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Pierre Leyris (Traducteur)
EAN : 9782070423323
196 pages
Gallimard (02/05/2002)
3.82/5   63 notes
Résumé :
Thomas de Quincey (1785-1859) fut un des écrivains anglais les plus célèbres de son temps. L'audience de son oeuvre dépassa de loin les frontières des îles Britanniques et de son époque et l'on sait qu'il fut un modèle tant pour Edgar Allan Poë, Charles Baudelaire, Nikolaï Gogol ou Jorge Luis Borges que pour Hector Berlioz à qui il inspira le thème de la Symphonie fantastique. Auteur brillant, Quincey fut aussi un opiomane frénétique durant toute sa vie et il a rend... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
On Murder Considered as One of the Fine Arts
Traduction & préface : Pierre Leyris

Essai extrêmement célèbre sorti en 1827 dans l'Angleterre pré-victorienne, "De l'Assassinat Considéré Comme Un des Beaux-Arts" est un ouvrage singulier, où l'humour noir à la britannique le dispute à une volonté passionnée de comprendre ce mécanisme subtil et ingérable qui, de n'importe quel homme, peut faire un meurtrier pour le plaisir. Tiraillé entre ces deux tendances, le livre en ressort un peu bancal : si le lecteur sourit et rit même de bon coeur en parcourant les deux premiers textes du recueil, la chose lui devient impossible dès qu'il aborde le "Post-scriptum" - la partie la plus longue de l'essai - dans lequel De Quincey, renonçant à l'ironie et aux descriptions de quelques grotesques tel "Crapaud-dans-son-trou", se penche dans le détail sur le cas de John Williams, assassin, en 1812, des membres de deux paisibles familles londoniennes.

Peu à peu, l'auteur passe de l'idée abstraite du meurtre à la matérialisation de ce fantasme dans une réalité qui, pour les premiers lecteurs de son texte, était encore très présente et qui, pour nous, gens du XXIème qui avons connu une partie du XXème, trouve tous les jours dans l'actualité le moyen de se recomposer avec profit. Il commence sa liste d'assassins par Caïn le biblique, poursuit allègrement avec des "meurtres d'Etat", tels ceux de Henri III et de Henri IV en France et celui du duc de Buckingham en Grande-Bretagne, crée une réjouissante digression sur les philosophes qui manquèrent d'être assassinés pour une raison ou pour une autre - Descartes et Spinoza sont du nombre - et termine par la description d'une réunions d'"amateurs" - entendez en crimes - présidée par lui-même ou plutôt par son alter ego, le narrateur anonyme, et dont les membres portent à n'en plus finir des toasts aussi absurdes que morbides, dans une atmosphère délirante qui rappellera à certains la bouffonnerie des premières pages des "Pickwick Papers."

Le "Post-scriptum", lui, use d'un tout autre ton : grave, réfléchi, il accumule les détails sur ce qui fut l'affaire Marr-Williamson, reconstitue, avec une précision qui eût fait l'admiration de Sherlock Holmes, les gestes de l'assassin au milieu des carnages qu'il provoque, et surtout s'interroge sur les raisons de ses actes. Au début, c'est vrai, De Quincey nous laisse croire que Williams tuait uniquement pour l'argent et que, chez les Marr, il se sentit contraint, pour sa propre sécurité, de ne laisser aucun témoin. Seulement, si ces motifs sont certainement exacts, ils ne sauraient représenter la vérité dans son intégralité.

Dans la deuxième affaire, De Quincey, avec une puissance d'évocation qui transporte son lecteur sur la scène du crime et le transforme en un témoin ignoré de l'assassin mais toujours susceptible d'être découvert par lui, démontre que, après avoir abattu Mr et Mrs Williamson ainsi que leur malheureuse servante, leur tueur n'a aucune raison d'égorger la petite fille qui dort, deux étages plus haut, dans sa chambre. D'ailleurs, lorsqu'il se déplace au second afin d'y chercher ce qu'il pourrait y voler, Williams le constate de ses propres yeux : l'enfant ne s'est pas réveillée, elle ignore tout de ce qui s'est passé au rez-de-chaussée tout comme elle ignore qu'il vient d'entrer dans sa chambre dans le but de la tuer à son tour.

