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Henri Thomas (Préfacier, etc.)Jean-Louis Lalanne (Éditeur scientifique)
EAN : 9782070318315
311 pages
Gallimard (25/05/1973)
3.96/5   175 notes
Résumé :
Unique recueil de poèmes de Tristan Corbière, publié à compte d'auteur et qui passa inaperçu. Corbière, qui ne connut aucun succès de son vivant, sera révélé de manière posthume par Verlaine, qui lui consacre un chapitre de son essai Les Poètes maudits (1883).
Les Amours jaunes évoquent la grande ville moderne et la campagne bretonne, la fébrilité — ou la légèreté — amoureuse du poète et la vie virile des matelots, les légendes anciennes et les événements his... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (18) Voir plus Ajouter une critique
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C'est un vieux breton du Finistère qui m'a fait aimer Corbière, breton éternellement jeune, mort à 30 ans, inconnu, méconnu, dans sa misère noire et ses amours jaunes..

Poésie virile et gouailleuse, désespérée et cynique, faite de bribes de paroles,échangées par-dessus bord, faite de mots jetés comme des ponts fragiles par-dessus les silences qui s'entendent toujours quand on parle sans se rencontrer.

Poésie d'ellipses pudiques et d'images au vitriol. Poésie de pipes mal embouchées et de coques mal calfatées. Poésie de désirs éconduits et de fringales inassouvies.

Relire Corbière c'est se retourner vite pour tenter d'entrevoir le coin d'un pardessus troué qui disparaît derrière le phare, la fumée d'une pipe qui se dissipe dans un bouge du port, ...et sentir son coeur se serrer..
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"...Ou reste, et bois ton fond de vie,
Sur une nappe desservie..."

Comment résister, quand quelqu'un vous balance dans le giron un livre de poésie, avec les mots : "Lis ça, c'est Corbière ! C'était un fou, ça va te plaire !"
Etrange façon de recommander un poète, ou peut-être la meilleure...
Quoi qu'il en soit, je peux me vanter par la même occasion d'avoir tranché l'intégrale de ce poète maudit, car dans sa courte vie (même pas trente ans !) il n'a sorti que ce seul et unique recueil : "Les Amours jaunes".

Déjà, le titre... Pourquoi les amours "jaunes" ? Le jaune joyeux des pissenlits qui poussent au printemps, ou jaune comme les roses de l'infidélité et de la jalousie, que s'offraient jadis les amants déçus ? Jaune comme la couleur de la trahison et le signe de prostituées ? L'aurore couleur citron au-dessus de la Bretagne, ou le pâle jaunâtre sur le visage cireux d'un malade ? Il est difficile de comprendre Corbière. Il avait peut-être du mal à se comprendre lui-même.

L'un des grands amours de Corbière est la mer. La grosse masse d'eau salée qui bouillonne et frappe les côtes de la Bretagne, en apportant en même temps la destruction et de quoi subsister. Une belle partie des poèmes est dédiée à la mer. Mais Corbière n'était pas marin, ivrogne et joueur de cartes avec une femme dans chaque port, comme il veut parfois nous laisser croire. Le jeune homme maigre et déséquilibré n'a aimé qu'une seule femme - une actrice italienne entretenue par un homme influent. Un "amour jaune", et un grand malheur pour celui qui se trouvait lui-même répugnant. Puis, la tuberculose...

"Rose, rose-d'amour vannée,
Jamais fanée,
le rouge-fin est ta couleur,
Ô fausse fleur !"

Je ne suis encore jamais tombée sur quelque chose qui ressemble au langage des "Amours jaunes". Les vers trébuchent, ne trouvent pas les mots justes, se répètent, oublient des parties de la phrase. Ils crient par les points d'exclamation, et deviennent silencieux avec les points de suspension. Les phrases nues comme les branches des arbres en novembre alternent avec les longues envolées poétiques. Sans aucun sens et aucune logique. L'attente de la Mort, mélangée avec les motifs érotiques et la beauté de la Bretagne.
Peut-être que Corbière s'en fichait. Il inventait les dates et les endroits de la rédaction de ses poèmes pour confondre le lecteur. Il disait qu'il ne connaissait pas l'art, et l'art ne le connaissait pas. Il renonce au romantisme et à l'harmonie, il provoque, il parodie. Il cuisine avec amertume, pathos et passion.

