S'abaisserait-il à lire des romans de gare ? Demain,
Barbara Cartland ? Que nenni ! Lire
San-Antonio, c'est retrouver les fondamentaux, la pure joie de lire. Histoire rocambolesque, rebondissements téléphonés, histoire policière invraisemblable, on n'y croit pas. On peut se concentrer sur l'essentiel, le langage. Et là, c'est un festival, une orgie, une fête à chaque bout de ligne, un rire bête et gras qui déride, l'esprit de
Rabelais dans le costume de Nestor Burma. Tout est dans le style. Lire
San-Antonio, c'est comme manger du salami en buvant de la cardoche. On sait que c'est pas bon mais qu'est-ce que ça fait du bien ! Et voilà que je te balance un mauvais jeu de mot, un de ceux que je fais tout le temps et qui ne fait plus rire autour de moi, et voilà que je te murmure, l'air de rien, sainte nitouche, des cochoncetés (les maffieux s'appellent Merdanflak et forment une organisation secrète nommée B.I.T.A.U.C.U.L. qui a son siège dans l'île Godmichey), et voilà Béru, fidèle Alexandre-Benoît, savoureux Obélix dégueulasse, maman Félicie, un mariage raté (
San-Antonio marié, ça ne pouvait pas coller, on aurait manqué le meilleur...), et voilà que je te chope une frangine de hasard, que je veux t'en choper une autre mais que, oups, c'est un homme, et voilà que je t'insulte
Robert Louis Stevenson pour le pur plaisir de dire des conneries. Voilà. Un chef-d'oeuvre du genre. Inimitable. de la vraie lecture pour sous les draps. du qu'on ne fera pas lire à l'école mais qu'on souhaitera faire découvrir par la bande, une fois que les élèves auront compris que le must de l'interdit, ce n'est pas
Sade, sinistre et chiantissime personnage, mais le bon vieux roman de gare. La littérature ne sera morte que le jour où l'on ne vendra plus
San-Antonio dans les kiosques des gares. Je ne résiste pas au plaisir de léguer à la postérité la scène que l'on attend toujours et qui ne déçoit jamais : "Je lui déboule ma toute grande oeillade façon glauque sur fond d'azur, avec arrières-pensées sous cul tanné. On jurerait que ça la trouble (répondit cette bébête cruelle). Je propulse dans sa direction deux bras arrondis de danseur mondain sur le chantier de la guerre. Elle ne recule pas ; alors j'avance. C'est humain. Tu ferais quoi, à ma place, toi ? Pour commencer la galoche galvaudeuse, hein ? Et puis les mains au guidon, non ? le débouclage futalien, pour continuer. Puis le dégagement de la salle des fêtes. La mise en place de ton jeu de croquet à arceaux, pas vrai ? Avec, en enchaîné direct le trombone ascendant. Exactement comme moi, mon grand". Bon, j'en passe...
San-Antonio, c'est enfin une langue vivante, au milieu des morts styles qui respectent. J'en bande encore.