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Michel Courtois-Fourcy (Traducteur)
EAN : 9782742731107
656 pages
Actes Sud (01/01/2001)
4.18/5   98 notes
Résumé :
22 novembre 1963, assassinat du président Kennedy.
Faute d'élucidation crédible, le mystère est resté total et le drame est entré dans la légende américaine. Don DeLillo a puisé dans la vérité historique tous les éléments d'un fantastique roman policier - agents secrets, activistes de droite et de gauche, mafiosi, stripteaseuses, trafiquants de drogue, CIA, FBI, KGB, Fidel Castro. et un coupable désigné nommé Oswald, né sous le signe de la Balance (Libra, en ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (13) Voir plus Ajouter une critique
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Libra, le signe de la balance en anglais, celui de Lee Harvey Oswald désigné comme le principal suspect de l'assassinat du Président Kennedy le 22 novembre 1963.
Suspect mais jamais reconnu coupable du meurtre de Kennedy. Bien des rapports, pourtant, désignent Oswald comme l'assassin.
Oswald sera abattu par Jack Ruby avant d'avoir pu être jugé.
Ceci pour la présentation de l'affaire Kennedy relatée des dizaines et des dizaines de fois depuis lors.
Don Delillo nous relate, ici, une certaine biographie d'Oswald, Kennedy n'étant que l'épisode final de la vie d'Oswald.
Engagé chez les marines à dix-sept ans il découvre, par des lectures, le communisme, qui ne le quittera jamais. Un passage en prison militaire, la vie au Japon, les femmes, la drogue et le jeu, puis il s'exile pendant trois ans en Union soviétique où il révèle certains secrets militaires américains. il épouse Marina puis rentre avec femme et enfant aux Etats Unis, sans avoir de compte à rendre aux autorités sur sa défection et son passage en terre communiste. Ce qui reste suspect.
Dans sa quête perpétuelle du communisme il tente de rallier Cuba, sans succès.
C'est ce parcours qui aura intéressé l'auteur plus que le geste d'avoir ou non tiré sur le président.
A la base il y a le ratage complet de l'épisode de la Baie des Cochons, amputable à Kennedy, et les morts tant américains que cubains anti Castro. Ce sera la goutte qui a fait déborder le vase et amènera l'exécution de Kennedy.
Oswald navigue là dedans de promesse en promesse et de ville en ville puisque l'endroit de l'exécution devait être tout autre que Dallas.
C'est ce personnage d' Oswald qui aura intéressé DeLillo, Oswald le mutique, Oswald l'inconstant, Oswald l'instable, Oswald le communiste. Mais peut-on raisonnablement compter sur Oswald?
Le roman écrit comme un polar avec tous les ingrédients nécessaires, gros bras, fourgues, policiers, politiciens de tout bord, anciens militaires et cubains revanchards, tous axés sur la suppression du président.
Le livre est remarquable tant pour l'écriture impeccable que pour le climat de l'époque rendu de main de maître par DeLillo dont il n'est pas utile de rappeler que le bonhomme sait écrire.
Une mention particulière pour le personnage de la mère d'Oswald qui, à chacune de ses interventions, parle comme si elle s'adressait à un juge. Porterait-elle, en elle, la responsabilité des actes de ses gamins? Elle qui n'aura de cesse de leur donner une éducation honnête.
Un grand livre.


