SOLDE
Pour Aimé Césaire
J'ai l'impression d'être ridicule
dans leurs souliers
dans leurs smoking
dans leur plastron
dans leur faux-col
dans leur monocle
dans leur melon
J'ai l'impression d'être ridicule
avec mes orteils qui ne sont pas faits
pour transpirer du matin jusqu'au soir qui déshabille
avec l'emmaillotage qui m'affaiblit les membres
et enlève à mon corps sa beauté de cache-sexe
J'ai l'impression d'être ridicule
avec mon cou en cheminée d'usine
avec ces maux de tête qui cessent
chaque fois que je salue quelqu'un
J'ai l'impression d'être ridicule
dans leurs salons
dans leurs manières
dans leurs courbettes
dans leur multiple besoin de singeries
J'ai l'impression d'être ridicule
avec tout ce qu'ils racontent
jusqu'à ce qu'ils vous servent l'après-midi
un peu d'eau chaude
et des gâteaux enrhumés
J'ai l'impression d'être ridicule
avec les théories qu'ils assaisonnent
au goût de leurs besoins
de leurs passions
de leurs instincts ouverts la nuit
en forme de paillasson
J'ai l'impression d'être ridicule
parmi eux complice
parmi eux souteneur
parmi eux égorgeur
les mains effroyablement rouges
du sang de leur ci-vi-li-sa-tion
Rendez-les moi mes poupées noires
qu’elles dissipent
l’image des catins blêmes
marchands d’amour qui s’en vont viennent
sur le boulevard de mon ennui
Rendez-les moi mes poupées noires
qu’elles dissipent
l’image sempiternelle
l’image hallucinante
des fantoches empilés féssus
dont le vent porte au nez
la misère miséricorde
Donnez-moi l’illusion que je n’aurai plus à contenter
le besoin étale
de miséricordes ronflant
sous l’inconscient dédain du monde
Rendez-les moi mes poupées noires
que je joue avec elles
les jeux naïfs de mon instinct
resté à l’ombre de ses lois
recouvrés mon courage
mon audace
redevenu moi-même
nouveau moi-même
de ce que Hier j’étais
hier
sans complexité
hier
quand est venue l’heure du déracinement
Le sauront-ils jamais cette rancune de mon coeur
A l’oeil de ma méfiance ouvert trop tard
ils ont cambriolé l’espace qui était le mien
la coutume
les jours
la vie
la chanson
le rythme
l’effort
le sentier
l’eau
la case
la terre enfumée grise
la sagesse
les mots
les palabres
les vieux
la cadence
les mains
la mesure
les mains
le piétinement
le sol
Rendez-les moi mes poupées noires
mes poupées noires
poupées noires
noires
noires"
JE NE SAIS RIEN EN VÉRITÉ…
JE NE SAIS RIEN EN VÉRITÉ
rien de plus triste
de plus odieux
de plus affreux
de plus lugubre au monde
que d’entendre l’amour
à longueur de journée
se répétant à messe basse
Il était une fois
une femme vint
une femme vint à passer
dont les bras étaient chargés de roses
IL EST DES NUITS
Pour Alejo Carpentier
Il est des nuits sans nom
il est des nuits sans lune
où jusqu'à l'asphyxie
moite
me prend
l'âcre odeur de sang
jaillissant
de toute trompette bouchée
Des nuits sans nom
des nuits sans lune
la peine qui m'habite
m'oppresse
la peine qui m'habite
m'étouffe
Nuits sans nom
nuits sans lune
où j'aurais voulu
pouvoir ne plus douter
tant m'obsède d’écœurement
un besoin d'évasion
Sans nom
sans lune
sans lune
sans nom
nuits sans lune
sans nom sans nom
où le dégoût s'ancre en moi
aussi profondément qu'un beau poignard malais
IL N’EST POINT DE DÉSESPOIR
Il n’est point de désespoir si fort soit-il
qui ne trouve au carrefour sa mort à l’aube
et bien parce qu’il n’est point de désespoir
qui ne trouve au carrefour sa mort à l’aube
l’écho avec son œil mauvais
la langue saburrale
a bel et bien tort
de prendre
cet air entendu quelque part
et de répéter à tout venant tout vent
trop tard
trop tard
Car
l’écho que j’ai à l’œil
de vouloir se donner l’air
d’avoir l’œil mauvais
et la langue saburrale
ignore
que le désespoir est mort à l’aube
Gérard Gavarry Comment j'ai rencontré Paul Otchakovsky-Laurens - où Gérard Gavarry tente de dire quand et comment il a rencontré Paul Otchakovsky-Laurens, -à l'occasion de la parution de son livre "Jojo" chez Hachette/P.O.L- et où il est notamment question de Georges Perec et de l'Oulipo, d'Allada et du Bénin, de Michel Bézard et de Jacques Jouet, de Patrick Lapeyre et d'Emmanuel Hocquard, de poésie et de roman, de Warren Motte et de "The Review of Contemporary Fiction" (Fall10 Vol XXX N 3), de la rue Galliera et de la rue Jacob, de Carine Toly et d'Emmelene Landon, de Marcel Duchamp et de Fred Leal, de Léon- Gontran Damas et d'Aimé Césaire, d'être nègre et d'être juif, à Paris le 10 janvier 2022.
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