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Pierre-Edmond Robert (Éditeur scientifique)
EAN : 9782070716562
444 pages
Gallimard (05/06/1989)
3.25/5   2 notes
Résumé :
Eugène Dabit a tenu huit années durant son journal, du 12 septembre 1928 au 12 août 1936. Le 21 août, il meurt à Sébastopol, âgé de trente-huit ans. Ce Journal intime fut d'abord pour le romancier un instrument de travail et l'atelier de ses romans. Il fut aussi un exercice spirituel à la manière d'André Gide et l'expression quotidienne du désir de ne rien perdre de la vie. Il renferme en dernier lieu un itinéraire d'artiste cheminant parmi les figures des années tr... >Voir plus
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
9 juillet 1936, Moscou.
La vie que nous menons est si trépidante, mouvementée, surprenante, incohérente quelquefois, que je ne trouve guère le moment d’ouvrir ce carnet. Et puis, je ne m’en sens pas le goût ; ou encore, cette vie commune ne m’en laisse pas le loisir, on discute, on traîne, on s’attend.
Et ainsi, les jours ont passé ; sur mon séjour à Leningrad je n’ai pas écrit une ligne. Je ferme les yeux, et je me souviens. Me souviendrai-je longtemps ? De quoi ? Faut-il me rappeler certains paysages, certains visages, des rencontres ? Ce voyage, sur certains points, n’est pas fort différent de celui que je fis en Tchécoslovaquie. Diners, visites officielles ou non, musées, etc. Moins fatigant ici, parce qu’il s’agit d’un monde neuf.
Comme ailleurs, je ne comprends rien de la langue. Je ne puis que regarder, regarder. Surprendre. Observer. Toutes ces richesses s’amassent en moi, se transformeront, se mêleront à ma vie inconsciente et secrète.
Surprises, émotions, s’il me faut les noter ici les bords de la Neva, à Leningrad, les îles, la visite au camp des pionniers, dans les rues de la ville, préparation d’un défilé, cet aspect de « révolution permanente », la beauté de certaines architectures, et puis la rue, la vie, tout ça forme un tout bien complexe.
L’arrivée à Moscou, et l’après-midi même le défilé sur la place Rouge, ces milliers d’hommes et de femmes, tant de jeunesse, de joie, de santé, ah ! c’était grisant, et terrible à la fois. Staline sur le mausolée de Lénine. Hier, visite au mausolée, Lénine, son visage, ses mains.
Quoi encore, dans cette ville ? Les rues, les magasins, les foules. Un peu l’Orient, un peu l’Afrique. La maison natale de Dostoïevsky. Un appartement : six chambres et la cuisine… Le parc de culture, soir d’été.
Que je garde peu ou beaucoup de souvenirs, il importe peu. Je suis dépassé, envahi par cette vie que je rencontre, mais à chacun de mes voyages il en est ainsi. Absent et présent, engourdi et éveillé. Désireux d’être seul, et souffrant de ma solitude. Avide de quelles aventures…
Les femmes sont la vie, c’est par elles que je reçois la vie. C’est une tendre et fragile aventure que celle qui me fit connaître M…, Elle n’est pas belle, mais si charmante, M… ; et puis si heureuse et si inquiète de vivre, et je voudrais l’y engager, à vivre, lui donner de la chaleur et de la joie. Lui laisser un souvenir lumineux. Car la reverrai-je jamais ? La vie m’attire et me déchire, elle m’émerveille, et j’en suis las. D’écrire aussi, je suis las. Ce perpétuel à quoi bon. Mais j’écris pour ne pas me perdre tout à fait, me dissoudre. Que dois-je écrire ? Cette nuit douce que je viens de vivre, au bord de la Moscowa…
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Souvent, je m’étends sur mon lit, et je m’efforce de fixer mon esprit sur un souvenir, un événement précis de ma vie. Mais bientôt d’autres pensées m’assaillent, venues je ne sais d’où, et me voilà si loin de ma pensée première. Je rêvasse. Presque incapable de suivre avec force et longuement une pensée. Cela est commun, et banal, sans doute. Décourageant. Je ne puis lutter avec succès que si j’écris.
Du reste, j’aime assez cette « rêvasserie ». Bien qu’elle dévore des heures que je pourrais consacrer à l’étude, à la lecture.
Quel mal j’éprouve — souvent — à lire, mes distractions, mes absences, mon manque de mémoire. Si tout n’était pas foutu, j’entreprendrais de lutter. Mais le perpétuel : à quoi bon, et je me laisse emporter… encore que le courant ne m’entraîne que là où j’ai choisi d’aller (jusqu’à ce jour, du moins).
Impossibilité d’écrire, parce que ma pensée, ma vie (et tant d’autres vies) a trop de replis, trop de détours. Rien qui ne se présente simplement, franchement, totalement. Rien qui ne soit pour moi vérité absolue. Hormis, pour moi-même, ma propre vérité. (Mais comment la reconnaître, bien l’éclairer, c’est le drame.)

Eugène Dabit.


Ce sont là les dernières lignes écrites dans ce carnet par Eugène Dabit, qui devait mourir à Sébastopol neuf jours plus tard.
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23 juin 1936, en mer.
Comme il y a quinze mois. J’ai relu les premières pages de ce carnet. Ai-je beaucoup changé depuis ? J’ai traîné mon corps en différents pays, j’ai eu des joies et des peines, du plaisir et de l’ennui. J’ai fait quelques rencontres, je me suis débattu, j’ai travaillé. Si ma pensée n’est pas très différente de ce qu’elle fut, ma vie, bientôt, sera autre. Ce voyage en U. R. S. S., d’abord. Et puis, à mon retour (quelle date ?), une nouvelle existence m’attend, que j’ai voulue un peu, comme si c’était là mon devoir, vers laquelle depuis des années j’ai tendu. J’étais heureux, rue P…-de-K… À présent, c’est fini, et pour toujours, je crois. C’est ailleurs que je dois vivre. Dans cet atelier de la rue de la G…-G…, ce belvédère cocasse et étrange. Moi et V… Quel avenir, notre vie commune ? Et je sais bien que je ne pourrai jamais me séparer de B…, impossible que je l’oublie (elle était à la gare, ce matin, rieuse et inquiète, forte et fragile, si vivante et triste aussi, tout ensemble). Entre ma vie passée, dix années de vie rue P...-de-K…, et celle de demain, il va y avoir ce long et curieux voyage. Grâce auquel les regrets, les déchirements, les tristesses m’accableront moins peut-être ?
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20 juin 1936.
Déchiré deux pages de ce carnet. Parce que l’écriture m’en déplaisait. Idiot. Mais j’ai cédé à ma manie (la seule fois, du reste). Rue P…-de-K… Le dernier jour. Je traîne, je traîne ma vie et mon passé. Je n’ai pas le désir d’écrire. Rien. Le départ, un voyage pour mettre fin à cet état. Y mettre fin, ce n’est pas sûr. Tout croule, hors certain sens de vivre, et le travail. Amour, gloire, beauté, jeunesse, ah ! tout ça, des cendres. À quoi m’accrocher ? que sera demain ma vie, la vie ? Elle ne me semble parfois plus possible. Et cependant, je vivrai, je crois. Et le désire.
Je ne puis rien écrire sur ce départ. C’est, à la fois, trop facile et trop lourd à remuer.
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N’attendre, n’espérer que de soi. Pas gai! Mais on s’expose ainsi à moins de déconvenues et de peines (21 juillet 1934).
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