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Michel Braudeau (Autre)
EAN : 9782020047951
187 pages
Seuil (01/02/1978)
3.4/5   10 notes
Résumé :
"Pour quiconque travaille dans le champ psychiatrique, un certain nombre de questions gênantes se posent : pourquoi suis-je ici ? qui m'a mis là ? ou pourquoi me suis-je mis là ? qui me paie pour quoi ? pourquoi faire quelque chose ? pourquoi ne rien faire ?...
" Ce que j'ai essayé de faire dans ce livre, c'est de regarder, dans son contexte humain réel, l'individu qu'on a étiqueté comme " schizophrène ", de rechercher comment cette étiquette lui a été donnée... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
La psychiatrie à peine née, voici qu'apparaît son versant opposé : l'anti-psychiatrie. Ne nous méprenons pas sur l'objet des griefs portés par ses chefs de file, David Cooper et Ronald Laing en tête : l'anti-psychiatrie ne vise pas à l'abolition de la psychiatrie mais se considère comme un de ses courants. Elle conteste la psychiatrie « classique » considérée comme une force d'oppression institutionnelle élaborée par et pour des gens « normaux » (David Cooper nous montrera au passage que la normalité, si elle se situe à l'opposé de la folie, se situe aussi à l'opposé de la santé).


Dans son essai court mais convaincant, David Cooper commence en revenant sur les fondements de la discipline : sa terminologie. Suffit-il de désigner une chose par un terme pour que le sujet soit clos ? Les patients principalement ciblés par la psychiatrie, ceux qu'on nomme « schizophrènes », souffrent-ils tous, réellement, d'un seul et même trouble ? le doute apparaît dès l'instant où l'on essaie de donner une définition de cette pathologie, que David Cooper juge avoir été inventée de toutes pièces par les membres de l'institution psychiatrique classique pour ne pas reconnaître la violence que la société inflige à ses objets.


David Cooper dénonce le subterfuge de l'invention de la schizophrénie en redéfinissant cette dernière non plus en termes de pathologie mais en termes sociaux et culturels. La schizophrénie serait la réaction de survie exprimée par un individu ayant grandi dans un univers aliénant et incohérent, à la base d'une violence d'autant plus sournoise et diffuse qu'elle ne se verbalise pas, qu'elle provient des membres de la famille proche –qui eux-mêmes n'en sont pas conscients, qui eux-mêmes sont également victimes d'une situation qui leur échappe- et qu'elle existe depuis toujours dans le cadre du développement de la personne que l'on étiquettera plus tard sous le terme de « schizophrène ». David Coooper emploie souvent ce terme : « étiqueter », pour désigner le nouveau processus d'aliénation qui frappe la personne malade lors de son arrivée dans l'institution psychiatrique. C'est ici que le bât blesse : alors que la psychiatrie se présente comme une institution de prise en charge des souffrances mentales d'un individu, elle ne fait finalement que perpétrer sur lui une aliénation et une violence initialement subies dans le milieu familial ou social proche. La psychiatrie serait donc un instrument de la « normalité », utilisé pour légitimer la souffrance qui fut à la cause de la formation du trouble psychique. Ce paradoxe expliquerait les causes des échecs nombreux connus dans le milieu de la psychiatrie : absence de résorption des troubles, récidives, réhospitalisations…


