Ce serait une grave erreur de dire que nous ne réfléchissons pas ici, au Bourg. Nous regardons l'existence à la manière d'un paysan qui examine la qualité d'un outil, le prix d'un cochon ou d'une bouteille, les qualités de telle ou telle graine de pomme de terre en fonction de son sol. Quoi qu'aiment en penser certains qui se trompent, les gens du village ne se laissent pas automatiquement tourner la tête par les idées venues de Paris pour la simple raison qu'ils ne lisent pas Tolstoï ou Sartre, mais préfèrent regarder Les Chiffres et les Lettres à la télé, jouer à la pétanque, ou se soûler à mort à la discothèque du coin le vendredi soir. En réalité, les gens du village sont aussi crédules et malins que ses dirigeants, à cette grande différence près que les erreurs que nous pouvons commettre dans nos choix personnels ne coûtent quasiment rien au pays, alors que le même genre de bourde de la part d'un ministre, un type ni plus intelligent ni plus stupide que le villageois, peut entraîner le pays dans un joli pétrin.
Chapitre 15.
Le but du roman noir, dans ce qu'il y a de mieux, a toujours été de détruire le mal en le décrivant ; c'est une littérature positive et non pas négative, ne serait-ce que parce qu'elle montre tout ce qui dans notre société est négatif.
Le roman noir est une vocation, pas une profession. C’est l’aboutissement d’un long noviciat ; dès que vous commencez à en écrire un, vous avez opté pour les ténèbres. Vous vous débarrassez de tout ce dont vous aviez besoin autrefois pour vivre dans la lumière, vous n’en aurez plus usage, puis, dans un étrange état second, l’écriture vous fait descendre un escalier froid et obscur jusqu’à une porte que vous ouvrez et que vous franchissez ; elle se referme derrière vous.
La meilleure chose à faire c’est de se mettre au travail et dire la vérité. Mais la vérité a le don de paraître étrange une fois que vous avez compris que vous n’avez rien à gagner en l’embellissant ; la vérité a l’air « neuve », surtout aux yeux de celui qui la dit, et pas nécessairement très agréable. Sans doute avez-vous menti tout au long de votre vie, par nécessité, comme la plupart des gens, mais quand vient le moment de dire enfin la vérité, vous commencez à vous demander si vous avez vraiment servi à quelque chose. Le mieux que vous puissiez dire, c'est qu'ensuite, vous ressortez sous votre vrai jour, propre et blanc, récuré jusqu'à la fibre, comme après n'importe quelle mauvaise expérience, c'est-à-dire décharné.
Chapitre 1.
Dans un roman, on trouve généralement la possibilité au moins de regarder vers l’avenir, une évolution future latente, si éloignée soit-elle. Dans des mémoires, cet élément est absent. Le fouillis des voix et des bruits humains, les pubs londoniens à dix heures du soir, mon père jouant du piano dans le couloir, ma grand-mère accoudée à la rampe et chantant, tout cela n’a plus aucun rapport avec l’individu que je vais devenir, mais uniquement avec celui que j’ai été, que je fus.
Bande-annonce de "On ne meurt que deux fois" de Jacques Deray avec Michel Serrault, Charlotte Rampling.