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Marianne Véron (Traducteur)
EAN : 9782742774296
297 pages
Actes Sud (30/11/-1)
3.24/5   261 notes
Résumé :
En cette matinée du 11 septembre 2001, il y a, dans la main de Keith, masqué de cendres, criblé d'éclats de verre et revenu d'entre les morts dans l'appartement de son ex-femme, Lianne, une mallette qui ne lui appartient pas et que sa main de rescapé serre, mécaniquement, de toutes ses forces. Tandis que Keith se rapproche et s'éloigne d'une autre femme rencontrée dans l'enfer des tours, avant de décider de finir sa vie assis devant une table de jeu dans le désert ... >Voir plus
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Bien avant l'effondrement des «Twin Towers», ou que la lutte contre le terrorisme soit devenue l'un des principaux enjeux de sécurité des Etats du XXIe siècle, l'imminence d'une attaque contre l'«Empire américain» et l'éventualité d'un probable choc civilisationnel entre Orient et Occident («Les Noms», 1990), voire celle d'un attentat ayant pour cible le World Trade Center («Joueurs», 1977), avaient déjà été détectées par les capteurs très sensibles d'un des auteurs actuels les plus doués à passer au crible la société moderne. Rien de surprenant, donc, que Don DeLillo ait par la suite consacré un roman aux événements terribles, défiant toute imagination, survenus le 11 septembre 2001.
«Mes livres parlent de peur et de menace car, depuis l'assassinat de Kennedy, la culture américaine est entrée dans la tourmente», déclarera l'auteur dans une interview accordée en 2018, une dizaine d'années après la parution de son livre.
Don DeLillo s'attèle en effet, depuis une cinquantaine d'années, à circonscrire les impacts subjectifs de ce que l'italien Claudio Magris avait défini comme «un processus planétaire de déracinement des individus de leurs attaches fondamentales» ; à inventorier les séquelles provoquées par l'avènement d'un néolibéralisme économique indifférent à toute considération humaine ou principes humanistes, par la standardisation atterrante de nos démocraties occidentales, par cette froideur croissante qui s'y installe insidieusement, souvent sous les traits aguicheurs d'un matérialisme narcissique effréné et d'une accélération technologique facilitatrice, addictive et dissolvante ; à illustrer les effets très paradoxaux d'insécurisation provoqués par une évaluation permanente des risques et dangers contre lesquels on nous invite sans cesse à nous protéger, par la polarisation croissante entre individus et groupes sociaux d'appartenances différentes aboutissant à une judiciarisation progressive des rapports humains ; ou encore, dit tout simplement, et ainsi que l'avait déjà prévu Heidegger, par le triomphe écrasant de la Technique au détriment de l'Être. Les personnages de Don DeLillo ne cesseraient de l'exprimer à travers leurs sentiments diffus de vivre de manière incertaine, hasardeuse, fragmentaire, compartimentée.
Oracle de la postmodernité ? Fasciné par les langues anciennes et par les vestiges épigraphiques du passé (ici encore, l'un des personnages du roman, Lianne, assistante éditoriale, travaille au moment des attentats à la relecture d'un ouvrage portant sur les alphabets antiques), l'aptitude de l'écrivain à scruter l'air du temps semble néanmoins relever davantage d'une observation fine et distancée de son époque, associée à cette faculté d'intuition indispensable au décodage de ces signes élémentaires qui font du langage humain un catalyseur potentiel de sens et un miroir des civilisations qui l'ont forgé, plutôt que d'un mécanisme quelconque de divination ou d'un exercice littéraire de libre-anticipation…
«Mais c'est bien pour ça que vous aviez construit les tours, non ? N'ont-elles pas été conçues comme des fantasmes de richesse et de puissance, destinés à devenir un jour des fantasmes de destruction? C'est pour la voir s'écrouler que l'on construit une chose pareille. La provocation est évidente. Quelle autre raison aurait-on de la dresser si haut puis de la faire en double, de la dupliquer ? Ce que vous dites, c'est : La voici, démolissez-la», lance, provocateur, un des personnages de L'HOMME QUI TOMBE, Martin, Européen de passage à New York le lendemain des attentats.
Car chez DeLillo, tout est signe, et son écriture, pourrait-on dire, autant cursive et analytique que pictographique et condensée de sens possibles à décrypter par le lecteur… Dans L'HOMME QUI TOMBE, plus que partout ailleurs dans l'oeuvre de l'écrivain, la narration s'appuie sur des paragraphes courts et des arrêts-sur-image. Chromos des débris matériels et immatériels de la catastrophe, épinglés par une sorte de scribe moderne muni d'un Polaroïd («C'est avec Les Noms que j'ai compris à quel point le roman était une expérience visuelle. J'ai commencé à écrire en paragraphes plus brefs, en utilisant une feuille par paragraphe, ce qui m'a permis de mieux voir les mots, la forme des mots, la forme des lettres dans les mots. J'étais en Grèce, et l'idée m'est venue en contemplant les inscriptions en langues anciennes sur les monuments»).
