Fidèle à mon programme de lecture hivernale, je me suis donc lancée dans
Body, le roman signé d'
Harry Crews. le romancier américain embarque ses lecteurs à Miami, dans un complexe hôtelier digne de ce nom, où va se jouer la plus grande compétition au monde de
bodybuilding, Madame et Monsieur Univers (Cosmos). Les candidats, accompagnés de leurs entraineurs débarquent par dizaines et prennent possession de l'ensemble hôtelier, pour le plus grand plaisir du directeur, un fan de la première heure, et de Julian, l'un de ses agents, amoureux de ces corps sublimes (chacun voit midi à sa porte). Un concours improvisé se tient au bord de la piscine où Shereel, une candidate sérieuse au trône vient se prélasser avec son coach. Shereel sait que le grand jour approche et voit son équilibre bouleversé lorsque sa famille de ploucs débarque de Georgie.
Harry Crewes possède un don : me fait rire jusqu'à pleurer !
Car la magie de Crews est celle de vous faire rire le premiers tiers du roman pour peu à peu vous harponner et vous accrocher à lui jusqu'au final explosif et noir comme du charbon. On passe de la comédie à la tragédie en un temps record.
Harry Crews est né en Georgie en 1935 et connut une enfance misérable et violente. Il s'engage à l'âge de 17 ans pour les Marines et se prend de passion pour la littérature. de retour sur le sol des vaches, il s'inscrit à l'université avant de filer faire le tour du pays en moto. Il enseigne l'anglais pendant une vingtaine d'années avant d'être publié. Crews parle ici en connaissance de cause, il grossit les traits, pousse la machine un peu loin – oui et non. Quand on voit aujourd'hui les candidats à la Maison Blanche, on sait que l'Amérique aime les excès. En tout genre.
Sa galerie de personnages est cocasse : entre ce directeur de complexes hôtelier, à la moumoute vivante (et fan de
Donald Trump, on ne l'invente pas! Il passe son temps à le citer, le roman date de 1990), en passant par ces fous de
bodybuilders, prêts à se piquer à n'importe quoi pour remporter un concours ou au contraire à se contenter de 10ml d'eau et d'une laitue pour seul repas, jusqu'à ces « ploucs » qui battent les records de stupidité et de cruauté. le résultat est gratiné :-) Ses portraits sont souvent fait au vitriol et pas de pitié ici pour les personnes de sexe faible. Tout le monde y passe. Il m'est impossible de ne pas citer un ou deux passages :
"Comme tous les participants au Cosmos, le malheureux devait se sustenter chaque jour d'une boite de thon noyée dans du jus de citron, de trois branches de céleri et d'un sachet de vitamines déterminé à traquer le moindre résidu de graisse susceptible de parasiter la couche de muscles habillant son corps, acharné à garder à chaque striure musculaire une nudité écorchée qui le faisait ressembler à un écureuil dépecé. Et c'était probablement la force qu'il devait avoir : celle d'un écureuil dépecé.
Mais qu'en était-il des
bodybuilders féminins ? Encore une fois personne ne savait. Tout le monde avait cru tenir la réponse en la personne de Rachel McLish. Elle était musclée, remarquablement proportionnée, mais on pouvait quand même lui demander de passer une robe et la présenter à papa-maman. Or, peu de temps après le règne de McLish, vous aviez beau essayer d'habiller en femme une championne, vous pouviez toujours courir pour la présenter à la famille, parce que vous aviez l'air de vous balader avec un travelo balèze au bras."
Mais cette tragi-comédie n'en reste pas moins tragique, et du rire on passe à la tristesse : Shereel va-t-elle remporter le titre ? Cette Marvella et ses soeurs (ne manque que Cruella) vont-elles l'empêcher de montrer sur le trône ? Ou le problème viendra-t-il de sa famille? Son père, Alphonse (Fonz), truand local et de ses frères, Turnet et Moteur ? Les deux gars les plus stupides dont l'un se rase le corps pour ressembler à ces
bodybuilders. Et que dire de l'ex-fiancé de Dorothy (Shereel) revenu totalement frappa dingue du Vietnam? Prêt à saucissonner quiconque se mettra entre lui et sa chérie ? Et la mère et la soeur, toutes deux grassouillettes, les mains toujours dans la bouffe, les doigts graisseux des poulets frits qu'elles s'envoient à longueur de journée ? Elles découvrent soudainement le luxe (d'un kitsch horrible, telle la suite nuptiale) et tentent de tenir à
carreau les mâles de leur famille. Avec
Harry Crews, on va loin mais le romancier n'est pas une brute et la tendresse n'est pas non plus absente. Et le final, explosif !
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