Membre repenti des jeunesses fascistes romaines, le colonel des carabiniers Marco Malatesta assiste impuissant à une série de règlements de comptes entre les diverses mafias de la cité éternelle.
Ce que contrairement au lecteur il ignore, c'est que tout a commencé lors d'une énième nuit de débauche du député Péricle Malgradi au cours de laquelle l'une des deux professionnelles engagées pour l'occasion meurt d'une overdose de cocaïne...
Le grand intérêt cette intrigue haletante c'est qu'elle nous immerge dans plusieurs milieux à la fois : les élites politico-religieuses, les mafieux, les autorités, la gauche caviar ainsi que les laissés pour compte du système méritocratique.
Et, on découvre à quel point tous ces gens s'impactent mutuellement, 24h sur 24, quel que soit la décision qu'ils prennent. En effet, comme le dit
Juan Manuel de Prada, « les riches sont détruits par la fascination qu'exercent sur eux la gadoue, la sexualité pressante des servantes et des chauffeurs, à laquelle ils ne peuvent résister. Ce n'est pas à l'usine, mais au lit, où ils se savent irrésistibles et presque divins, que les prolétaires l'emportent, dans la lutte des classes. »
Parmi les fils conducteurs de ce roman, de Cataldo et Bonini insistent d'ailleurs sur l'écart entre l'idéalisme des intellectuels et le réalisme populaire un peu à la manière de
Manuel Vazquez Montalban ou
Cervantes. Il y a d'ailleurs beaucoup de roman picaresque dans cette histoire.
Dans sa jeunesse, Samouraï (l'actuel coordinateur des mafias romaines) avait choisi de se suicider, car il ne supportait pas la médiocrité humaine qui l'entourait : « Samouraï était déçu. La prison lui avait imposé une promiscuité forcée. Il avait vu et connu les êtres humains tels qu'ils sont vraiment. Il n'y avait pas d'espoir. Impossible de réveiller leurs consciences engourdies. Il semblait que la société qu'il voulait changer n'en ait elle pas la moindre envie. »
Autre thème récurrent, la médiocrité des hauts-fonctionnaires. Même si, pour un pays qui a majoritairement voté Berlusconi durant deux décennies, ça n'est pas si surprenant, il n'en demeure pas moins que le tableau qu'en font ces deux auteurs très proches des arcanes du Palazzo Montecitorio (Chambre des députés) laisse sans voix. La mentalité de ces « serviteurs de l'État » italien me rappelle celle des dignitaires mexicains peints par
Carlos Fuentes dans «
le siège de l'Aigle ». Pour utiliser un doux euphémisme: inquiétante!
Un seul principe semble diriger leur action, l'argent. Et, peu importe s'il faut s'asseoir sur les lois, l'état de droit et l'intérêt général pour parvenir à ses fins. Ces gens ne sont rien d'autre que des hyènes affamées.
Pour nuancer un peu le pessimisme qu'ils ont instillé, les auteurs nous emmènent à la rencontre du grand amour de Marco Malatesta, l'archétype de la militante cultivée et à l'abri du besoin. le portrait au vitriol peint par Samouraï se veut réaliste, mais il dénote avant tout la capacité de prise de distance des auteurs par rapport à leurs personnages fétiches :
« Alice Savelli ne pouvait être définie stricto sensu comme "communiste". Tout au plus, c'était une de ces idéalistes confuses qui déblataraient sur un nouvel ordre sans tenir un minimum compte de la réalité. Ceux-là, Samouraï les considérait comme des millénaristes médiévaux. Utopistes d'un monde sans banques et sans patrons, sans plus de droite ni de gauche, une lande plate et grise sans beauté dans laquelle ce qui comptait était uniquement ce sot qualificatif, citoyen, qui voulait dire tout et son contraire. Les citoyens étaient ceux qui avaient condamné Socrate à la ciguë et qui choisirent Barabbas aux dépens du Christ. »
Finalement, un roman qu'on ne lâche pas avant la dernière ligne même s'il nous ôte nos dernières illusions sur la capacité du système dit « démocratique » à favoriser le bien commun dans la Cité.
J'ai passé un magnifique moment en compagnie des carabiniers romains et je me réjouis de lire «
Romanzo criminale » le premier opus de la série paru en 2006 en France.