Lien : https://www.babelio.com/livr..
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Ô Don, Don… Réputé difficile à lire : eh ben c'est pô faux… Alors voilà du petit conseil pour se balader sereinement dans son Libra :
se rappeler que DeLillo peut, d'une phrase à l'autre, dire "il" en parlant d'une autre personne que le paragraphe précédent, quel taquin cet écrivain, mais bon, c'est un coup à prendre.
Noter le nom des trois personnages "de l'ombre", qui traficotent au début et établissent des plans dans de savoureuses discutions, avec les épouses notamment. Noter aussi qu'il peut les appeler par leur prénom, puis par leur nom de famille, puis par leur surnom, puis leur nom entier, comme ça, en changeant selon ses humeurs :
Walter, Everett, Win, c'est la même personne.
Larry, Laurence, Parmenter, itou.
Mackey, TJ, T Jay, idem.
Sans parler de notre Balance, (Libra en anglais), et ses noms, pseudonymes, noms d'emprunts, Lee, Oswald, O.H. Lee, mais aussi Alek puis Alik, Leon-comme-Trotsky, etc…
Se rappeler que le livre est construit en double pont (la première fois que j'ai vu cette alternance de chapitres présent/passé, c'était dans "Liberté pour les Ours" de John Irving), c'est aussi un coup à prendre : ici, en 1963, nos trois gars de la CIA, qui manifestement, se sont plantés en toute beauté lors de la Baie des Cochons et ont été gentiment écartés en guise de punition - et veulent encore se sentir actifs. Là, le petit Lee Oswald deviendra grand, ses errements au fil de sa drôle de vie si courte, depuis les années 40 de sa petite jeunesse, jusqu'au jour fatal où Jack Ruby l'abat en 63, end of the story à 24 ans à peine.
Et hop, yapuka plonger.
Et c'est du grand. Quel écrivain !

Quel boulot, d'abord. Un boulot de collecte, sur la vie d'Oswald : le ptit gars du sous-sol avec une môman pas douée pour l'amour ni l'attention, un grand frère qui sert de modèle en l'absence d'un pôpa mort trop tôt (Lee est le troisième de la fratrie, le deuxième fils de monsieur Oswald le bien-aimé, qui hélas est mort d'une crise cardiaque deux mois avant la naissance De Lee). Les années de collège, le ptit gars a un QI élevé (118 dit-on) mais il est dyslexique, pas foncièrement intégré - mais bah, il n'en fait pas une maladie, après tout, il avance. Les années dans la Navy comme le grand frangin, pas vieux, à 17 ans. Ça le trimbale du Japon à la prison militaire, allez, ce sont des expériences, il les vit. Résonnent dans sa tête des envies d'appartenir à un projet, un projet de monde meilleur. Il lit Marx, Trotsky, Lénine, il rêve du royaume des Soviets où ce monde est en train de s'épanouir en vrai, il veut en tâter. Il apprend le russe et se renseigne pour que son rêve devienne réalité - j'ai lu ici et là qu'il avait tout raté, et je ne suis pas d'accord. Il a été au turbin, il a confronté ses rêves à la vraie vie, il y a été avec son corps, son esprit, bille en tête et relativement honnêtement. En Urss après le cauchemar stalinien, l'ambiance est à la détente avec Kroutchev. Des petites histoires de rencontres