"Dans mon chapeau, la lune
Brille à travers les trous,
Bête et vierge comme une
Pièce de cent sous !"

Corbière a vécu dans un déguisement d'aventurier qui n'était pas adapté à son corps fragile. Ses "Amours jaunes" étaient un flop absolu lors de leur sortie. On n'a pu le redécouvrir que grâce à Paul Verlaine, qui l'a rajouté dans les rangs des Poètes maudits. Heureusement. Sinon, nous serions privés de ce solitaire unique.

"Dans ton boîtier, Ô Fenêtre !
Calme et pure, gît peut-être...
.................
Un vieux monsieur sourd !"

C'est ça, Corbière était fou ! Et j'ai beaucoup aimé. Quatre étoiles jaunes fichées directement dans le coeur, et une demi, qui s'est brisée sur mon esprit parfois borné.
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Publiés pour la première fois à compte d'auteur en 1873, Les Amours Jaunes passent totalement inaperçus auprès du public, tout comme leur auteur, un certain Tristan Corbière. Il faudra attendre l'initiative et l'hommage rendu en 1884 par Paul Verlaine dans un article consacré aux Poètes Maudits (y figurent aussi Lautréamont et Rimbaud) pour que Tristan Corbière et ses amours Jaunes bénéficient d'un début de reconnaissance.
Garçon à la santé précaire et à la scolarité difficile, Corbière s'est toujours voulu à l'écart des autres. Plus tard, devenu un jeune dandy marginal, il a acquit une grande culture littéraire. L'influence de son père - Édouard Corbière, officier de marine devenu plus tard journaliste et écrivain - y est pour beaucoup. Elle restera déterminante sur tout son travail d'écriture. Il lui dédiera d'ailleurs Les Amours Jaunes.

Je suis entré dans la lecture des amours Jaunes sans préjugés, avec beaucoup de curiosité. Ma surprise fut grande de découvrir une poésie très particulière, quelque chose de totalement à part.
La poésie de Tristan Corbière est comme un flot d'écriture ininterrompu, qui emporte avec lui calembours, mots d'argot, termes d'ancien français, syllogismes, références littéraires et mythologiques. Un fourre-tout exalté et exaltant !

Tout au long des amours Jaunes, Corbière oppose sa vérité personnelle aux impostures romantiques (courant littéraire qui était dominant à l'époque), il souhaite opérer une démystification de la poésie et de la place du poète qu'il juge trop surannés et mensongers. Pour cela, pas de théorie, pas de manifeste. Seule la passion des mots agit.

« Elle était riche de vingt ans,
Moi j'étais jeune de vingt francs,
Et nous fîmes bourse commune,
Placée, à fonds perdu, dans une
Infidèle nuit de printemps...

La lune a fait un trou dedans,
Rond comme un écu de cinq francs,
Par où passa notre fortune :
Vingt ans ! vingt francs !... et puis la lune !

En monnaie - hélas - les vingt francs !
En monnaie aussi les vingt ans !
Toujours de trous en trous de lune,
Et de bourse en bourse commune...
- C'est à peu près même fortune ! »*


Était-ce la volonté de Corbière mais Les Amours Jaunes semblent se décomposer en deux parties, deux parties où le style diffère.

La première débute par un très beau poème « le Poète & la Cigale » (la référence à La Fontaine est évidente) et se poursuit dans un registre dans lequel Corbière évoque, en les mêlant, sa vie sociale et amoureuse. Dans Ça, Les Amours Jaunes ou encore Raccrocs, le poète se révèle implacable, utilise tous les registres du langage, sonde son époque avec tout le pittoresque, l'ironie, la drôlerie l'irrévérence et parfois jusqu'à l'autodérision.