Après avoir rappelé ces multiples dysfonctionnements de l'institution psychiatrique classique, David Cooper relate ses expériences de psychiatrie alternative. On connaîtra peut-être le récit de Mary Barnes et son Voyage à travers la folie. le récit de Barnes et l'essai de David Cooper se rejoignent puisque tous deux ont participé à l'expérience du Pavillon 21, un établissement anti-psychiatrique expérimental fondé à Londres dans les années 60. David Cooper et ses collègues tentent d'y abolir la position d'autorité du médecin vis-à-vis du patient, les traitements répressifs et même l'obligation de mener des activités "constructrices" de réadaptation sociale. David Cooper est lucide et n'affirme pas que cette expérience aura connu un franc succès. Les schizophrènes auront certes pu vivre plus librement, c'est-à-dire selon les modalités que leur imposent leur "délire", mais la perpétuation de ce délire constitue-t-elle réellement une libération, ou ne fait-elle que témoigner sans cesse de la marque de la violence fondamentale ? David Cooper pense que la guérison viendra de l'épuisement du délire, qui ne serait qu'intériorisation d'une parole ou d'actes qui n'ont jamais pu librement se déployer dans le monde. Si l'hypothèse ne semble pas exacte, les moyens déployés pour en permettre la réalisation remettent toutefois en question des présupposés importants de l'approche psychiatrique, dans son rapport à l'autorité et aux traitements. L'anti-psychiatrie se révèle ainsi assez proche de la psychanalyse.


« Ce que j'ai essayé de faire dans ce livre, c'est de regarder dans son contexte humain réel l'individu qu'on a étiqueté comme « schizophrène », de rechercher comment cette étiquette lui a été donnée, par qui elle a été posée, et ce que cela signifie, à la fois pour celui qui l'a posée et pour celui qui l'a reçue. »

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Alors qu'en France Michel Foucault et Jean-Paul Sartre écrivent sur le vaste sujet de la psychiatrie et de la folie, alors qu'en Italie Franco Basaglia et ses collègues mènent l'expérience de Gorizia, David Cooper, et Ronald D. Laing, sont parmi les grands représentants de l'antipsychiatrie anglaise.
De 1962 à 1966, David Cooper dirigea le Pavillon 21, unité expérimentale pour schizophrènes dans un hôpital psychiatrique de Londres. Il chercha à développer un autre mode de penser et de prendre en charge la maladie mentale, partant du principe que la plupart des symptômes des psychoses trouvaient une explication dans la dynamique familiale. Ce livre, assez court, prend notamment l'exemple du jeune Eric V. et nous expose de quelle manière les défaillances parentales l'ont mené à l'internement, ainsi que la résolution (au moins partielle) du problème par la thérapie familiale.
Les théories exposées ici ont beau ne plus être d'actualité, à l'heure de la neurobiologie, il est intéressant de réfléchir aux raisons d'être de la psychiatrie et de ses méthodes. Cinquante ans sont passés depuis la publication mais le maintien de l'ordre social par le soin psychiatrique, lui, est toujours bien présent dans notre système. Aussi il semble bon de se plonger de temps en temps dans des livres comme celui-ci.