Et pourtant, Williams, au lieu de se retirer, s'avance et reprend sa lame de rasoir. Il faudra l'intervention quasi miraculeuse des voisins, ameutés par un jeune domestique qui avait réussi à s'enfuir sans que le tueur soupçonnât sa présence, pour que l'enfant échappe à la mort.

Et c'est là qu'on découvre, chez Thomas de Quincey, la réelle profondeur de sa réflexion sur l'instinct de tuer ainsi que le but véritable de ces trois "conférences" commencées dans le rire, fût-il grinçant, et qui s'achèvent dans une horreur froide, reptilienne : si le profit avait été le seul mobile de Williams, il n'aurait pas cherché à égorger l'enfant mais, comme il sort sa lame, c'est bien la preuve que le domine, en réalité et par dessus tout, la soif de prendre une vie pour le seul plaisir de le faire. Sous nos yeux, l'assassin dépeint par De Quincey n'est plus un meurtrier opportuniste : il y a en lui un tueur en série qui apprend à se connaître même si la société dans laquelle il vit ignore encore tout de ses mécanismes.

Voilà en quoi la fin de "De l'Assassinat Considéré Comme Un des Beaux-Arts" est terrifiante, voilà en quoi elle annonce non seulement l'apparition de Jack l'Eventreur sur la scène de Whitechapel, soixante ans plus tard, mais aussi les innombrables serial killers du siècle suivant. Toutefois et en-dehors des faits décrits, elle n'aurait pas un tel impact sur le lecteur sans le génie visionnaire de l'écrivain. Son long "Post-scriptum" se vit comme un cauchemar éveillé qui nous glace, d'une précision visuelle telle qu'elle finit par nous blesser, une épopée de ténèbres et de sang qui, la dernière page tournée, nous laisse pour longtemps avec la dérangeante certitude que le démon le plus secret de l'être humain, l'instinct du Tueur, n'est pas près d'être exorcisé. ;o)
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Ce livre est une petite curiosité insolite. Idéal pour un happy hours à frissons entre amis ou une soirée pyjama déjantée. . .
Mais restons sérieux et revenons à notre propos premier, en dissertant amicalement sur la pratique de l'assassinat, ce dernier porté au firmament du raffinement esthétique et considéré comme une oeuvre d'art s'il est bien exécuté dans les règles et dans les codes déontologiques d'une respectable société d'assassins.
L'auteur en présentant cette réflexion singulière sur un thème qui fait froid dans le dos d'une manière aristocratique et baroque, déconcerte le lecteur, cependant en évoquant avec précision, détails macabres et richesse du propos historique, il nous plonge avec malice dans les antres morbides de diaboliques meurtriers en série ou sectes d'assassins sanguinaires. Grâce à ce stratagème, De Quincey dédramatise le sujet, faisant des lecteurs des voyeurs avides de sensations criminelles comme dans un bon roman policier.
Néanmoins, il ne fait pas bon à rester dans le coin, les coups de rasoir et les gorges tranchées éclaboussant à profusion, risquant de tâcher irrémédiablement les pages de ce passionnant, mais éprouvant livre.



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De l'assassinat considéré comme un des Beaux-Arts est un ouvrage difficilement identifiable. Il compile trois textes produits sur différentes périodes. La préface de Pierre Leyris, que j'ai d'ailleurs trouvé très intéressante, contextualise bien l'ouvrage et en permet une bonne appréhension. Car il faut le dire, livré sans explications, ce traité qu'on a pu qualifier d'essai noir, perd beaucoup de son essence. Thomas de Quincey, que l'on connait pour son existence matérielle difficile, a produit nombre de textes pour subvenir à ses besoins. Répondant à la demande des éditeurs, il écrit sans cesse, jonglant entre les sujets et les styles littéraires. Ici, il livre des essais, là, il signe des articles. Il n'hésite pas à partager ses Confessions d'un fumeur d'opium et s'essaie même au roman noir et au roman gothique (voir Klosterheim ou Justice sanglante). Rien de plus naturel donc, qu'il ait pu traiter un sujet tel que celui du meurtre considéré comme l'un des Beaux-Arts. Ainsi, la première partie de l'ouvrage retranscrit-elle une conférence (1827) que l'auteur aurait tenu devant un public d'amateurs de "crimes esthétiques". Publié 12 ans après la conférence, le Mémoire supplémentaire (1839) propose de nouveaux exemples de meurtres censés plaire à la Société des connaisseurs en meurtres. Enfin, le Post-Scriptum (1954) vient enrichir le traité sur le crime particulièrement "grandiose" commis par Williams sur la famille Marr et William.