Dans la seconde partie, l'auteur délaisse la dimension personnelle de sa poésie pour la concentrer sur la vie d'une collectivité plus large, plus anonyme. Dans Armor et Gens de Mer, Corbière fait un portrait marquant de la Bretagne (région dont il est originaire) au travers de ses traditions, des villageois, des pêcheurs. Ici, la forme comme le style paraissent plus convenus, plus hésitants entre modernité et tradition. Mais le charme n'en finit pas d'opérer.

Pour Corbière, écrire c'est aller où mènent les mots. La lecture des amours Jaunes n'est pas autre chose. Rentrer dans cette oeuvre, c'est accepter de se laisser emporter par l'imprévu, par l'inconnu, par l'autre que soi. C'est aller et revenir vers la plus belle des destinations, celle qui va des mots à l'imaginaire.

« […]
Poète, en dépit de ses vers ;
Artiste sans art, - à l'envers ;
Philosophe, à tort à travers.

Un drôle sérieux, - pas drôle.
Acteur: il ne sut pas son rôle ;
Peintre: il jouait de la musette ;
Et musicien: de la palette.

Une tête ! - mais pas de tête ;
Trop fou pour savoir être bête ;
Prenant pour un trait le mot très.
- Ses vers faux furent ses seuls vrais.

Oiseau rare et de pacotille ;
Très mâle... et quelquefois très fille ;
Capable de tout, bon à rien ;
Gâchant bien le mal, mal le bien.
Prodigue comme était l'enfant
Du Testament, - sans testament.
Brave, et souvent, par peur du plat,
Mettant ses deux pieds dans le plat.

Coloriste enragé, - mais blême ;
Incompris... surtout de lui-même ;
Il pleura, chanta juste faux ;
- Et fut un défaut sans défauts.

Ne fut quelqu'un, ni quelque chose.
Son naturel était la pose.
Pas poseur, posant pour l'unique ;
Trop naïf, étant trop cynique ;
Ne croyant à rien, croyant tout.
- Son goût était dans le dégoût.

Trop cru, - parce qu'il fut trop cuit,
Ressemblant à rien moins qu'à lui,
Il s'amusa de son ennui,
Jusqu'à s'en réveiller la nuit.
Flâneur au large, - à la dérive,
Épave qui jamais n'arrive...

Trop Soi pour se pouvoir souffrir,
L'esprit à sec et la tête ivre,
Fini, mais ne sachant finir,
Il mourut en s'attendant vivre
Et vécut s'attendant mourir.

Ci-gît, - coeur sans coeur, mal planté,
Trop réussi - comme raté. »


J'ai lu Les Amours Jaunes dans l'édition qu'en a fait le Livre de Poche en 2003. Je veux faire une mention particulière au travail remarquable de Christian Angelet. Sa présentation et ses annotations de l'oeuvre sont précieuses et rendent
plus fascinante encore la découverte de Tristan Corbière et de ses amours Jaunes.

(*) extrait de « À la mémoire de Zulma - Vierge-folle hors Barrière et d'un Louis. Bougival, 8 mai. » - Page 73
(**) extrait de « Ça » - pages 51-52
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Les amours jaunes - Tristan Corbière.

