GastonCouté, hors du temps
A L'Européen, « le Discours du traîneux ››,
évocation du chansonnier et poète mort en1911
Voici, du fond de la mémoire, la voix d'
Edith Piaf qui annonce avec respect, pour une émission de radio, en 1949, qu'elle va chanter l'une des chansons préférées de son père Louis, contorsionniste de cirque: « La
Julie Jolie, de Gaston Couté, un jeune poète paysan qui est mort prématurément et misérablement comme beaucoup de poètes, sur une musique de Léo Daniderff ›› Et d'entonner: «A la loué de la Saint-Jean/Un fermier qui s'râtlait des rentes/ Dans l'champ d'misèr'des pauvres gens/ Alla s'enque'ri 'd 'eun' servante. ›› A écouter sur YouTube. Comme quelques années plus tard Suzy Solidor ou Patachou,
Edith Piaf avait enregistré, en 1936, deux chansons du poète beauceron, La Julie Iolie et Va danser. Depuis, Gaston Couté, né en 1880 et mort de tuberculose en 1911, n'a
cessé de « vivre ››.
Si
Bernard Lavilliers l'a repris à ses débuts (La Dernière Bouteille, en 1967, Premiers pas, le Christ en bois, en 1968), c'est.le chanteur et compositeur Gérard Pierron qui lui sa rendu ses galons de génial va-nu-pieds. Depuis 1977, date de sortie de son premier opus, La Chanson d 'un gâs qu'a mal tourné, Pierron n'a plus quitté l'univers du chansonnier libertaire. Il présente à L'Européen de Paris, jusqu'au 27 février, le Discours du traîneux, spectacle créé en 2007, avec la chanteuse québécoise Hélène Maurice et le comédien Bernard Meulien. Une exposition et un livre,
le Temps d'amour, comportant des textes choisis du poète, avec des reproductions de partitions et des illustrations de Couté, complète le spectacle.
Arrivé àParis en 1898, Gaston Couté va devenir le versant paysan de
Jehan Rictus (1867-1933), poète des cabarets montmartrois, auteur du Revenant (1896), où un sans-abri rencontre le Christ et le raconte en langage de la rue. Rictus faisait vivre l'argot parisien des clochards au Lapin agile ou aux
Quat'z'Arts; Gaston Couté y fit monter le patois de la Beauce, avec le même réalisme et la même conscience de l'éternelle exploitation de l'homme par l'homme. Fils de meunier, Couté est en rupture de banc, il écrit des chansons d'actualité pour des journaux anarchistes comme La Barricade et La Guerre sociale. Puis il sombre dans l'absinthe, à une époque de préparation guerrière, où les cocardiers prennent le pas sur les marginaux
de la colline de Montmartre, et dans la maladie.
Réflexion philosophique
En patois ou pas, les textes de Gaston Couté sont étonnamment vaillants. Gérard Pierron écrit dans la préface du Temps d 'amour que ce frère symbolique de Vincent van Gogh marche « sur ce qu 'il reste des chemins qui ne sont pas encore mangés... traînant sa horde de peineux, de trimardeux, de galvaudeux,de filles engrossées;.. ››
Chronique sociale, l'oeuvre deGaston Couté est aussi une réflexion philosophique sur le temps. On retrouvera
Jean Ferrat et sa Montagne dans La Dernière Bouteille,
Georges Brassens partout,
Léo Ferré en embuscade. Il y a de la cruauté, de la sensualité (Sur le pressoir, repris par le groupe parisien La Tordue), de la lucidité des hommes perdus : «Allons les houmm's, allons mes frères !/ J 'veux ben que j'nai pas I'drouet au pain/ Laissez-moué lidrouet à la chimè-re/ La chimèr douc' des saoulés d 'vin. ››
Article de
Véronique Mortaigne, paru dans le Monde du 25 février 2011
Le Discours du traîneux, par Gérard Pierron, HélèneMaurice.et Bernard Meulien. Théâtre de |'Européen, 5, rue Biot,
Paris 17€. M° Place-de-Clichy. Tel. :
O1-43-87-97-13.Jusqu'au 27 février, à
20 h 80. 22 €. Livre disque, «Le Temps
d'amour››, Piqu & Colégraph, 216 p., 24€.