avec quelques jeunes femmes, des femmes sur des terres lointaines, comme s'il ne se sentait pas d'appartenir au monde américain par sa sexualité ou ses amours. Puis Marina, bah il n'a que vingt ans après tout, c'est une rencontre comme on en fait à cet âge, pour elle aussi, rien de grandiose, des petites vies cocasses. le système soviétique ne lui convient plus trop, finalement. Il aurait aimé apporter sa pierre à l'édifice du bien des peuples, être ce héros qui donne tout à sa nouvelle patrie, mais sa nouvelle patrie ne sait pas quoi faire de ce petit gars étrange, alors elle n'en fait rien, voilà. Bon, disons que sa môman lui manque, puisque maintenant elle se préoccupe de son sort, et son frère aussi, alors il convainc Marina de s'essayer à l'Amérique. Exil pour elle, sacré exil, le petit bébé June est né, ils partent tous les trois pour la Nouvelle Orléans, allez, on va tâcher de faire quelque chose de sa vie. Mais bof, l'Amérique n'est pas non plus le paradis, nulle part c'est le paradis d'ailleurs. Sans être l'enfer pour autant. Ya un pays, ya des gens, et encore, à 20 ans, des rêves de gloire, des rêves de se montrer utile. Il n'a que 21 ans, 22 ans, le petiot.
Et là, il rejoint le "rêve" des trois ex-CIA sus-nommés. Un plan pour réveiller l'Amérique, qui se transforme en vengeance. le rêve de confectionner une réalité de fiction, de fictionner une histoire pseudo-vraie, de changer la face du monde mais à leur idée, en adaptant un conte à leurs actions de l'ombre. Dans le jeu des vrai-faux, il y a Don DeLillo lui-même, qui fictionne sur de vrais évènements en rendant réelles des zones d'ombres et s'amuse avec tout ça.
Le boulot.
D'autres personnages sont apparus, entre temps, et eux ont réellement existé : David Ferrie le très étrange corps sans poils qui se dessinait des sourcils et portait des moumoutes aléatoires, les photos qu'on trouve de lui me collent le malaise, c'est un très curieux bonhomme - qui se prend de tendresse pour le petit jeune kinanveu. Il est le pilote d'avion de Guy Banister et des anti-castristes, pour toutes les actions troubles.
Guy Banister en son fief de la Nouvelle-Orléans, ex-flic, ex-FBI, du genre suprémaciste blanc anti-communiste qui a participé à toutes les actions anti-castristes dont la Baie des Cochons, un vieil alcoolique violent. Il bosse avec le ponte de la mafia New Orleans, Carlos Marcello, appelé Carmine Latta dans le livre. La secrétaire de Banister, Delphine Roberts, a elle aussi existé.
George de Morenhschildt qui traverse l'histoire occidentale, de nazis en pontes communistes, russe et et plein d'autres choses, est ami avec la famille Bouvier et proche de la tante de Jackie Bouvier-Kennedy. Il prend aussi Oswald sous son aile, ainsi que Marina, parlant russe.
Le fasciste général Walters du sud suprémaciste.
Les mafieux Sam Giancana (de Chicago), Santos Traficante (de Cuba puis de Miami) et Jimmy Hoffa du syndicat des Camionneurs.
Et bien sûr, Jack Ruby. Encore un sacré bonhomme, avec ses chiens, ses stripteaseuses, ses lamentations...

