Livre lu dans le cadre du Défi Lectures 2022 des éditions du Seuil, item : "Lire un livre relié". J'ai donc lu un livre de 405 pages (avec illustrations) relié cuir, Edition 1977 de la Librairie académique Perrin, Collection
Présence de l'Histoire dirigée par
André Castelot.
Passionnée de romans historiques, ma bibliothèque compte de très nombreux romans ayant pour personnages centraux des Templiers. Il m'a donc semblé intéressant de me confronter à l'approche d'un historien (particulièrement reconnu dans son domaine d'investigation) pour revenir à la source de la vérité historique et démystifier ce qui devait l'être. Vous l'aurez compris, il ne s'agit pas là de lire un roman.
En cela, je n'ai pas été déçue car l'ouvrage de
Laurent Dailliez, particulièrement rigoureux dans ses sources (il a travaillé à partir de milliers documents d'archives dûment authentifiés), tend à apporter un éclairage authentique et certifié sur ce qu'a été l'Ordre du Temple (initialement appelé milice des "Pauvres chevaliers du Christ et du temple de Salomon") de sa création à Jérusalem (entre 1119 et 1120 (avec la bénédiction du pape de l'époque Calixte II) à sa fin en 1307 (avec le coup de grâce apporté par le pape de l'époque Clément V).
Avec moult détails, et à l'aide de nombreuses citations des chroniqueurs de l'époque et d'historiens qui suivront, il revient sur la façon dont il s'est constitué et sur ses objectifs premiers : l'accompagnement et la défense des pèlerins se rendant en Terre sainte. Cf. les propos de Jacques de Vitry, dans son histoire de la Terre Sainte :
"Certains chevaliers, aimés de Dieu et ordonnés à son service, renoncèrent au monde et se consacrèrent au Christ. Par des voeux solennels, prononcés devant le patriarche de Jérusalem, ils s'engagèrent à défendre les pèlerins contre les brigands et ravisseurs, à protéger les chemins et à servir de chevalerie au souverain roi. Ils observèrent la pauvreté, la chasteté et l'obéissance, selon la règle des chanoines réguliers. Leurs chefs étaient deux hommes vénérables, Hugues de Payens et Geoffroy de Saint-Omer. Au début, il n'y en avait que neuf qui prirent une décision, si sainte et, pendant neuf ans, ils servirent en habits séculiers et se vêtirent de ce que les fidèles leur donnèrent en aumônes. le roi [NDLR de Jérusalem], ses chevaliers et le seigneur Patriarche furent remplis de compassion pour ces nobles hommes qui avaient tout abandonné pour le Christ et leur donnèrent certaines propriétés et bénéfices pour subvenir à leurs besoins et pour les âmes des donateurs. Et parce qu'ils n'avaient aucune église ou habitation qui leur appartint, le roi les logea dans son palais, près du Temple du Seigneur. L'abbé et les chanoines réguliers du Temple leur donnèrent, pour les besoins de leur service, un terrain non loin du palais et, pour cette raison, on les appela, plus tard, les "Templiers"."
De cette création initiale suivront de nombreuses évolutions qui conduiront l'Ordre du Temple à être cette entité ecclésiastique, économique, diplomatique, à la fois autonome vis-à-vis des rois et des chefs suprêmes de l'Eglise, très (trop ?) puissante qu'il deviendra. D'où sa chute que l'on doit au roi de France Philippe le Bel avec la complicité de son éminence noire Nogaret, du pape et de la Sainte Inquisition, pour des motifs précisés ici, loin d'être catholiques.
Ce livre est dense et difficile à lire tant il fourmille de dates, de noms (de papes, de rois, de templiers, de nobles impliqués ici ou là...), de noms de lieux (en Terre Sainte, en France, en Angleterre, en Espagne, au Portugal, en Allemagne, etc.), de citations issues de documents internes au Temple, de bulles papales, de documents d'archives, de sources arabes, chypriotes ou encore arméniennes...), d'évocation des contextes géopolitiques, économiques ou encore ecclésiastiques, d'évocation de batailles lors des différentes croisades, de généalogie des uns (en France, en Terre Sainte...) et des autres (sultans musulmans), d'informations juridiques (Règle du Temple, passations de propriétés, procès-verbaux) ou financières (le Temple est à l'origine de la création des premiers services bancaires).