Challenge XXème siècle
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Lu il y a quelques années, ce livre m'avait frappé et délecté. J'adore qu'on remette en question des institutions qui me semblent parfois en perte de sens. La psychiatrie l'a été, l'est encore bien sûr.
Néanmoins, travaillant dans ce secteur, je peux constater un vrai gap entre les descriptions du livre, les idées sous-jacentes aux thérapeutiques psychiatriques et l'actualité des pratiques, dans la pratique. Les problèmes sont plus dans le manque de temps et de moyens bien alloués que de volonté d'humaniser les patients ou de les traiter humainement. Un autre genre de déshumanisation prend le pas.
Il s'agit de fait d'un livre "historique", qui sera un jour préhistorique, je l'espère car son contenu est par trop terrifiant.
S'il est bon de connaître son histoire, il est bon de lire ce livre. Qu'on n'oublie pas et qu'on continue à humaniser de plus en plus tout le champ de la psychiatrie et de la santé mentale (vs parler de maladie mentale).
En écrivant ceci, je me dis que ce livre et d'autres du même sillon, ont déjà fait franchement leurs effets, car le regard sur la personne schizophrène a nettement évolué et sans doute cette belle mouvance n'en est pas irresponsable.
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Citations et extraits (57) Voir plus Ajouter une citation
La caractéristique principale du commandement authentique est peut-être le renoncement à la tendance de domination sur autrui. La domination signifie ici le contrôle du comportement d’autrui, quand ce comportement représente pour le chef la projection de certains aspects de sa propre expérience. En dominant les autres, le chef se donne à lui-même l’illusion que son organisation interne propre est de plus en plus parfaitement ordonnée. […] Certains chefs osent voir le monde avec des yeux décillés ; d’autres préfèrent en avoir une vision à travers leur anus. Les camps d’extermination nazis étaient un produit de ce Rêve de Perfection. L’hôpital psychiatrique, ainsi que bien d’autres institutions de notre société, en est un autre. Dans le camp, les existences physiques étaient systématiquement annihilées, puisque chaque corps, dans la logique du fantasme, contenait la projection de la méchanceté, de l’anomalie sexuelle, de l’absurdité des fonctionnaires du camp et de la société qu’ils représentaient. Le meurtre était toujours un meurtre rituel visant à la purification du meurtrier, et comme c’était essentiellement une façon d’échapper à la culpabilité, comment pourrait-on supposer que les meurtriers eussent dû se sentir coupables à cause de cela ? A l’hôpital psychiatrique, on soigne attentivement les corps, mais on assassine les personnalités individuelles.
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De nos jours, nombre de personnes vont de leur plein gré chercher chez leur docteur un secours psychiatrique. Pour la plupart, ces gens, en termes très pratiques, cherchent à se faire donner un ensemble de techniques qui leur permettraient de se conformer au mieux et au plus près à l’attente globale de la société. Et ils sont généralement aidés dans cette recherche. Un petit nombre de personnes égarées vont chercher chez le psychiatre une sorte de direction spirituelle. Ceux-là, généralement, perdent assez vite leurs illusions.
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Dans l'imagerie populaire, les schizophrène est le prototype du fou, il est l'auteur d'actes insensés, parfaitement gratuits et toujours empreints de violence à l'égard d'autrui. Il se moque des gens normaux (son "affectation", ses "grimaces", ses "bouffonneries" sont des moyens subtils qu'il a pour se mettre en retrait), mais en même temps il leur fournit les éléments de sa propre invalidation. Il est l'homme illogique, celui dont la logique est "malade". Ou du moins le dit-on. Mais peut-être pourrions-nous découvrir un noyau de sens au coeur de ce non-sens apparent. D'où vient-il donc, ce lunatique ? D'où vient-il et comment est-il arrivé parmi nous ? Se pourrait-il que sa folie dissimulât une secrète santé ?
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Cette conception des relations humaines s’éclairera par l’exemple suivant : Je regarde subrepticement à travers le trou d’une serrure une scène intime qui se passe dans la pièce voisine. Je m’aperçois d’une présence derrière moi. Je me retourne et découvre que quelqu’un m’observait. A ce moment, il se produit une « hémorragie ». La pure subjectivité que j’ai été en tant qu’observateur de la scène dans la pièce voisine s’écoule de mon monde dans le monde de l’autre, où je ne deviens plus qu’un objet honteux observé par lui –au moins jusqu’à ce que je trouve un moyen de regagner mon existence, de retourner au centre de mon monde, et de réduire l’autre en retour à n’être qu’un objet pour moi. C’est la dialectique entre l’acceptation d’être à la périphérie et la saisie du centre.
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« Les caractéristiques générales de cette situation (de double contrainte) sont les suivantes :
1. Quand un individu est engagé dans une relation intense ; c’est-à-dire une relation dans laquelle il sent être d’une importance vitale pour lui de distinguer avec précision quelle sorte de message lui est communiquée, afin de pouvoir y donner la réponse appropriée ;
2. et lorsque cet individu est mis dans une situation où son partenaire, à l’intérieur de la relation, émet deux ordres de messages dont l’un contredit l’autre ;
3. alors l’individu est incapable de commenter les messages émis pour mieux distinguer auquel des deux il doit répondre ; c’est-à-dire qu’il est incapable de formuler un jugement qui relève de la métacommunication. »
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