Comme si les temps n'étaient pas assez difficiles comme ça, il a fallu qu'en plus la sortie de "Kaamelott" au cinéma soit repoussée aux calendes grecques! O rage, ô désespoir, ô cruauté! Qu'on me laisse pleurer et tempêter!
Heureusement pour contrer le mauvais sort et adoucir (un peu) l'amertume, j'ai enfin réussi à mettre la main sur les deux derniers tomes de la "Saga du Roi Arthur" orchestrée de main de maître par son auteur
Bernard Cornwell et ce ne fut pas sans mal ni difficulté. C'est à croire que les éditeurs français ont un problème avec ce romancier pourtant connu et reconnu outre-Manche pour ne pas rééditer certains de ses romans et m'avoir fait me sentir, une fois les précieux entre mes mains, comme Arthur se saisissant d'Excalibur la première fois et Galaad devant le Graal.
Autant vous dire que je me suis jetée dans leur lecture séance tenante, comme une affamée sur du pain après des jours de cendre et de famine. J'exagère moi? A peine!
"L'Ennemi de Dieu" constitue ainsi le second volet de la saga du Roi Arthur telle que l'a imaginée Cornwell, une saga à la sauce réaliste et qui s'inscrit au coeur de la Bretagne du Vème siècle et il est aussi réussi, voire meilleur, que "Le Roi de l'Hiver", chose d'autant plus remarquable pour moi que souvent dans les trilogies, les seconds tomes me paraissent toujours un peu plus faibles, déceptifs, que les deux autres.
Nous y retrouvons Derfel, l'un des compagnons les plus fidèles d'Arthur, devenu vieux et croupissant dans un monastère chrétien sous le joug de son ancien ennemi, l'évêque Samsum (je ne me lasse pas de me questionner sur ce qui l'a conduit là ce pauvre Derfel...et j'ai peur de ce que m'apprendra "Excalibur"). Pour passer le temps et lui faire plaisir, l'ancien brave raconte à sa jeune souveraine -Igraine- l'épopée d'Arthur et ressuscite pour elle les temps anciens qui furent ceux de sa jeunesse et de la gloire des Bretons; ces temps qui pour violents et sanguinaires qu'ils paraissent, furent aussi ceux d'un homme (trop) idéaliste qui parvint à unir sous une seule et même bannière tous les clans de la Bretagne pour la libérer de la menace saxonne pour un temps.
Le temps d'un rêve.
Seulement, le temps d'un rêve.
Le roman s'ouvre au lendemain de la bataille de Lugg Vale, sur laquelle se terminait "Le Roi de l'Hiver". Arthur en sort vainqueur et pour la Dumnonie et les royaumes bretons, cette victoire semble sonner les débuts d'une ère de paix. Hélas, c'est sans compter sur les hordes saxonnes plus belliqueuses que jamais, sur les chrétiens fanatiques et leur volonté de convertir -de gré ou de force- les païens et d'asservir les anciens dieux contre lesquels Merlin et Nimue entrent en guerre, quitte à plonger la Bretagne dans la guerre civile. C'est sans compter non plus sur les trahisons qui se tissent dans l'ombre mais tout près.
C'est noir, c'est violent, c'est sale, c'est désespéré. Il y a de la boue, il y a du sang. Des cris et des larmes. Des sacrifices, des abjections. C'est sauvage et presque terrible mais prenant, addictif, une réussite et ce sans doute pour plusieurs raisons.
Il y a la fluidité de l'écriture, il y a le rythme enlevé, échevelé du roman qui ne laisse aucun répit au lecteur, pour peu qu'il en réclame -ce qui ne fut pas mon cas-, il y a cette narration laissée à Derfel, personnage attachant et qui permet à la légende d'être racontée sous un angle inédit, il y les allers-retours de ce dernier entre son présent et le passé et cette manie qu'il a de nous torturer en annonçant sans les révéler les grands évènements à venir qui soulèvent autant de questions qu'ils apportent de réponses, nous condamnant ainsi à rester fidèles à son récit jusqu'à la fin. Il y a le respect global de la légende serti dans un cadre historique réaliste et vraisemblable et ce que veut en faire Igraine. Il y a les personnages traités avec beaucoup de complexité et de finesse. Il y a Arthur et ses faiblesses, mais tellement émouvant, tellement grand.
Enfin, il y a au milieu de tout le sang et la boue de l'épopée, des combats et des trahisons, cette mélancolie qui est pour moi indissociable de la légende arthurienne, ce regret lancinant de ce qui fut et qui n'est plus. du rêve fou de cet homme devenu légende qui ne fut qu'un mirage parce qu'il était trop droit, trop épris d'équité et parce qu'il croyait que les autres étaient comme lui.
On oublie souvent cet aspect là du mythe: Arthur a fini par perdre et les saxons et Mordred ont gagné.
C'est d'une tristesse sans fin mais c'est aussi ce qui le rend si grand.
Tout comme la défaite de Troie a rendu Hector plus immortel encore.