Franchement, on a parfois bien du mal à s'y retrouver, d'autant que l'ordre chronologique n'est pas toujours respecté entre les différents chapitres.
Mais, malgré cette difficulté, c'est aussi ces très nombreuses informations qui en font tout son intérêt, puisque au-delà de l'image "romantique" du Templier, le lecteur a ainsi accès à la réalité politique, religieuse, économique, financière, diplomatique et organisationnelle de cette entité tentaculaire aux motivations désintéressées (? la preuve n'est pas apportée cependant), mais qui, on le comprend mieux à la lecture de ces lignes, pouvait néanmoins présenter un véritable danger pour les Etats et les gouvernements.
Pour ma part, j'y ai appris beaucoup, notamment sur l'organisation interne du Temple, les différents maîtres à sa tête et ses différentes règles.
J'ai aussi découvert toute la complexité de ce qui s'est joué, pendant près de 300 ans, en Terre Sainte : les différentes croisades, les guerres de succession pour obtenir le trône de Jérusalem, les relations compliquées et différents jeux de pouvoir entre les différents ordres présents sur place, le non respect de la parole donnée (ruptures de trêves régulières du côté des croisés comme du côté des musulmans), les villes prises et reprises, les châteaux construits et déconstruits, les peuples massacrés et écartelés, passant un jour sous la tutelle de l'un, et le lendemain sous la tutelle de l'autre.
J'ai bien aimé aussi, en fin de livre, le propos de l'auteur tendant à éclairer de sa rigueur d'historien les résurgences, ici ou là, de potentiels héritiers du Temple dont certains frôlent quand même carrément l'arnaque, mais aussi les potentiels liens entre franc-maçonnerie d'aujourd'hui et templiers d'hier.
Après avoir lu ce livre, je comprends mieux pourquoi le Moyen-Orient d'aujourd'hui est tellement une poudrière, puisque manifestement ça l'était déjà au Moyen-Age. Je comprends mieux aussi la haine que peuvent ressentir certains musulmans à l'égard de la communauté chrétienne, eu égard à leur histoire et à cette domination qui leur a été imposée durant trois siècles.
Et puis, la lectrice que je suis, prenant un peu de recul, ne peut s'empêcher d'être critique sur cette façon dont l'Occident en général a tenté (et est parvenu à plusieurs reprises), sous couvert de vouloir imposer la religion chrétienne, à mettre la main sur les richesses de ces nombreux pays qui le composaient. Ne pouvait-on pas laisser ces peuples, ces pays, vivre leur vie ?
De même, la femme que je suis, ne peut s'empêcher, à la fois de sourire et d'être révoltée par ce mode de fonctionnement (ou devrait-on dire de dysfonctionnement) très masculin qui fait que, chaque fois, l'ego prend le pas sur toute autre considération. On le voit dans la sphère politique, on le voit dans la sphère ecclésiastique, on le voit entre croisés et musulmans, on le voit y compris dans le fonctionnement des différents ordres (Temple/Hôpital).
Que d'hommes, de femmes et d'enfants, de tous bords, sacrifiés sur l'autel d'un ego, de croyances, d'intérêts, d'un pays... Et chaque fois, ce sentiment que malgré les redites de l'Histoire, la leçon n'est jamais apprise, n'est jamais retenue et chaque fois les mêmes erreurs, les mêmes fonctionnements sont reproduits. On le voit encore aujourd'hui, hélas !
En conclusion, je tiens à préciser que ce livre, très rigoureux et documenté, reconnu comme étant un "classique" dans son domaine, est intéressant à plus d'un titre, notamment pour toute personne qui s'intéresse aux Templiers en général, mais j'alerte aussi sur son côté ardu, dense et parfois rébarbatif qui peut en rebuter plus d'un.
A noter :
Laurent Dailliez, décédé en 1991, a laissé un très grand nombre d'ouvrages relatifs aux Templiers et à d'autres thématiques de l'Histoire.
En savoir plus : https://fr.wikipedia.org/wiki/Laurent_
Dailliez