Si l'idée de traiter l'assassinat comme un objet esthétique peut sembler macabre, je l'ai trouvé séduisante. Ce n'est pas tant le voyeurisme qui m'a poussé à la lecture de cet ouvrage mais bien l'envie de voir comment De Quincey avait pu traiter le sujet. Ainsi que se plait à déclarer l'auteur, l'objectif de ces textes était de divertir. Mais que peut-on trouver de diverstissant dans le simple répertoriage de crimes si le rapport à l'esthétique (l'objet même de ces textes) n'est pas étudié ? L'auteur, sans manquer d'humour dit-on, présente des cas de meurtres notables dont il a oublié, me semble t-il, qu'il devait les analyser sous l'angle artistique. Et ceci, sans compter qu'il fait de nombreuses digressions et que les multiples notes de bas de page, nuisent à la fluidité de la lecture. Même le Post-Scriptum qui m'a paru approcher le plus du sujet de départ, n'est pas convaincant : l'exposé de De Quincey n'aborde que trop superficiellement le rapport entre assassinat et Beaux-Arts. Evidemment que l'auteur se moque des bourgeois avides de combler leur ennui et cela semble plutôt de bonne guerre, mais je m'attendais à quelque chose de plus acerbe, de plus construit, de mieux argumenté. En fait, ce traité ne m'a ni distrait, ni appris, et je trouve cela bien regrettable...
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À l'origine de certaines apparentes révolutions de pensées, au fondement même de certains iconoclasmes ostensibles, dès l'intention de certaines indécences programmées, il se rencontre plus de convention et de complaisance qu'on ne pourrait croire à première vue, de sorte que si l'expression ne semblait pas contradictoire, on dirait qu'il existe des inconvenances tout à fait convenues : c'est ce qu'un bon philologue serait en droit de démêler s'il avait à exprimer sur ces textes sa compétence. Au XIXe siècle, par exemple, admettre dans un ouvrage qu'un crime peut être regardé, selon ses circonstances, son succès et la hardiesse de son entreprise, comme une oeuvre d'une plus ou moins grande beauté c'est-à-dire d'une réussite plus ou moins conforme à son intention, voilà qui ne paraît que d'une faible audace, d'une liberté d'arrière-garde, douteuse à qui sonderait vraiment la mentalité de l'écrivain et de l'époque. Si au surplus cet ouvrage ne cessait prudemment de circonstancier son appréciation de l'assassinat de façon à ne jamais inviter d'en commettre, à en dissuader même toute tentative, et à condamner le crime tout net comme immoral, de surcroît s'il se contentait d'en retracer sans force méthode les modèles les plus flagrants, non sans user d'un ton de détachement distingué et de plaisanterie affectée, émaillé (ou encombré, selon l'avis) de digressions élégantes, de drolatiques sophistications wildiennes, de plaisants paradoxes swiftiens, si l'on considérait enfin que l'ensemble est rédigé de façon qu'on discerne sans mal la hâte avec laquelle il a été écrit rien qu'à dénombrer les lacunes d'enchaînements et l'incomplétude générale des portraits, il y aurait beaucoup à redire sur de l'Assassinat considéré comme un des Beaux-Arts de Quincey du point de vue de la motivation du livre, ou, si l'on préfère, de son argument. Si j'ignore quelle sensation il a réellement produit dans la première moitié de ce siècle, on doit, je pense, positivement reconnaître que l'essai vise davantage au scandale qu'il ne constitue véritablement un scandale, tant il paraît se défendre de la matière même qu'il contient. On trouve ainsi bien des auteurs qui ont fabriqué de toutes pièces les conditions d'un trouble ou d'un choc – car enfin, rien n'obligeait Quincey à développer cette idée ni à utiliser un titre si manifestement fait pour attirer l'attention – et qui, entre les pages où l'on s'apprête à rencontrer les immoralités annoncées sur la couverture, s'excusent d'avoir paru outrecuidants et prennent toutes les précautions pour lever le « malentendu » de l'exergue qui l'a fait acheter et empêcher dès lors qu'on le considère malséant et qu'on s'en plaigne. Il me semble qu'un pareil procédé finalement déplaît à tout le monde, que ni le puritain offusqué par cette montre ni le curieux appâté par cet étalage n'y trouve satisfaction ; l'un crie à l'excès et à l'horreur, l'autre à l'insuffisance et à la déception ; c'est de toutes les manières une racole qui vante ce qu'on ne trouve point dans la marchandise et qui ne peut manquer de laisser le chaland, n'importe lequel, dépité ou ennuyé. du reste, si l'on y regarde, on verra que l'idée directrice n'est pas si riche, pour autant qu'on soit assez décomplexé pour trouver que n'importe quelle action peut être bien ou mal réalisée, qu'elle soit neutre, bonne ou mauvaise – ce n'est pas d'une grande nouveauté d'estimer la qualité d'un meurtre. Quant à vérifier quels seraient les critères