Le titre original du roman, «Falling Man», reprend celui de la célèbre photographie de Richard Drew, censurée dans un premier temps par les médias américains (après avoir fait la couverture du «Times») et devenue depuis l'une des plus iconiques du 11 septembre. Figurant un homme en chute libre, tête la première, corps aligné en parfaite verticalité par rapport à la tour, une jambe légèrement fléchie sous l'autre, l'image inspire à l'un des personnages périphériques du roman, David Janiak, des performances qui diviseront l'opinion publique, la presse et les autorités new-yorkaises : à l'aide d'un harnais de sécurité, Janiak se laisse suspendre aux immeubles, ponts et monuments de la ville reprenant exactement la position du «Falling Man». L'acteur-performer transforme ainsi son corps en signe vivant, pré-écriture picturale d'un des nouveaux arcanes modernes de la terreur. Lianne le verrait bien, d'ailleurs, figurant sur une planche supplémentaire au Tarot de Marseille. (Et, pourrait-on peut-être rajouter, dont la ressemblance avec l'arcane déjà existant du «Pendu» ne serait qu'apparente et superficielle -même position, même verticalité, même jambe repliée-, car, en l'occurrence, «Falling Maun» incarne un archétype nouveau : celui de l'homme évoqué plus haut par Magris, arraché à toutes «attaches fondamentales»).
(Cette image de la chute de l'Etre, outre l'évocation du 11 septembre à travers le cliché de Richard Drew, ne pourrait-elle, à un autre niveau, devenir pour nous une sorte de Sphynx des temps modernes : «déchiffre-moi ou je te dévore" ? La date du 11 septembre 2001 ne serait-elle d'autre part susceptible de constituer, dans un futur lointain, à l'instar de celles de la chute de Constantinople ou de l'invention de la machine à vapeur, un marqueur temporel diviseur entre deux ères de l'histoire de l'humanité? – Je m'égare…)
Il suffit de fermer les yeux et revoir mentalement les avions percutants les tours pour se rappeler la sidération abyssale dans laquelle nous étions plongés à des milliers de kilomètres de là, assis devant nos écrans à les regarder tourner en boucle, comme au ralenti, sans pouvoir nous en détacher.
«Chaque fois qu'elle voyait la vidéo des avions, elle avançait un doigt vers la touche d'arrêt de la télécommande. Puis elle continuait à regarder. le second avion surgissant de ce ciel bleu glacier, c'était la séquence qui entrait dans le corps, qui semblait lui courir sous la peau, la course brève qui emportait des vies et des histoires, les leurs et la sienne, toutes, quelque part ailleurs, loin au-delà des tours».
Keith, rescapé des attentats -qu'on voit au début du roman émerger d'un «espace-temps de pluie de cendres et de presque nuit» tout en serrant étrangement dans ses mains une mallette qui ne lui appartient pas- rentre chez son ex-femme, Lianne, qui accepte comme une évidence qu'il s'y réinstalle. «La longue spirale descendante du temps» vécue par le couple reformé malgré eux et par leur environnement proche, sert de fil conducteur fragile au récit des jours de l'après-attentat, bâti à l'image des brisures qui ont pénétré les corps et les esprits de ses personnages -éclats de verre et d'acier, lambeaux de chair, «shrapnel organique». Âpre et désaffectée, envahie régulièrement par ces mêmes «pensées surgies de nulle part» qui les hantent, la narration, par moments erratique et morcelée, frôle ainsi de très près les contours même de l'expérience que traversent ces derniers.
L'HOMME QUI TOMBE : dépourvu pourtant de tout effet spectaculaire, de tout pathos inutile..!Le seul pathos qu'on pourrait légitimement lui attribuer serait justement ce «pathos en négatif» qui menace la conscience moderne –poussé ici, par la force des choses, à ses derniers retranchements- à savoir, cette technique de survie (à laquelle on semblerait de plus en plus prêts à recourir par les temps qui courent…), élevant la volatilité, les hésitations et les contradictions de ses personnages au rang de système de conduite.
La lecture de ce livre pourrait résulter une épreuve difficile pour le lecteur qui s'attendrait à une mimésis classique, «romancée» des évènements : en réussissant à insuffler à l'écriture de son roman les effets du traumatisme qu'elle cherche à retranscrire, DeLillo instille chez le lecteur aussi des états proches de l'hébétude dans laquelle évoluent ses principaux protagonistes (y compris les terroristes, Mohammed Atta et «Ahmad», personnages eux-aussi du roman, suivis jusque dans leurs derniers instants de déréliction avant le choc contre la tour nord).
L'HOMME QUI TOMBE ne se résume pas pour autant à une vision hasardeuse et déroutante des incidences subjectives des attentats du 11 septembre sur quelques-uns de leurs protagonistes. Invitant, grâce au génie caractéristique d'une des plumes les plus ambitieusement chirurgicales de toute la littérature contemporaine, à les sortir définitivement des raisonnements réducteurs autour d'un supposé «axe du Mal» à combattre, pour les replacer dans un contexte plus large, multifactoriel et multilatéral, et notamment comme une conséquence inévitable du déséquilibre à échelle planétaire provoqué par un nouvel ordre mondial dont, hélas, d'autres catastrophes terribles sont à craindre dans un avenir plus ou moins rapproché… - Don DeLillo aura, à mon sens, signé l'ouvrage le plus complet, pur chef-d'oeuvre de toute la littérature engendrée par les attentats du 11 septembre jusqu'à ce jour.


