On mène le monde avec un cylindre da caoutchouc qui tient dans la main ; si on tourne un peu vers la gauche,tous les arbres ne sont plus qu'un seul arbre tendu au long du chemin; et si on tourne un peu à droite, alors le géant vert se défait en centaines de peupliers qui courent à votre rencontre, les pylônes de haute tension avancent lentement un à un, la course est une cadence heureuse où pruvent enfin entrer les mots, des lambeaux d'images qui ne sont pas celles de la route, le cylindre de caoutchouc tourne à gauche, le bruit monte, et monte, la corde du bruit se tend insupportablement, mais onne pense plus, tout n'est que machine, corps collé à la machine et vent sur le visage comme un oubli, Corbeil, Arpajon, Linas, Montlhéry, les peupliers à nouveau, la guérite de l'agent, la lumière de plus en plus violette, un air frais qui remplit la bouche entrouverte, ralentir, ralentir, à ce carrefour prendre à droite, Paris à dix-huit kilomètres, Cinzano, Paris à dix-sept kilomètres. "Et je ne me suis pas tué" pense Pierre en prenant lentement la route à gauche. "C'est incroyable que je ne me sois pas tué". La fatigue pése comme un passager derrière lui, une chose de plus en plus douce et nécessaire.
Auteur de nombreux recueils de nouvelles qui ont fait de lui le maître de la littérature fantastique, Julio Cortázar a laissé une oeuvre où les convictions côtoient l'onirisme et l'humour, s'imposant ainsi parmi les plus grands écrivains de la littérature latino-américaine moderne.
Lire Cortázar, c'est plonger dans un univers littéraire à la fois captivant et déroutant, où la réalité se mêle à l'imaginaire avec une habileté saisissante.
Tous les livres de Cortázar publiés chez Gallimard : https://www.gallimard.fr/Contributeurs/Julio-Cortazar