Dans trois éditions, entre 1884 puis en 1888, Verlaine (1844-1896) publie un ouvrage « Les poètes maudits » dans lequel il rend hommage au Parnasse et à quelques autres poètes dont lui-même, caché sous un pseudonyme de Pauvre Lelian, et à Rimbaud notamment. L'expression remonte au romantisme et désigne des poètes incompris de leur vivant à cause de leurs textes difficiles et qui, rejetés par la société, se comportent d'une manière scandaleuse, dangereuse voire autodestructrice. On pense évidemment à Rimbaud. Dans cette liste il révèle le nom de Tristan Corbière, en réalité Edouard-Joachim dit Tristant (1845-1875), poète breton, épris d'aventures maritimes, complètement inconnu de son vivant, proche des symbolistes et auteur d'un seul recueil de poèmes « Les amours jaunes » publié à compte d'auteur en 1873 mais réédité en 1891. Mort à vingt neuf ans, il eut une enfance bourgeoise (il est le fils d'Édouard-Antoine Corbière, romancier et marin), voyageuse mais difficile, marquée par la maladie qui l'obligea à arrêter ses études, mena une vie parisienne marginale, solitaire, mélancolique et misérable. Il rencontra une petite actrice parisienne, Armida Josefina Cuchiani qui devint sa muse et qu'il nomme bizarrement « Marcelle », cigale italienne qui était la maîtresse du comte Rodolphe de Battine, et à qui il dédit deux poèmes éponymes qui encadrent le recueil et s'inspirent de la fable De La Fontaine. Il semblerait qu'elle ait été une femme volage qui maintint Corbière en dehors de sa vie et se refusa à lui, ne lui laissant que les pensionnaires du bordel qu'il nomme « cocotes ». Sous sa plume, la femme sera toujours associée à la nuit, cachée derrière le masque de l'hypocrisie, une sorte d'être un peu mystérieux, accessible mais lointain et vénal.
Ce titre est énigmatique, évoque peut-être la couleur de la trahison ou peut-être l'envie de rire(jaune) de lui-même qui est un être incompris et de ses échecs amoureux dus à sa laideur (« Le crapaud »), les villageois le surnommant «l' Akou » , la mort. L'ouvrage se présente d'une manière un peu hétéroclite en 7 parties, « Ça », « Les amours jaunes », « Sérénades des sérénades », « Raccrocs », « Armor », « Gens de mer », « Rondels pour après » en tout une centaine de poèmes. Corbière s'inspire de la ville, des rues, de la Bretagne et de ses légendes, de la mer, des marins. Sur le plan de la forme, la ponctuation est hachée, faite de tirets, de points d'exclamation et de suspension ce qui lui confère un rythme irrégulier, il use d'onomatopées, de l'argot mais aussi de mots latins, anglais, espagnols ou italiens, déstructure le sonnet (« Le crapaud »), pratique la rime, parfois un peu facile, adopte l'alexandrin mais en malmène la césure, fait des répétitions. On a l'impression d'une écriture quasi automatique (c'est sans doute pour cela que les surréalistes aimèrent Corbière), heurtée, brute, de laquelle il ressort un aspect tragique, une sorte de mal-être exprimé ainsi par un homme qui se sent exclu du monde, qui combat et exorcise ainsi cette solitude. Il y a, dans son écriture, une dimension spontanée et cathartique exceptionnelle.

L'art est pour l'homme une façon de témoigner de l'idée qu'il se fait de sa vie, de la partager avec le reste du monde et cela lui attire soit la notoriété, la critique ou pire l'indifférence de ses contemporains. Il le fait dans l'imitation des ses maîtres ou dans la volonté de faire évoluer les choses, de renverser la table, de marquer son passage sur terre, de s'inscrire en faux face aux courants littéraires de son époque. Corbière, qui n'a sûrement pas aimé sa vie et qui ne s'est sans doute pas aimé lui-même, a exprimé à sa manière toute la révolte et la violence qu'il portait en lui et, à titre personnel, je respecte cette voix d'autant qu'elle n'a vraiment résonné qu'après sa mort. Son cri est celui de la désespérance.
En ce qui me concerne, je demande à l'art en général et à la poésie en particulier, de me procurer ce petit supplément d'âme et d'émotion intime qui fait que je m'attache à un artiste à raison de ce qu'il nous a laissé en héritage. Corbière a pratiqué la sincérité et même l'impulsivité sans souci des règles de la prosodie et je retiens cela, mais je ne rencontre pas dans ses poèmes la couleur et la musique qui d'ordinaire me parlent et m'émeuvent.
©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com
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Le plus grand coup de foudre de mes années de fac, dans lequel je replonge avec un plaisir jamais abîmé. Et pourtant la poésie ne me touche que rarement. Mais ce verbe heurté, cette ironie mordante, ce cynisme sans espoir, ce mélange de rire et de hantises, de beauté et d'insolence, cette manière de déconstruire la langue et à peu près tout le reste, en tissant au passage des vers si percutants... J'adore.
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Pièce à carreaux

Ah ! si Vous avez à Tolède,
Un vitrier
Qui vous forge un vitrail plus raide
Qu’un bouclier !…

À Tolède j’irai ma flamme
Souffler, ce soir ;
À Tolède tremper la lame
De mon rasoir !