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Après « Cosmopolis » que j'avais lu avec un effort soutenu, « L'homme qui tombe » a été une nouvelle fois pour moi, une vraie torture. Celui qui est adulé, vénéré comme un des grands auteurs de son temps m'est complètement indifférent.
L'écriture sublime semble être là, le choix de déstructurer son récit évident, pourtant je n'y arrive pas. Blocage pur et dur, c'est surement formidable, mais pour moi c'est un supplice. Tandis que Don DeLillo fait avancer son histoire, moi je fais de constants retours en arrière pour tenter de m'y retrouver. Pourtant le sujet était tentant, je me suis accroché (comme pour « Cosmopolis ») mais ma volonté à des limites. Je les ai malheureusement trouvées avec Don DeLillo.
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Je peux comprendre les lecteurs qui disent qu'ils ont souffert à la lecture de ce livre ou même qu'ils l'ont détesté. J'ai été moi-même à deux doigts de laisser tomber cette lecture. Plus précisément, c'est ce que j'ai fait, arrivé environ au milieu du livre. Cette lecture m'avait plombé et j'avais l'impression de "tomber" moi aussi comme l'homme qui donne son titre au roman, un comédien qui, dans les semaines qui ont suivi l'attentat du 11 septembre à New York a décidé de se produire à différents endroits de la ville, pendu la tête en bas, une jambe repliée, en référence aux personnes qui s'étaient jetées dans le vide depuis les tours du World Trade Center et dont les caméras ou les objectifs avaient pu capter la chute.