Quant à nos trois ex-CIA du début, Win, Larry et T.Jay, qui ont foiré l'attaque de la Baie des Cochons, ce sont des noms inventés… Rien trouvé pour T.Jay, mais en farfouillant sur le net, pour Everett et Parmenter, je trouve qu'ils pourraient s'appeler Allen Dulles et Richard Bissell, respectivement directeur et responsable des opérations clandestines de la CIA. Et peut-être Franck Bender, directeur de l'opération de la baie des Cochons (merci Wikipedia). Allen Dulles fut congédié de son poste historique de directeur de la CIA. Son adjoint Richard Bissell fut envoyé à l'Institut d'Analyses de la Défense après avoir présenté sa démission. le Général Charles Cabell, chef des opérations de la Baie des C (et frère d'Earl Cabell, maire de Dallas de 1961 à 1964 tiens tiens), fut également limogé. Il était très rageur, ensuite, accusant Kennedy d'être responsable de l'échec.

Le boulot de recherches, donc. Et puis le talent littéraire. Comme Ferrie ou George, je l'aime bien maintenant, cet étrange Lee Oswald, grâce à Don Delillo. J'ai amèrement regretté qu'il soit tué si vite, le Patsy - le Patsy, ça veut dire le Pigeon, et c'est ce qu'il clame aux journalistes au poste de police de Dallas où il est enfermé, I'm just a patsy. Il venait d'avoir vingt-quatre ans, c'est pô ben vieux. S'il était resté en vie… J'ai lu dans un commentaire Babelio qu'il y avait de l'Etranger de Camus dans Lee Oswald, c'est super bien vu. Oswald au calme dans sa cellule protectrice, nourri logé, de la lecture, peu de contacts avec l'extérieur, des décennies d'enfermement, paisibles. Il est encore plus un étranger à sa propre vie que Meursault, tout en l'ayant menée comme il pouvait. Etranger au Japon, étranger en Russie et finalement, étranger aux USA, mais rien n'est grave. S'il était resté en vie…
Suis tombée sur les photos de quelques-uns de ces messieurs, morts. Ca ne plaisantait pas et ça ramène la "fiction" de Don DeLillo dans le réel (et ça fait froid dans le dos). Il n'use pas de la violence comme James Ellroy peut le faire, mais les faits se suffisent à eux-mêmes. J'ai bien aimé mon ordre de lecture : American Tabloïd et ses personnages de fiction, mêlés à cette troupe qui a vraiment existé (Guy Banister et David Ferrie, par exemple, y jouent un grand rôle) et qui s'arrête le 22 novembre 1963 à 12h29. Suivi de American Death Trip, qui commence le 22 novembre 1963 à 12h30 et se poursuit jusqu'en 68 avec les assassinats de Martin Luther King puis Bobby Kennedy. Et enfin, Libra. James Ellroy raconte qu'il a été soufflé par le talent de Don DeLillo et son Oswald si humain. Il a repris un peu la même construction, les mêmes fistouilles pour perdre le lecteur en le forçant à rester concentré. Et il évoque à peine Oswald dans ses deux pavés, ne voulant faire de l'ombre au Libra de DDL.
Théorie de DDL : l'idée primitive était de faire un attentat contre Kennedy, mais en le ratant. Un truc grandiose, qui aurait désigné Castro comme coupable, réhabilitant la CIA qui a empêché de justesse l'assassinat, vengeant ainsi les perdants de la Baie des Cochons à l'amertume vive… mais l'amertume était trop vive. Théorie de J.E. : tuer Jack Kennedy, c'était la plus féroce des punitions envers Bobby Kennedy, l'intransigeant Bobby qui faisait rien qu'à empêcher les capi de la mafia de mafieuser tranquillement.
Curieusement, c'est Libra qui m'a donné envie de plonger dans l'océan internet pour en savoir plus. J'avais fait des recherches pour savoir si les personnages de Ellroy avaient existé ou non, mais rien de plus. Tandis que là, j'ai mis des images sur tout le monde à part les personnages de fiction, j'ai rencontré Marina et Môman Marguerite, Robert le frère de l'un ayant tué le frère De Robert… J'ai même vu les petites Junie et Rachel, les filles d'Oswald, devenues grandes, et leur très curieux destin : comme dit Rachel, on est quatre sur terre qui avons les images de la mort de nos pères que nous avons si peu connus, des images qui ont fait le tour du monde : les deux enfants de JFK, et ma soeur et moi… J'ai rencontré le malsain David Ferrie, Jack Ruby la victime-coupable collatérale, les chefs de mafias, et ces photos de leur cadavre. Et j'ai suivi la liste des morts étranges d'après l'attentat, toutes ces fifilles stripteaseuses de chez Ruby qu'on a massacrées une par une, les témoins, les participants de loin, les participants de près. L'assassinat de Kennedy reste encore vibrant de tout ce mystère morbide, j'aime que ces grands écrivains se soient penchés dessus et nous livrent leur théorie à laquelle j'adhère. Au moins, pas de tireur unique. le reste coule de source. Sacrée époque. Philip Roth, dans sa vénérée American Pastorale située dans les années 60, ne parle pas de Kennedy. C'est troublant.
