Allez, venez ! Je vous emmène au vent. Ça vous dirait une petite virée dans les mers du sud ? Ça ne vous dérange pas si c'est
Falk qui tient la barre ? Un brave type ce
Falk, droit, carré, fiable. Il ne peut rien vous arriver…, enfin… sait-on jamais ?
Falk est un récit emboîté, façon poupées russes, à trois niveaux, qui évoquent des personnages et des époques différentes, ce qui, par définition, nous oblige à considérer l'ouvrage non comme une nouvelle mais comme un petit roman.
Sans chercher à tout prix un jeu de mots facile,
Falk se situe entre deux eaux ; c'est à la fois un portrait type (agrémenté d'une brochette de quelques autres personnalités intéressantes) et à la fois une étude de moeurs.
Le récit est introduit de façon très classique, à la
Maupassant ou à la
Tourgueniev, ou, plus simplement comme d'autres récits de
Joseph Conrad, tels
Jeunesse ou
Au Coeur Des Ténèbres ; au cours d'une discussion entre amis où chacun relate
des souvenirs. Tous ces vieux loups de mer se sont réunis sur les bords de la Tamise, quelque peu en aval de Londres et évoquent des épisodes où ils ont eu soit à souffrir de la faim, soit à affronter un naufrage, soit à faire acte d'héroïsme, soit un peu des trois combinés.
C'est d'ailleurs à ce propos que l'un d'eux évoque son expérience surprenante dans un port lointain, qu'on imagine être Bangkok. Il y raconte comment il s'est vu confier la direction d'un navire marchand britannique dont le capitaine était décédé en mer et dont l'équipage était
lui aussi en fort mauvais état, dévoré par la fièvre, notamment.
Son navire à quai attendait patiemment son chargement et les quelques papiers administratifs qu'il est toujours impossible d'obtenir simplement. Durant ces longs jours et longues semaines, ce jeune capitaine fait la connaissance d'un navire allemand, dirigé impeccablement par le capitaine Hermann.
Ce dernier fait briquer son bateau comme un sou neuf et accueille à son bord toute sa petite famille, femme et piaillante marmaille, dans un confort presque inimaginable pour l'époque et pour la condition de marin. Mais ce n'est pas la seule personne de la famille à bord. Il y a également une nièce orpheline de dix-neuf ans qui s'occupe activement des enfants de son capitaine d'oncle.
Il n'est probablement pas un seul officier blanc qui n'ait remarqué cette charmante jeune fille tellement ses atours sautent aux yeux, si bien que notre jeune capitaine ne tarde pas à être chaque soir sur le pont de la Diana, le navire d'Hermann. Il n'est pas le seul. Un certain capitaine
Falk est aussi de chaque soirée et considère la demoiselle avec la plus grande attention.
Falk est à la tête d'un remorqueur à vapeur qui fait la navette sur le bras de fleuve qui sépare le port de la pleine mer afin de permettre aux grands voiliers de s'extraire de ce boyau peu praticable. Comme il est le seul à assurer ce service,
Falk fait un peu la p
luie et le beau temps sur le fleuve et impose tant ses conditions que ses prix. Cet homme taciturne, très droit de silhouette, au profil rigide, jouit d'une réputation déplorable parmi les marins sans que quiconque sache au juste exprimer pourquoi.
Qu'en sera-t-il lorsqu'il s'agira de remorquer les deux vaisseaux des deux capitaines amis ? C'est ce que je vous laisse le plaisir de découvrir par vous-même.
Joseph Conrad imprime un rythme assez particulier à ce roman où, à plusieurs reprises on change de registre de perception ; d'abord récit d'aventure, puis, manifestement histoire d'
amour, pour finalement aboutir à une réflexion plus profonde et philosophique sur le jugement d'autrui et l'acceptation des moeurs, où il est notamment question de cannibalisme.
Un récit très bien mené, très agréable, qui, comme toujours chez Conrad, nécessite soit de très bonnes connaissances en navigation à voile, soit un lexique explicatif de qualité à portée de
la main pour saisir tous les termes précis propres aux navires et à la navigation. Hormis ce petit bémol qui n'en est pas vraiment un, cette histoire m'est apparue fort plaisante et dépaysante.
Je vous la recommande donc très volontiers mais gardez à l'esprit que ceci n'est qu'un avis, fruit tombé au sol d'un arbre passablement tordu et mal exposé, c'est-à-dire, bien peu de chose.