Et puis quelques jours plus tard, j'ai rouvert le livre et j'ai pu poursuivre ma lecture en y trouvant, sinon du plaisir, du moins de l'intérêt. En nous décrivant la vie de cinq ou six personnages new-yorkais (ou du moins familiers de New-York, comme l'allemand Martin) dans les semaines et les mois qui ont suivi l'attentat du 9/11, c'est un monde très fragmenté que nous dépeint ici Don DeLillo, une sorte de puzzle cubiste auquel le lecteur a bien du mal à trouver un sens. Tous semblent soumis à un mélange de forces centripètes et centrifuges qui les poussent à la fois à se rassembler et à se fuir. L'onde de choc de l'attentat est bien présente mais il est souvent difficile de mesurer l'impact réel que cet évènement traumatique a eu sur leur vie, faute de connaître (sauf par bribes) ce qu'était leur vie avant l'attentat. On a l'impression que les vies de ces personnages se prolongent dans l'épais nuage de fumée provoqué par l'effondrement des tours.

Cette difficulté à progresser dans la compréhension des motivations des personnages (Keith, le survivant, qui a pu s'échapper de la tour où il travaillait, son ex-femme Lianne, leur fils Jason, Florence, elle aussi rescapée, Nina, la mère de Lianne et son ami Martin, activiste engagé en Allemagne dans les années 60 et reconverti en marchand d'art...) est ce qui m'a rendu la lecture de la première partie difficile. Mais c'est cette même difficulté qui m'a ensuite fait apprécier ce roman, une fois accepté le principe que la chute des deux tours, et celle des corps qui s'y trouvaient nous a plongé (nous lecteurs, comme les américains et les occidentaux) dans une quasi-nuit dans laquelle, désorientés, nous ne pouvons qu'avancer à tâtons, hors de toute certitude.

Cette incertitude, ce flou qui nimbe les personnages américains du livre sont mis en évidence, par contraste, par les brefs chapitres, à la fin de chaque partie du livre, où l'auteur nous montre la tranquille assurance avec laquelle les terroristes préparent leur attentat, planifié de longue date. Saisissant.

C'est un roman complexe, difficile à lire mais l'effort qu'il exige peut trouver sa récompense au bout du compte.
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En lisant ce livre, je me suis souvent dit “Que la littérature américaine contemporaine est riche! Que de grandes autrices et auteurs, et dans tant de registres!” Et Don DeLillo, dont je viens pour la première fois de lire un roman, en fait assurément partie!

Et aussi, trottait dans ma tête cette petite phrase si juste de mon amie babeliote Fabinou7. « Comme souvent avec un bon livre, ce n'est pas tant ce qui est narré qui rend l'expérience de lecture singulière et prenante, mais l'art et la manière de réinventer la narration ».
Ce roman, « L'homme qui tombe », c'est tout à fait cela.

J'aurais voulu débuter avec cet auteur par son plus célèbre roman « Bruits de fond », mais celui-ci en prêt dans ma médiathèque, j'ai choisi celui-là dont mon ami babeliote Creisifiction a fait une critique très fouillée, comme toujours.

Avec un thème aussi connu que les attentats du 11 septembre 2001, l'auteur nous emmène dans la vie d'un couple dans lequel cet événement tragique est le déclencheur d'un essai de reprise de vie commune, mais pas que cela.
C'est aussi, sans pathos, ni démonstration aucune, sans parti-pris, le récit d'humains initialement en état de sidération, qui essaient de trouver un sens à leur vie.
A travers une narration si spéciale, faite de phrases courtes, dans laquelle le lecteur passe de façon très fluide d'un protagoniste à un autre, les pensées qui traversent Lianne, personnage le plus sensible, le plus attachant et le plus complexe du roman, son mari Keith revenu chez elle sans s'en expliquer juste après avoir quitté une des tours jumelles en feu, leurs échanges avec leur fils Justin, avec la mère de Lianne, Nina et son vieil amant Martin, et avec quelques autres, témoignent de leur désarroi, de leur volonté de prendre un nouveau départ, sans que cela soit dit, mais aussi, et surtout pour Lianne, de leur questionnement sur la mort, sur l'art, la religion, sur leur mode de vie, et de leurs doutes aussi, entre autres, leur rapport à l'humanité qui habite notre planète et qui leur envoie ce terrible signal de haine. Et les propos de Martin, marchand d'art dont on apprendra qu'il appartint probablement au groupe terroriste allemand de la Bande à Baader, sur la provocation que représentent les tours, exhibition de la puissance du monde capitaliste, sont un des exemples d'un récit tout en nuances, d'une grande richesse.

En opposition à ce monde « civilisé » plein d'incertitude, l'auteur nous donne à voir les certitudes folles d'un des terroristes, Amir, qui participe au commando qui jettera ses avions sur les tours du World Trade Center.