d'un « bel » assassinat, ce qu'on espère logiquement pouvoir disputer dans le livre, inutile d'attendre ces explications, Quincey se contente de linéaments flous, ayant perdu la méthode qu'il se proposait en chemin : c'est à ça qu'on voit que son travail fut rédigé en vitesse, car il oublie en cours d'écriture la finesse des développements qu'il avait l'air de promettre et qui auraient fait tout l'intérêt de son propos, il ne fournit en définitive rien de considérable là-dessus, il faut se contenter d'exemples inapprofondis, le narrateur lui-même ne peut que signaler son absence de conséquence en évoquant le temps dont il ne dispose point pour mener à bien son étude. Dommage ! Occasion manquée ! Fausse annonce ! Et ce n'est pas tant pour mon plaisir de lire des énormités que pour l'intérêt d'un discours éloquent sur le paradigme d'un « bel » assassinat, car voilà qui eût induit un joli retournement de perspective ! le lecteur manque ici de substance, il ne reçoit que le clinquant d'une thèse excitante, avec l'énumération rapide de quelques cas que lui fournit l'Histoire la plus prochaine, à la tonalité légère d'une joyeuse compagnie, imaginant une sorte de club d'amateurs comparant les assassins et la beauté de leurs réalisations, au lieu de la densité et de l'étrangeté d'une oeuvre d'art, profonde et méditative.
Je ne contesterai pourtant pas combien la dernière partie du livre, intitulée « Post-scriptum », rédigée des années après et en formant environ la moitié, est d'une superbe facture, bien supérieure au reste et assez disparate en qualité et en intérêt. Quincey y relate principalement, en une abondance de détails dans un style terrible et une atmosphère fascinante, les crimes réels d'un dénommé John Williams commis en 1812 (ou en 1811 selon d'autres sources), à Londres, dans le district de Wapping, d'une haute pertinence par la façon dont il illustre le caractère méthodique et déterminé de certains tueurs en série. Ce rapport, qui use du prétexte d'un assassinat efficace et cruel pour en retracer les minutieuses circonstances, est d'une impressionnante vivacité d'effets terribles et d'une pénétration psychologique assez visionnaire au XIXe siècle. L'extraordinaire technicité de l'écriture permet la peinture juste et vibrante de l'acte abominable d'un criminel sis en-dehors de l'humanité, jusqu'à une délectation d'effroi enivrante et d'une crédibilité folle. C'est toute l'expérience de l'anormalité que Quincey excelle à faire revivre, et l'on croit lire, tans c'est éloquence et pathétique, quoique en plus pittoresque et moins documenté, quelque prédécesseur à de Sang-froid de Capote ou au travail de Cornwell sur Jack l'Éventreur. Cette plongée pure, d'une violence absolument vraisemblable, dans les intentions et le déroulé d'un assassinat, d'un réalisme frappant et relevé d'une telle plume, à la fois journalistique et analytique, s'oppose à la grandiloquence goguenarde et superficielle des parties antérieures, au point qu'on croit lire un regret, un repentir, une épanorthose, avec cette adjonction faite plusieurs décennies plus tard et qui signale comme l'échec intériorisé et reconnu de tout ce qui précède et qui eût mérité cette forme exactement stylisée pour produire le trouble du « crime comme beauté ou comme art ». Je puis me tromper, bien sûr, en prétendant à cette sorte de rétractation de l'auteur contre son « enfance de l'art » après avoir irrémédiablement abîmé, dans son empressement, le sujet même de son étude, potentiellement élevé et profond, mais je crois vraiment que, son oeuvre devenue célèbre, il lui était impossible de l'annuler et la refaire, et qu'il la rallongea donc pour ne pas tout à fait la désavouer et afin que sa qualité moyenne en fût rehaussée, procédé moins radical que l'effacement pur et simple, et assez sage, plus sage en tous cas que la dissimulation ou l'abandon. Il faudrait commencer la lecture par cette fin et se servir du début uniquement comme une anecdote ou une sorte de dossier, sans y prêter plus d'attention qu'à une certaine légèreté étonnante de ton et aux documents probablement peu renseignés relatifs aux criminels « exemplaires ». Légèreté d'humeur et inexactitudes factuelles qui caractérisent tout ouvrage un peu bâclé, sans efforts ni densité. Il est donc heureux qu'il y ait ce « Post-scriptum » pour ne pas désespérer d'emblée des ouvrages ultérieurs De Quincey.
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Thomas de Quincey est resté célèbre pour deux textes qui sont « Les confessions d'un mangeur d'opium » (traduit en France par Baudelaire, avec des ajouts personnels de la main du poète, intégré dans son livre « Les paradis artificiels ») et pour le fameux « De l'assassinat considéré comme un des beaux-arts » dont le but est de percevoir le meurtre sous un aspect esthétique.

