C'est une intervention d'
Anne Cordier lors d'une journée d'échanges entre professeurs documentalistes qui m'a donné envie de découvrir son enquête sur ce que les jeunes « pensent d'internet, ce qu'ils y font, comment ils recherchent l'information avec », en vue de réfléchir aux méthodes d'enseignement. J'avoue avoir failli abandonner ma lecture au premier chapitre : dans celui-ci, l'autrice justifie sa démarche en long et en large à grand renfort de définitions de notions, et je n'en pouvais plus des nombreuses notes et circonvolutions universitaires. Heureusement par la suite, elle laisse la part belle aux transcriptions de ses échanges avec les collégiens et lycéens. J'ai beaucoup apprécié qu'elle livre leurs paroles telles quelles, avec leurs hésitations, leur façon de parler, leurs expressions : c'est très réaliste et tellement juste !
Ces dialogues commencent par bousculer les idées reçues : ce n'est pas parce qu'ils sont des « digital natives » que tous les jeunes sont à l'aise avec le numérique (« Le problème, c'est que les profs ils considèrent qu'on doit connaître, et qu'on sait faire »). Les adolescents interrogés insistent également sur les discours « excessifs » des adultes sur les dangers d'internet (« On ne fait pas n'importe quoi. », « Oui je passe beaucoup de temps en ligne, mais j'ai une vie, ça va merci ! »). Enfin, internet a de nombreux bons côtés : on développe sa connaissance de l'anglais, on rencontre de nouvelles personnes, on tisse des liens avec des personnes du monde entier autour d'intérêts communs (« Ils font partie de ma vie numérique »). Et puis ne pas faire comme les autres (sur les réseaux sociaux notamment), c'est prendre le risque de n'avoir rien à dire lors des conversations de groupe : « L'expertise en matière d'internet pèse dans les relations amicales, sociales, que les jeunes entretiennent avec leurs pairs », c'est un facteur d'intégration non négligeable.
Dès lors, on comprend qu'un adolescent qui ne maîtrise pas bien l'outil affiche une nette dévalorisation de soi (« Je suis nul·le », « Je sais pas comment ça marche et j'ai la honte »). Or, seulement 4 à 7 % se familiariseraient au numérique à l'école primaire... Certains évitent le problème, se résignent. D'autres mentent pour faire croire qu'ils maîtrisent. Cependant la plupart vont chercher à se former en s'appuyant sur des démarches d'observation, d'imprégnation, d'imitation des personnes de leur entourage. C'est l'apprentissage non formel au sein du groupe familial qui prédomine (un parent, un grand frère ou une grande soeur, qui partage son savoir en la matière). Mais l'expertise circule aussi entre camarades : l'entraide en cours booste la prise en main par la suite à la maison (« après je cherche toute seule comme une grande »). L'autonomie conquise grâce à la bienveillance des autres procure un véritable sentiment de fierté.
Comme on le constate, cette étude met en avant la psychologie adolescente et aide à prendre conscience de la façon dont les jeunes voient les choses, distinguant bien les pratiques « non formelles » de celles utilisées dans le cadre scolaire. Personnellement, je n'ai pas eu l'impression d'apprendre grand-chose de nouveau, sûrement parce que je suis prof doc en collège et maman d'une lycéenne et d'un étudiant. Je vois bien comment cela se passe au quotidien, dans et hors contexte scolaire, et cet ouvrage enfonce des portes ouvertes. Il conviendrait davantage, je pense, aux autres enseignants (ainsi qu'aux parents) afin qu'ils en tiennent compte lors des séances pédagogiques requérant l'outil numérique.
Anne Cordier conclut d'ailleurs sur quelques suggestions (« Et maintenant ? ») : développer une culture technologique (« s'éloigner d'une conception encore trop souvent procédurale même si elle est nécessaire ») afin que les jeunes comprennent les implications de l'utilisation d'un outil (« construire sa propre carte mentale de l'univers informationnel »), structurer les apprentissages avec des méthodes et des connaissances, encourager le partage d'expérience entre élèves mais aussi entre élèves et adultes car enseigner, c'est autant transmettre que recevoir !