Et en contrepoint, apparaîtra, jusqu'à sa mort énigmatique, « l'homme qui tombe », un artiste « performer » un peu paumé qui saute d'immeubles en saut à l'élastique, tout en prenant la posture de ceux qui chutèrent des tours, une performance mystérieuse qui suscite la controverse.

Et Don DeLillo dit les choses sans vraiment les dire, et ce mode de narration est particulièrement efficace pour nous attacher à ces êtres souffrants et incertains.
Un écrivain unique, dont j'attends avec impatience de lire « Bruits de fond » et bien d'autres livres.
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Voilà un livre compliqué à circonscrire, aussi imbécile que génial, aussi brutal qu'anodin. Des générations de critques littéraires pourraient me lapider pour une sentence comme celle-ci concernant leur chouchou parmi les chouchoux, l'écrivain américain que l'on se doit d'adorer. Alors effectivement, Don DeLillo est un romancier particulier, surtout redoutable : fin, précis, grand architecte du roman, à l'écriture toujours nette, parfois magnifique, un romancier qui sait complétement évoquer les petits instants, lorsque le temps T dure une éternité, lorsque la seconde se dilate et que l'oeil nous fait découvrir l'un après l'autre les dix milles points précis d'un paysage. Don DeLillo sait écrire, il est le grand écrivain contemporain avec Paul Auster pour Femmes actuelles et Bret Easton Ellis pour Télérama. Il n'empêche que parler du 11 septembre pour cet écrivain de la suspicion, du conflit mondial, aracchnéen, était irrémédiable : il devait fournir sa réalité au 11 septembre, abreuver de sa vision les visions étriquées du grand cirque critique littéraire.
Il y arrive. Don DeLillo parvient à chacun de ses bouquins à élaborer une intrigue fragmentée, assez complexe et qui dévoile au fil des pages sa singulière hétérogénéité. Keith est cet homme qu'on a tous remarqué sur nos écrans de télé, cet homme qui marche en chemisette blanche ensanglantée, derrière lui la tour en feu, une mallette dans la main. Il erre dans manhattan, à demi conscient de la réalité des choses qui l'entourent, et se rend chez sa femme, de laquelle il est séparé depuis quelques temps. Lianne et Keith vont se reconstruire autour des attentats, elle en sur-interprétant chaque signe et lui en vivant sur une brêche permanente, comme si le fluctuant ne pouvait qu'être, comme si les choses immobiles n'existaient plus pour lui. On croise peu de personnages dans ce roman, Lianne et sa mère, malade, son fils à elle et Keith, un petit paranoïaque de 8 ans, qui guette le ciel en compagnie de deux faux-jumeaux, et attendent Bill Lawton. Ben Laden. Voilà pour les personnages, cette Lianne véritablement insupportable, tellement choquée qu'on lui jetterait le livre à la figure, lorsqu'elle s'emporte sur son palier face à une femme qui passe une musique ni trop forte, ni suffisamment faible qu'on ne la remarque pas en passant. Elle attaque cette femme, jugeant indécent d'écouter maintenant cette musique orientale, quasi blasphématoire. L'Amérique, vous êtes avec elle ou contre elle.
Don DeLillo a parfaitement réussi ces instants là. Il s'est situé dans la vérité du moment, entre nos yeux et l'écran de télé, captant les messages codés que nos cerveaux ne manquaient d'envoyer à la Terre entière. C'est magnifique de vérité crue, glaciale comme ces temps l'étaient mais malheureusement, c'est aussi très affecté. Lorsque Lianne interprète tout, lorsqu'elle soigne des malades atteinds d'Alzheimer (qui pourrait oublier ça ?) le romancier accroche trop de fils à son intrigue. Il fallait penser au couple. La vérité était dans ce couple brisé, on aurait compris le rapprochement, inutile de nous coller des jumeaux, des inconscients, des blancs et des noirs, des oppositions franches. On aurait compris la subtilité de la situation. Au lieu de ça Don DeLillo s'égare à nous gâver et encore et encore de ce pathos un peu lourd, comme si les images que l'on avait tous vues devaient encore et encore nous être expliquées et décortiquées. (Pourquoi nous infliger Mohamed Atta ?)
Cet Homme qui tombe est un artiste de rue qui se pend à des endroits stratégiques, il évoque cet homme qui s'est jetté au delà de l'horreur.
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Citations et extraits (30) Voir plus Ajouter une citation