Finalement, j'ai envie de replonger dans les Ellroy avec tout ce que j'ai appris au passage. Mais aussi dans le 22.11.63 de Stephen King. Au fil des lectures et toujours passionnée, je vais devenir bientôt LA spécialiste internationale de Kennedy, la famille, de l'arrière-grand-père aux petits enfants, les épouses, et surtout les maîtresses de Jack mais aussi de Bobby, et même les amants de Jackie. Sinatra, les mafieux, Vegas. Marilyn bien sûr. Oswald maintenant. La Baie des Cochons, Hoover, la CIA, les haines explosées. Et le jour de l'assassinat. Si vous avez des questions…
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Il n'y a pas de vérité absolue, pas non plus de révélation foudroyante dans ce magnifique roman, fiction très élaborée, sous forme d'un récit retraçant les huit mois qui ont précédé l'assassinat de John Fitzgerald Kennedy, le 22 novembre 1963. Durant ces mois se forgea un complot mal ficelé, et se démasqua celui qui fut désigné coupable du meurtre, Lee Harvey Oswald.
DeLillo n'est pas un auteur simple, limpide, complaisant. Il peut être nécessaire de relire Libra pour tout comprendre. Les chapitres se succèdent, chapitres ou sections rendant compte de la vie d'Oswald alternant avec ceux relatant les intrigues nouées autour des liens entre Cuba et Fidel Castro et le gouvernement des États-Unis.
Élevé par sa mère seule, marqué par un frère plus âgé, l'enfance d'Oswald est caractérisé par de nombreux déménagements, puis, son autonomie acquise, par une errance, une instabilité qui l'orientèrent vers le marxisme et des fréquentations douteuses.
Engagé dans les Marines au Japon, il se retrouve en Union Soviétique où, soumis à de sévères interrogatoires, il livre quelques secrets militaires. À Minsk, il épouse Marina, finit par regretter les États-Unis, et y retourne, avec l'idée de se battre pour Castro, Cuba et la gauche, tout en renouant des liens avec d'anciens agents de la CIA. Oswald est un rêveur : conscient de ses limites, il se rêve néanmoins comme un acteur influent de l'Histoire. Il la façonnera de fait, mais certainement à son corps défendant.
Du côté des comploteurs, on manque de rigueur, de discipline et d'une bonne coordination : l'instigateur en chef, Everett, pense qu'un « attentat raté, présenté comme étant perpétré par des Cubains » serait un avertissement utile pour que Kennedy durcisse sa position envers l'île communiste, voire exerce des représailles. Personne n'a oublié l'échec de l'épisode de la Baie des Cochons, censé éliminer la Révolution castriste de Cuba, et tous imputent la débâcle et ses morts à Kennedy - à tort. Finalement n'est-ce pas cette défaite, la haine de Cuba et du communisme que JFK paiera de sa vie ?
Les exécuteurs du plan, un certain Mackey en tête, le trouvent trop complexe et décident, non d'épargner, mais d'éliminer la cible, JFK.
Le complot prend une forme chaotique, s'enfonce dans des circuits labyrinthiques, multiplie les instigateurs, les interlocuteurs d'Oswald, lequel semble dérouté, entre ses difficultés conjugales, son travail instable, ses troubles existentiels, son indécision chronique. Plus dérouté encore, le lecteur qui se débat pour tenter de comprendre, de démêler, de simplifier, de conclure : dira-t-il qu'Oswald, hésitant dans sa tête, agit néanmoins dans les faits comme l'exécuteur du Président ? Qu'il l'a effectivement exécuté, alors que jamais il ne fut reconnu coupable par la justice (seulement par l'opinion publique et divers rapports), car tué par Jack Ruby deux jours après son arrestation ?

