Ecrit peu de temps avant
Au Coeur des Ténèbres, ce court roman permet à Conrad d'aborder une première fois la colonisation et ses ravages, après avoir lui-même parcouru le Congo belge. Je me souviens de la violence et de la noirceur du roman qui l'a consacré, c'est ce qui m'a incité à lire celui-ci quand je suis tombée dessus.
Quelque part en Afrique (sans doute le Congo belge, mais il n'est pas nommé), deux hommes viennent d'être affectés à la garde d'une factorerie. Kayerts a été nommé chef, et Carlier est son adjoint et ils viennent remplacer au pied levé un autre Blanc mort de maladie. Ils se sentent d'ailleurs engagés dans une entreprise valorisante, ne comprenant pas qu'en réalité on s'est débarrassés d'eux dans ce bout de village en bord de fleuve.
Les jours passent, un peu comme dans le Désert des Tartares, et il ne se passe pas grand chose. Les eaux du fleuve coulent dans la brume, parfois des tribus jaillissent de nulle part afin d'échanger des défenses d'éléphant mais c'est Makola, indigène occidentalisé, qui se charge des transactions. Tant mieux d'ailleurs car les deux Blancs n'ont pas vraiment envie d'avoir affaire à ces sauvages.
Loin de tout, cependant, ils changent, et deviennent eux-mêmes un peu moins civilisés.
C'est un roman très court mais qui se suffit à lui-même, sans manichéisme car Makola n'est ni pire ni meilleur qu'eux, tout comme les indigènes qui débarquent ou la Compagnie qui semble les avoir oubliés. Tout au long du récit, l'incompréhension règne entre Blancs et Indigènes mais seul le vieux Gobila semble s'interroger sur les deux Blancs car les autres se côtoient dans l'indifférence absolue.
Quand je lis Conrad, je suis à chaque fois surprise par la modernité de son style, lui qui est l'un des premiers à aborder la colonisation sous sa violence et son absurdité.