On lui avait appris à croire que la religion rend les gens dociles. Tel est l’objectif de la religion, ramener les gens à l’état infantile. Effroi et soumission, disait sa mère. Voilà pourquoi la religion parle si puissamment en termes de lois, de rituels, et de châtiments. Et magnifiquement aussi, inspirant la musique et l’art, élevant la conscience chez les uns, la réduisant chez les autres. Les gens tombent en transe, les gens se retrouvent littéralement à terre, les gens rampent sur de grandes distances ou marchent en processions compactes, en se flagellant, en se mutilant. Et nous tous, les autres, peut-être sommes-nous ébranlés plus en douceur, rattachés à quelque chose au tréfonds de l’âme. Puissance et beauté, disait sa mère. Nous voulons transcender, nous voulons franchir les limites de la compréhension inoffensive, et quel meilleur moyen d’y parvenir que par l’illusion ?
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Un ciel limpide qui portait la terreur humaine dans ces appareils lancés à grande vitesse qui le zébraient, d’abord un, puis l’autre, la force d’intention de ces hommes. Il regardait avec elle. Chaque désespoir qui se découpait sur le ciel, des voix humaines qui invoquaient Dieu, et l’horreur d’imaginer cela, le nom de Dieu sur les lèvres des tueurs et des victimes, d’abord un avion puis l’autre, celui qui était presque un dessin animé à forme humaine, avec des yeux et des dents qui étincelaient, le deuxième avion, la tour sud (…) Debout contre le mur il avait tendu le bras contre la chaise et lui avait pris la main. Elle se mordait la lèvre et regardait. Ils allaient tous mourir, passagers et équipages, et des milliers d’autres dans les tours, et elle le ressentit au plus profond de son corps, un temps d’arrêt comme un abîme, et elle songea il est là, incroyablement, dans l’une de ces tours, et maintenant sa main est sur la sienne, dans la pâle lumière, comme pour la consoler de sa mort.
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Parfois, ces nuits-là, il semblait sur le point de dire quelque chose, un fragment de phrase, rien de plus, et tout serait fini entre eux, toute parole, toute forme d’arrangement, quoi qu’il en fût des traces d’amour qui s’attardaient encore. (…) Il traversait l’appartement, légèrement penché de côté, avec un sourire que déformait la culpabilité, prêt à briser une table et à y mettre le feu afin de pouvoir sortir sa queue et pisser sur les flammes
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« Il (Keith) commença à envisager la journée, la minute. C’était le fait d’être ici, seul dans le temps, qui l’y incitait, le fait de se trouver à distance des stimulations du quotidien, de toutes les formes fluides de la communication professionnelle. Les choses paraissaient immobiles, elles semblaient plus dessinées, curieusement, d’une manière qu’il ne comprenait pas. Il commença à discerner ce qu’il faisait. Il remarquait des choses, tous les petits battements perdus d’une journée ou d’une minute, la façon dont il se léchait le pouce et s’en servait pour ramasser une miette de pain et la mettre distraitement dans sa bouche. Sauf que cela n’avait plus rien de distrait. Il n’y avait plus rien qui parût familier, être ici, de nouveau en famille, et il se sentait bizarre à ses propres yeux, ou peut-être avait-ce toujours était le cas, mais maintenant c’était différent par ce qu’il se tenait en observation. » (page 82-83)
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Les ciels qu'elle gardait en mémoire étaient des spectacles, des nuages et des tempêtes en mer, ou cet éclat électrique avant le tonnerre d'été sur la ville, qui appartenaient toujours aux seules énergies météorologiques, à ce qu'il y avait là-bas, masses d'air, vapeur d'eau, mouvements d'ouest. Ceci est différent: un ciel limpide qui portait la terreur humaine dans ces appareils lancés à grande vitesse qui le zébraient, d'abord un, puis l'autre, la force d'intention de ces hommes.
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White Noise | Teaser officiel VOSTFR | Netflix France. Inspiré du roman "Bruit de fond" de Don DeLillo, WHITE NOISE (2022) est un film de Noah Baumbach avec Adam Driver et Greta Gerwig.
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