Rédigé sous forme d'essai (une conférence fictive plus exactement), un conférencier anonyme, faisant partie d'une société secrète dénommée la société pour l'encouragement au meurtre mais désigné plus communément par soucis d'euphémisme évident, « Société des connaisseurs en meurtre ». Les membres de cette société se réunissent mensuellement pour digresser, débattre des derniers faits divers meurtriers comme s'il s'agissait d'un tableau ou d'une sculpture. Cette conférence-ci se place sous les auspices du meurtrier John Williams, dont les méfaits seront minutieusement décrits dans le « Post-Scriptum ».

Le passage ayant retenu mon attention concerne celui sur les philosophes où il affirme que « C'est un fait qu'au cours des deux derniers siècles tout philosophe éminent a été assassiné, ou du moins s'est vu tout près de l'être. » il commence avec Des Cartes (sic) qui à l'époque de ses 26 ans, cherchant une embarcation pour la Frise occidentale, découvre que l'équipage n'est constitué que de dangereux malfrats qui n'en voulaient qu'à sa bourse. Il réussit à se tirer de ce mauvais pas en leur parlant la même langue qu'eux et en les menaçant. Puis il enchaîne sur Spinoza, se basant sur un ouvrage du nom de « La vie de Spinoza » écrit par Jean Colérus, en prétendant que Spinoza aurait été empoisonné, il oublie, le sait-il même, que le philosophe hollandais avait manqué de se faire poignarder ? En tout cas je n'en ai jamais entendu parler. Il finit ensuite en déclarant que Hobbes aurait fait un « beau sujet d'assassinat » parce que, selon lui, il « mérite une rossée pour avoir écrit Léviathan, et deux ou trois rossées pour avoir écrit un pentamètre qui se termine aussi vilainement que par terror ubique aderat ! ».