Si cela ne vous amadoue :
Vais aiguiser,
Contre tous les cuirs de Cordoue,
Mon dur baiser :

— Donc — À qui rompra : votre oreille,
Ou bien mes vers !
Ma corde-à-boyaux sans pareille,
Ou bien vos nerfs ?

— À qui fendra : ma castagnette,
Ou bien vos dents…
L’Idole en grès, ou le Squelette
Aux yeux dardants !

— À qui fondra : vous ou mes cierges,
Ô plombs croisés !…
En serez-vous beaucoup plus vierges,
Carreaux cassés ?

Et Vous qui faites la cornue,
Ange là-bas !…
En serez-vous un peu moins nue,
Les habits bas ?

— Ouvre ! fenêtre à guillotine :
C’est le bourreau !
— Ouvre donc porte de cuisine !
C’est Figaro.

… Je soupire, en vache espagnole,
Ton numéro
Qui n’est, en français, Vierge molle !
Qu’un grand ZÉRO.
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APRÈS LA PLUIE

J’aime la petite pluie
Qui s’essuie
D’un torchon de bleu troué !
J’aime l’amour et la brise,
Quand ça frise…
Et pas quand c’est secoué.

— Comme un parapluie en flèches,
Tu te sèches,
Ô grand soleil ! grand ouvert…
A bientôt l’ombrelle verte
Grand’ouverte !
Du printemps — été d’hiver. —

La passion c’est l’averse
Qui traverse !
Mais la femme n’est qu’un grain :
Grain de beauté, de folie
Ou de pluie…
Grain d’orage — ou de serein. —

Dans un clair rayon de boue,
Fait la roue,
La roue à grand appareil,
— Plume à queue — une Cocotte
Qui barbote ;
Vrai déjeuner de soleil !
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SOUS UN PORTRAIT DE CORBIERE
EN COULEURS FAIT PAR LUI ET DATÉ DE 1868


Jeune philosophe en dérive
Revenu sans avoir été,
Cœur de poète mal planté :
Pourquoi voulez-vous que je vive ?

L’amour !... je l’ai rêvé, mon cœur au grand ouvert
Bat comme un volet en pantenne
Habité par la froide haleine
Des plus bizarres courants d’air ;
Qui voudrait s’y jeter ?... pas moi si j’étais Elle !...
Va te coucher, mon cœur, et ne bats plus de l’aile.

J’aurais voulu souffrir et mourir d’une femme,
M’ouvrir du haut en bas et lui donner en flamme,
Comme un punch, ce cœur-là, chaud sous le chaud soleil...
Alors je chanterais (faux, comme de coutume)
Et j’irais me coucher seul dans la trouble brume
Éternité, néant, mort, sommeil, ou réveil.

Ah si j’étais un peu compris ! Si par pitié
Une femme pouvait me sourire à moitié,
Je lui dirais : oh viens, ange qui me consoles !...
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
... Et je la conduirais à l’hospice des folles.

On m’a manqué ma vie !... une vie à peu près ;
Savez-vous ce que c’est : regardez cette tête.
Dépareillé partout, très bon, plus mauvais, très
Fou, ne me souffrant... Encor si j’étais bête !

La mort... ah oui, je sais : cette femme est bien froide,
Coquette dans la vie ; après, sans passion.
Pour coucher avec elle il faut être trop roide...
Et puis, la mort n’est pas, c’est la négation.

Je voudrais être un point épousseté des masses,
Un point mort balayé dans la nuit des espaces,
...Et je ne le suis point !