La mort de Kennedy reste un mystère dont les protagonistes, nombreux, « morts », « oubliés », n'ont pas été clairement identifiés. Don DeLillo ne prétend pas détenir une vérité, ne met pas d'hypothèses sur la table. Avec beaucoup de rigueur, il dessine un arrière-fond, une toile qui se tient, et se montre subjugué par ce personnage énigmatique, inconstant et certainement manipulé d'Oswald. Personnage paradoxal car, fasciné par Cuba et le communisme, il se laisse manoeuvrer par des anticastristes radicaux, anciens de la CIA ou mafieux, pour assassiner un Président très (trop) modéré sur la question cubaine. N'a-t-il pas finalement le portrait idéal du « paumé » que l'on pourra « présenter » comme un tueur solitaire, d'autant que sa position de tireur (sur JFK) était très ostentatoire.

L'assassinat de Kennedy a donné lieu à une légende, dont les éléments étaient, ou avaient été mis, en place pour que la légende reste légende. Don DeLillo s'est inscrit dans ce schéma tout en mettant en évidence sa fragilité, le rôle du hasard, la vraisemblance du complot mal fichu, la nécessaire fonction de bouc émissaire.
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"C'était l'année où il prenait le métro d'un bout de la ville à l'autre, trois cents kilomètres de rail. Il aimait se tenir debout, à l'avant de la première voiture, les mains bien à plat contre la vitre. La rame fonçait dans le noir. Les gens, sur les quais des stations réservées aux omnibus, fixaient le vide, comme ils avaient appris à le faire depuis des années. Il se demandait vaguement, alors qu'il passait comme une flèche devant eux, qui étaient réellement ces gens. Son corps vibrait à l'unisson des vitesses de pointe. Ça allait si vite parfois qu'il se demandait si on n'était pas en train de perdre le contrôle. le bruit atteignait des stridences douloureuses qu'il acceptait comme une épreuve personnelle. Une autre courbe délirante. Il y avait une telle charge de métal dans ce vacarme qu'il pouvait presque sentir un goût de fer sur sa langue, comme celui que découvre un enfant en portant un de ses jouets à la bouche."

Cet incipit l'annonce, il y a de l'exaltation et du métal, inévitablement des armes, dans ce récit romancé de la vie de Lee Oswald, l'assassin (présumé) de JFK. Au départ, le livre suggère qu'il s'agissait de rallumer l'hostilité des exilés cubains envers Castro, frustrés après l'échec de la baie des Cochons, en commettant un attentat manqué contre le Président des USA, qu'on attribuerait aux communistes castristes. À la source, des anciens de la CIA, plus ou moins liés à Cuba, à ses ressources perdues, à quelques accès d'idéalisme trouble. le projet échappe finalement à ses initiateurs et au bout, il y a Oswald, cet ancien Marine instable qui oscille d'une vie à l'autre, du ratage au rêve d'être quelqu'un – Libra signifie en anglais le signe du zodiaque de la Balance –, Oswald qui se retrouve à une fenêtre du bâtiment des Archives d'Elm Street à Dallas, muni d'un fusil à lunettes. Un gringalet tout désigné devient l'ennemi numéro un du monde occidental. Il n'y survivra que deux jours. Don DeLillo opte cependant pour un deuxième tireur qui serait l'auteur du terrible impact au crâne du président, visible dans le film 8 mm d'Abraham Zapruder.

Une excellente fiction, plantureuse (650 pages Actes Sud Babel), qui s'attarde sur la dynamique complexe des ramifications de ce qui n'est pas à proprement parler une conspiration de têtes pensantes. Elle restitue un parcours plausible et sensible d'Oswald, crétin pas nécessairement antipathique, raconte le vengeur Jack Ruby et une constellation d'individus issus de milieu mafieux, d'activistes et trafiquants de drogue, avec la CIA et le FBI en toile de fond.

"...une suite d'incohérences qui parvinrent à prendre forme, à atteindre un résultat grâce, principalement, à la chance. Des hommes habiles et des imbéciles, des indécisions et des fortes volontés, et aussi des conditions atmosphériques."

Les cent cinquante dernières pages sont intenses, particulièrement si l'on a connu cette période où la mort violente de Kennedy et les enquêtes controversées marquèrent les esprits. Les dernières lignes prenantes vont à Marguerite, la mère d'Oswald, restée seule avec les fossoyeurs aux obsèques. Deux gamins ramassent un peu de terre en souvenir, lançant le nom de son fils : "Elle se sentait creuse à l'intérieur de son corps et dans son coeur".

Ce roman "ne se réclame d'aucune vérité littérale", ajoute dans une note Don Delillo, qui préfère y voir un refuge où l'on peut "trouver une manière de penser à cet assassinat, sans se voir imposer ces demi-vérités ou ces multiples possibilités, que charrie un courant de spéculations qui devient de plus en plus fort au cours des années. ("Libra" a été publié en 1988).

Lien : https://christianwery.blogsp..
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Libra, le signe de la balance, celui de Lee Harvey Oswald, on passe du côté obscur, et l'on découvre la grande histoire, par un personnage principal : assassin ? coupable idéal ? manipulé ?