Pour conclure, le point faible de ce livre est son manque de structure car le texte de chacune des trois parties défile comme si on naviguait sur des torrents indomptables. S'il avait intégré des titres à chaque paragraphe, cela aurait été un sérieux antidote à la lassitude qui peut nous gagner à sa lecture.
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Citations et extraits (13) Voir plus Ajouter une citation
[...] ... En premier lieu toutefois, un mot sur la scène des assassinats. Ratcliffe Highway est une grande artère d'un quartier des plus chaotiques de l'Est nautique de Londres, et qui, en ce temps-là (c'est-à-dire en 1812) où il n'existait aucune police adéquate hormis la police détective de Bow Street, admirable pour ses fins particulières mais totalement disproportionnée aux besoins généraux de la capitale, était fort dangereux. Un homme sur trois, pour le moins, y pouvait être tenu pour un étranger. On rencontrait à chaque pas des Lascars, des Chinois, des Maures, des Nègres. Et indépendamment du banditisme aux mille formes, voilé de façon impénétrable par les chapeaux ou les turbans de ces hommes dont nul regard européen ne saurait sonder le passé, c'est chose bien connue que la marine de la chrétienté (spécialement, en temps de guerre, la marine marchande) est le sûr dépôt de tous les meurtriers et de tous les ruffians à qui leurs crimes ont donné le motif de se dérober pour un temps aux yeux du public. Il est vrai que peu de gens de cette catégorie sont qualifiés pour se comporter en marins capables, mais de tous temps, et particulièrement en temps de guerre, ces derniers ne forment qu'une petite proportion (ou nucleus) de l'équipage d'un navire, la grande majorité étant composée de terriens inexpérimentés. John Williams, toutefois, qui avait servi en qualité de matelot à bord de plusieurs vaisseaux affectés au commerce avec les Indes, etc ..., était probablement un marin accompli. D'une manière générale à vrai dire, c'était un homme prompt et adroit, fertile en ressources pour parer aux difficultés soudaines, et qui s'adaptait avec souplesse aux diverses exigences de la vie en société. Il était de taille moyenne (de cinq pieds sept pouces et demi à cinq pieds huit pouces), élancé, assez mince, mais nerveux, passablement musclé et libre de toute chair superflue. Une dame qui l'a vu à son interrogatoire (au bureau de police de la Tamise, je crois), m'a assuré qu'il avait des cheveux d'un ton très vif et fort remarquable, un jaune ardent entre l'orange et la couleur citron. Williams avait été en Inde, particulièrement au Bengale et à Madras, mais aussi au bord de l'Indus. Or il est notoire qu'au Pendjab, les cheveux [des personnes] de caste élevée sont souvent peints - en cramoisi, en bleu, en vert ou en pourpre ; et il me vint à l'idée que Williams avait pu s'inspirer, à quelque fin de déguisement, de cette pratique du Sind et de Lahore, en sorte que cette couleur de cheveux n'était peut-être pas naturelle. Naturelle cependant, son apparence l'était dans l'ensemble, médiocre même pour la structure du visage si j'en juge par une statuette de plâtre à son effigie que j'ai achetée à Londres ; il avait cependant un trait frappant, qui s'accordait bien à son tempérament inné de tigre, c'est que son visage exsangue était empreint en tous temps d'une mortelle pâleur. "On aurait dit," me rapporta mon informatrice, "que ce n'était pas le sang rouge de la vie qui coulait dans ses veines - ce sang que peut embraser la honte, la colère ou la pitié - mais une sève verte qui ne jaillissait pas d'un coeur humain." Ses yeux semblaient glacés et vitreux, comme si toute leur lumière eût convergé sur quelque victime tapie dans le lointain. De ce fait, son aspect aurait pu être repoussant mais d'autre part, les dépositions concordantes de nombreux témoins et aussi celle, tacite, des faits, montrent que son comportement huileux, reptilien et insinuant neutralisait le caractère repoussant de son visage sinistre et lui valait, auprès des jeunes femmes inexpérimentées, un accueil très favorable. ... [...]
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Avant de commencer, souffrez que je dise un mot ou deux à de certains faquins qui affectent de parler de notre société comme si elle était, à un degré quelconque, immorale dans son but ! Immorale ! Jupiter me protège ; Messieurs ! Qu'est-ce donc qu'on veut dire par là ? Je suis pour la moralité, et je le serai toujours, et pour la vertu, et pour tout cela. Et certes, j'affirme, et j'affirmerai toujours (quoi qu'il puisse en résulter) que l'assassinat constitue une ligne de conduite inconvenante, hautement inconvenante, et je n'hésite pas à proclamer que tout homme qui commet un assassinat doit avoir des façons de penser fort incorrectes et des principes véritablement inexacts. Bien loin de l'aider et de l'encourager en lui désignant la cachette de sa victime – ce qu'un grand moraliste d'Allemagne déclarait être le devoir de tout homme de bien (6) - je souscrirais un shilling et six pence pour qu'il soit arrêté..., ce qui fait dix-huit pence de plus que ce que les moralistes les plus éminents ont souscrit dans ce but jusqu'à ce jour. Mais quoi, enfin ? Toute chose dans ce monde a deux anses. L'assassinat, par exemple, peut être saisi par son anse morale (c'est ce qu'on fait, en général, en chaire ou à Old Bailey) et c'est là, je le confesse, son côté faible ; mais il peut aussi être traité esthétiquement, comme disent les Allemands, c'est-à-dire dans es rapports avec le bon goût.