Je voudrais être alors chien de femme publique,
Lécher un peu d’amour qui ne soit pas payé ;
Ou déesse à tous crins sur la côte d’Afrique,
Ou fou, mais réussi ; fou, mais pas à moitié.
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Cris d'aveugle

L'oeil tué n'est pas mort
Un coin le fend encor
Encloué je suis sans cercueil
On m'a planté le clou dans l'oeil
L'oeil cloué n'est pas mort
Et le coin entre encor

Deus misericors
Deus misericors
Le marteau bat ma tête en bois
Le marteau qui ferra la croix
Deus misericors
Deus misericors

Les oiseaux croque-morts
Ont donc peur à mon corps
Mon Golgotha n'est pas fini
Lamma lamna sabacthani
Colombes de la Mort
Soiffez après mon corps

Rouge comme un sabord
La plaie est sur le bord
Comme la gencive bavant
D'une vieille qui rit sans dent
La plaie est sur le bord
Rouge comme un sabord

Je vois des cercles d'or
Le soleil blanc me mord
J'ai deux trous percés par un fer
Rougi dans la forge d'enfer
Je vois un cercle d'or
Le feu d'en haut me mord

Dans la moelle se tord
Une larme qui sort
Je vois dedans le paradis
Miserere, De profundis
Dans mon crâne se tord
Du soufre en pleur qui sort

Bienheureux le bon mort
Le mort sauvé qui dort
Heureux les martyrs, les élus
Avec la Vierge et son Jésus
O bienheureux le mort
Le mort jugé qui dort

Un Chevalier dehors
Repose sans remords
Dans le cimetière bénit
Dans sa sieste de granit
L'homme en pierre dehors
A deux yeux sans remords

Ho je vous sens encor
Landes jaunes d'Armor
Je sens mon rosaire à mes doigts
Et le Christ en os sur le bois
A toi je baye encor
O ciel défunt d'Armor

Pardon de prier fort
Seigneur si c'est le sort
Mes yeux, deux bénitiers ardents
Le diable a mis ses doigts dedans
Pardon de crier fort
Seigneur contre le sort

J'entends le vent du nord
Qui bugle comme un cor
C'est l'hallali des trépassés
J'aboie après mon tour assez
J'entends le vent du nord
J'entends le glas du cor
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Tristan Corbière – Ça ?


What ?...

Shakespeare

Des essais ? — Allons donc, je n’ai pas essayé !
Étude ? — Fainéant je n’ai jamais pillé.
Volume ? — Trop broché pour être relié...
De la copie ? — Hélas non, ce n’est pas payé !

Un poëme ? — Merci, mais j’ai lavé ma lyre.
Un livre ? — ... Un livre, encor, est une chose à lire !...
Des papiers ? — Non, non, Dieu merci, c’est cousu !
Album ? — Ce n’est pas blanc, et c’est trop décousu.

Bouts-rimés ? — Par quel bout ?... Et ce n’est pas joli !
Un ouvrage ? — Ce n’est poli ni repoli.
Chansons ? — Je voudrais bien, ô ma petite Muse !...
Passe-temps ? — Vous croyez, alors, que ça m’amuse ?

— Vers ?... vous avez flué des vers... — Non, c’est heurté.
— Ah, vous avez couru l’Originalité ?...
— Non... c’est une drôlesse assez drôle, — de rue —
Qui court encor, sitôt qu’elle se sent courue.

— Du chic pur ? — Eh qui me donnera des ficelles !
— Du haut vol ? Du haut mal ? — Pas de râle, ni d’ailes !
— Chose à mettre à la porte ? — ... Ou dans une maison
De tolérance. — Ou bien de correction ? — Mais non !

— Bon, ce n’est pas classique ? — À peine est-ce français !
— Amateur ? — Ai-je l’air d’un monsieur à succès ?
Est-ce vieux ? — Ça n’a pas quarante ans de service...
Est-ce jeune ? — Avec l’âge, on guérit de ce vice.

... ÇA c’est naïvement une impudente pose ;
C’est, ou ce n’est pas ça : rien ou quelque chose...
— Un chef-d’œuvre ? — Il se peut : je n’en ai jamais fait.
— Mais, est-ce du huron, du Gagne, ou du Musset ?

— C’est du... mais j’ai mis là mon humble nom d’auteur,
Et mon enfant n’a pas même un titre menteur.
C’est un coup de raccroc, juste ou faux, par hasard...
L’Art ne me connaît pas. Je ne connais pas l’Art.

Préfecture de police, 20 mai 1873.
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