Voici le livre qui a donné envie à Ellroy d'écrire sa trilogie Underworld, tout est dit

Don de Lillo est un génie, son livre est énorme
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Citations et extraits (18) Voir plus Ajouter une citation
C’était l’année où il prenait le métro d’un bout de la ville à l’autre, trois cents kilomètres de rail. Il aimait se tenir debout, à l’avant de la première voiture, les mains bien à plat contre la vitre. La rame fonçait dans le noir. Les gens, sur les quais des stations réservés aux omnibus, fixaient le vide, comme ils avaient appris à le faire depuis des années. Il se demandait vaguement, alors qu’il passait comme une flèche devant eux, qui étaient réellement ces gens. Son corps vibrait à l’unisson des vitesses de pointe. Ca allait si vite parfois qu’il se demandait si on n’était pas en train de perdre le contrôle. Le bruit atteignait des stridences douloureuses qu’il acceptait comme une épreuve personnelle. Une autre courbe délirante. Il y avait une telle charge de métal dans ce vacarme qu’il pouvait presque sentir un goût de fer sur sa langue, comme celui que découvre un enfant en portant un de ses jouets à la bouche.

Des ouvriers longeaient des voies secondaires en tenant des lanternes. Il essayait d’apercevoir des rats d’égout. Un dixième de seconde pour découvrir quelque chose dans sa totalité. Ensuite, c’étaient les craquements des freins dans les stations express où les gens s’entassaient comme des réfugiés. Ils franchissaient maladroitement les portes en se cognant au rebord de caoutchouc pour se frayer difficilement un chemin. Puis ils s’immobilisaient définitivement et regardaient, au-delà des têtes les plus proches, un extérieur ressemblant à un oubli volontaire.

Cela n’avait rien à voir avec lui. Il prenait le métro pour le plaisir.

149è Rue, les Portoricains. 125è Rue, les Noirs. C’est à la 42è Rue, après un tournant qui amenait un cri au bord des lèvres, que se faisait sentir la poussée la plus forte –attachés-cases, sacs à provisions, cartables d’écoliers, aveugles, pickpockets, ivrognes. Ca ne lui semblait nullement bizarre que le métro abrite plus de choses passionnantes que la ville célèbre située au-dessus. Il n’y avait rien d’important la-haut, dans ce bel après-midi, qu’il ne pouvait trouver sous une forme plus pure dans ces tunnels qui couraient sous les rues.
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Je vais te dire ce qu'ils signifient, ces appareils enregistreurs en orbite qui peuvent nous entendre dans notre lit. Ils annoncent la fin de l'honneur. Plus les systèmes sont complexes, moins le peuple a de convictions. Nos convictions nous sont arrachées. Ces appareils vont nous rendre mous, inconsistants.

Page 117
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Etre heureux est un état de conscience, l'accumulation de petites sensations, jour après jour, minute après minute, quelque chose que l'on sent autant dans son système pileux et dans sa peau que dans son cœur.

page 198
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Les yeux d'Oswald sont gris, bleus, marron. Il mesure un mètre soixante-quinze, un mètre soixante-dix-sept, un mètre quatre-vingts. Il est droitier, il est gaucher. Il sait conduire, il ne sait pas conduire. C'est un tireur d'élite, il tire mal. Branch a des arguments pour étayer toutes ces propositions, provenant de témoins sûrs et d'enquêtes officielles.
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Si nous regardons de l'extérieur, nous supposons qu'un complot est la mise en action d'un projet. Des hommes anonymes, silencieux, au coeur dur. Un complot est tout ce que n'est pas la vie ordinaire. C'est un jeu intérieur, froid, précis, concentré, et à jamais séparé de nous. Nous représentons l'imperfection, nous les innocents, essayant d'extraire un sens grossier aux bousculades quotidiennes. Les conspirateurs ont une audace et une logique qu'on ne peut atteindre. Tous les complots reviennent toujours à la même histoire tendue d'hommes qui trouvent une cohérence dans un acte criminel quelconque.
Mais peut-être n'est-ce pas le cas (..) Le complot contre le Président était une suite d'incohérences qui pourtant parvinrent à prendre forme, à atteindre un résultat grâce, principalement à de la chance. Des hommes habiles et des imbéciles, des indécisions et de fortes volontés, et aussi des conditions atmosphériques.
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