(6) Kant poussa les limites des exigences de la vérité à un point si extravagant qu'il ne craignit point d'affirmer que quand une homme venait de voir une personne innocente échapper à un assassin, il serait de son devoir, interrogé par l'assassin, de dire la vérité et de lui indiquer la retraite de la personne innocente, même avec la certitude qu'il serait cause d'un assassinat. De peur qu'on ne puisse supposer que cette doctrine lui avait échappé dans la chaleur d'une discussion, un écrivain français le lui ayant reproché, Kant la reprit et l'affirma de nouveau, en l'appuyant de ses raisons (Note de De Quincey.)
(Traduction André Fontainas)
Page 12 (Édition Mercure de France, 1944)
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[...] ... Malebranche, vous aurez plaisir à l'apprendre, a été assassiné. Son assassin est bien connu : c'est l'évêque Berkeley. L'histoire est familière bien que, jusqu'ici, on ne l'ait pas exposée sous son vrai jour. Berkerley, du temps qu'il était jeune homme, s'en fut à Paris et rendit visite au Père Malebranche. Il le trouva dans sa cellule, en train de faire la cuisine. Les cuisiniers ont toujours été un genus irritabile ; les auteurs, plus encore : Malebranche était l'un et l'autre : une dispute s'éleva ; le vieux Père, déjà échauffé, s'échauffa plus encore ; l'irritation culinaire et l'irritation métaphysique s'unirent pour lui détraquer le foie : il se mit au lit et mourut. ( 1 ) Telle est la version commune de l'histoire. "Ainsi, toute l'oreille du Danemark est abusée." Le fait est que l'affaire fut étouffée par considération pour Berkeley qui, (comme Pope le remarque justement), "avait toutes les vertus sous le ciel" ; mais on savait très bien que Berkeley, piqué par les dards du vieux Français, lui avait tenu tête ; il en était résulté une bagarre ; Malebranche mordit la poussière au premier round ; il perdit toute son infatuation et il se fût peut-être rendu mais à présent, le sang de Berkeley bouillonnait, et il exigea que le vieux Français rétractât sa doctrine des Causes occasionnelles. L'homme était trop vain pour cela et il tomba en holocauste à l'impétuosité de la jeunesse irlandaise ainsi qu'à son absurde obstination propre.

Leibniz étant, à tous égards, supérieur à Malebranche, on pourrait a fortiori s'attendre à ce qu'il ait été assassiné ; ce qui, cependant, n'est pas le cas. Je crois qu'il fut piqué de cette négligence et qu'il se sentit outragé par la sécurité dans laquelle il passa ses jours. Je ne puis expliquer autrement la conduite qu'il eut vers la fin de sa vie, car il devint alors très avare et se mit à thésauriser de grandes sommes d'or, qu'il gardait dans sa propre maison. C'était à Vienne, où il mourut ; et il existe encore des lettres qui décrivent l'anxiété sans mesure qu'il éprouvait à l'endroit de sa gorge. Toutefois son ambition d'être au moins l'objet d'un attentat était si grande qu'il n'en voulait pas prévenir le danger. Un défunt pédagogue anglais, manufacturé à Bimingham, le Dr Parr, prit un parti plus égoïste en semblable occurrence. Il avait amassé une quantité considérable de vaisselle d'or et d'argent, qu'il entreposa quelque temps dans sa chambre à coucher, au presbytère de Hatton. Mais, craignant de plus en plus chaque jour d'être assassiné, ce qu'il savait qu'il ne pouvait supporter (chose à laquelle d'ailleurs il ne prétendit jamais si peu que ce fût), il transféra le tout chez le forgeron de Hatton, dans l'idée, sans doute, que le meurtre d'un forgeron serait au salus reipublicae chose plus légère que celui d'un pédagogue. ...

