'Peau à peau'

10 questions
7088 lecteurs ont répondu
Thèmes : Cinéma et littérature , films , adaptation , littérature , cinemaCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..