( 1 ) : le 13 octobre 1715. Bien que Malebranche fût alors âgé de soixante-dix-sept ans, il semble bien que la vive dispute qu'il avait eue, quelques jours plus tôt, avec son jeune visiteur anglais, ait en effet porté le coup fatal à la maladie qui le minait.[...]
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...] ... Le premier assassinat vous est familier à tous. En tant qu'inventeur de l'assassinat et que le père de l'art, Caïn dut être un génie de premier ordre. Tous les Caïn furent des hommes de génie. Tubal-Caïn a inventé les tubes, je crois, ou quelque chose de ce genre. Mais, quels qu'aient pu être l'originalité et le génie de l'artiste, tout art était alors dans l'enfance, c'est un fait dont il faut se souvenir lorsqu'on critique les oeuvres sorties de ces divers ateliers. Même l'oeuvre de Tubal ne serait probablement guère appréciée à Sheffield aujourd'hui ; et par conséquent, ce n'est pas dénigrer Caïn (Caïn senior, j'entends) que de dire de son ouvrage qu'il est comme ci, comme ça. On peut présumer toutefois que Milton [célèbre poète britannique, auteur du "Paradis Perdu"] en a présumé autrement. A en juger par la façon dont il rapporte le cas, il semble que ç'ait été pour lui un assassinat favori, car il le retouche avec un visible souci de l'effet pittoresque :

De quoi Caïn eut rage au coeur et comme ils parlaient
Il le férit à la poitrine d'une pierre
Qui fit jaillir la vie ; il tomba et, mortellement pâle,
D'une plainte rendit son âme en un flot de sang répandue.


"Le Paradis Perdu - Livre XI"

A propos de quoi Richardson le peintre, qui avait l'oeil en matière d'effet, remarque ce qui suit dans ses "Notes sur Le Paradis Perdu", p; 497 : "On a cru", dit-il, "que Caïn coupa le sifflet à son frère (comme on dit communément) à l'aide d'une grosse pierre : c'est à quoi Milton se rallie, en y ajoutant toutefois une large blessure." C'était, à cet endroit, un judicieux rajout ; car la grossièreté de l'arme, si quelque chaude couleur sanglante ne vient la rehausser et l'enrichir, vous a le genre par trop dépouillé de l'école sauvage ; on dirait que l'acte a été perpétré par un Polyphème sans science, sans préméditation, sans rien qu'un os de gigot. Mais ce qui me plaît le plus dans ce perfectionnement, c'est qu'il implique que Milton a été un amateur d'assassinat. Quant à Shakespeare, il n'y en eut jamais de meilleur, témoin sa description de Duncan, de Banquo assassinés, etc ... ; témoin, par dessus tout, son incomparable miniature, dans "Henry VI", de l'assassinat de Gloucester. ... [...]
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Titien, je crois , à coup sûr Rubens et peut-être Van Dyck, s'étaient fait une loi de ne jamais pratiquer leur art qu'en grand costume – manchettes de dentelles, perruque à bourse et épée à poignée de diamants ; M. William, on a des raisons de le croire, quand il sortait pour un grand massacre compliqué, portait toujours des bas et des escarpins noirs ; il n'aurait, sous aucun prétexte, humilié sa condition d'artiste jusqu'à porter une robe de chambre.
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Les Derniers jours d'Emmanuel Kant: Evocation des derniers jours d'Emmanuel Kant a Koenigsberg en 1804, librement inspirée du récit de Thomas de Quincey. Réalisateur; Philippe Collin (1995).
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