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EAN : 9782742734795
470 pages
Actes Sud (11/06/2001)
3.77/5   129 notes
Résumé :
Dans une ville américaine, Jack vit avec Babette, sa femme et la ribambelle d’enfants issus de leurs mariages respectifs. Il enseigne dans une petite université un sujet un peu particulier : Hitler. Sa vie ressemble pourtant à tant d’autres dans l’Amérique profonde, rythmée par le bruit de fond des automobiles, des machines à laver, des slogans publicitaires et des cris d’enfants qui jouent. La routine se trouve bouleversée lorsqu’un gaz toxique s’échappe d’un train... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (17) Voir plus Ajouter une critique
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Je me suis souvenue que je n'avais encore lu aucun livre de Don DeLillo après avoir découvert la très inspirante critique de L'homme qui tombe par Creisifiction. Et j'ai choisi de commencer par Bruit de fond sur les conseils entrecroisés du susdit, de Bobfutur et de HordeDuContrevent. Qu'ils en soient tous trois remerciés.

Bruit de fond (« White noise » ) est l'histoire d'un professeur d'université, Jack Gladney, et de sa famille nombreuse et recomposée dont la petite ville du Midwest, Blacksmith, est évacuée après un accident industriel. Ce résumé, pourtant factuellement exact, en dit à peu près autant sur ce livre que la boutade de Woody Allen vantant les mérites de la lecture rapide appliquée à Guerre et paix : « Ça parle de la Russie ». 
Quoique « Ça parle de l'Amérique » serait déjà un premier pas dans la compréhension d'un livre écrit dans les années quatre-vingts et pourtant toujours très actuel, bien plus complexe qu'il n'y paraît au premier abord. Une Amérique où personne n'est responsable, où personne n'a le contrôle sur rien, où les individus sont, non pas les acteurs de leur propre vie, mais les réceptacles plus ou moins consentants de stimuli auditifs et sensoriels variés, pitoyables objets d'événements fortuits parfois désastreux, enfin consommateurs insatiables se rendant rituellement dans ce haut temple de la consommation de masse qu'est le supermarché local.

En dépit de la présence discrète et écrasante d'Hitler, dont Jack Gladney est devenu l'expert national et incontesté, en dépit d'une ambiance aux relents apocalyptiques, le livre met en scène des événements finalement très ordinaires : des individus aux prises avec l'angoisse et le mystère qui irriguent leur vie quotidienne.
J'ai beaucoup pensé à Philip K.Dick durant ma lecture, un auteur également très doué pour mettre en récit l'étrangeté de la vie ordinaire. du reste, il ne serait guère surprenant que DeLillo qui a, pour son quatrième opus, L'étoile de Ratner, choisi le genre de la science-fiction, connût bien l'oeuvre de Philip K.Dick. Dans celle-ci, en particulier dans son chef-d'oeuvre, Ubik, où la frontière entre le monde des vivants et le monde des morts est devenue si poreuse que l'on ne sait plus qui est en vie ou qui est mort, on trouve également une critique acerbe de la société de consommation et de son avatar incontournable, le marketing. Dans Bruit de fond, qui excelle à retranscrire la bande-son de la société américaine, la télévision et la radio éructent à toute heure du jour et de la nuit leurs messages vides de sens en total décalage avec ce que vivent les individus empêtrés dans les rets d'une angoisse mortifère, créant au passage un effet comique indéniable.
Ainsi, tandis qu'un Jack Gladney effrayé, avec toute sa famille entassée dans la voiture, tente de fuir le nuage toxique flottant au-dessus de leur petite ville, une voix à la radio ânonne : “C'est l'hologramme arc-en-ciel qui donne à cette carte de crédit une force étonnante de pénétration.” »
Ou encore, lorsque, rejoignant Denise, la fille de sa femme Babette, dans sa chambre pour lui annoncer la découverte stupéfiante qu'il vient de faire au sujet de sa mère, le narrateur entend « la voix au bout du lit qui susurre : “En attendant, voici une garniture vite faite et charmante, à base de citron, qui convient parfaitement pour n'importe quel fruit de mer.”

Don DeLillo est incontestablement un analyste hors pair des peurs et des symptômes de notre temps, mais c'est aussi une oreille, une oreille qui sait capter mieux que quiconque la musicalité langagière de notre époque. Tous les dialogues en particulier sonnent de façon surprenante. Bien que réalistes, ils dégagent un curieux parfum d'étrangeté. Un exemple parmi des dizaines d'autres :

« Ce pauvre Cotsakis, emporté par une vague, dis-je. Cet homme énorme.
— C'est bien lui.
— Je ne sais vraiment que dire.
— Il était gros, ça, c'est sûr.
— Fabuleusement gros, dis-je. (…)
— Partir ainsi sans laisser de trace. Etre emporté, balayé.
— Je me souviens de lui si parfaitement.
— D'une certaine manière, je trouve ça curieux, dit-il, que nous puissions nous souvenir des morts. »

Ce qui se cache derrière l'angoisse et le mystère de la vie, c'est, bien sûr, la peur de la mort. Véritable sujet du livre, la crainte de la mort, traitée ici avec un humour qui n'est pas sans rappeler … Woody Allen, en particulier le personnage hypocondriaque obsédé par sa mort prochaine qu'il incarne dans « Hannah et ses soeurs », irrigue tout le récit, qu'elle prenne la forme inhabituelle d'un gros nuage noir et toxique, ou qu'elle se niche dans les moindres replis du quotidien : routine, déchets, vieilleries accumulées, reportages TV…
Cette peur prend rapidement un tour obsessionnel chez le narrateur, Jack Gladney, qui, la nuit, se « réveille dans les sueurs de l'agonie. Impuissant en face d'une terreur incontrôlable. »

Sa peur subit un approfondissement assez net et un début d'incarnation quand la base de données de l'ordinateur siégeant dans le camp où les habitants de Blacksmith ont été évacués, lui révèle que son organisme comporte des traces de nyodène D, le pesticide exhalé par le nuage toxique :
« Tout le problème est de savoir si je vais ou non survivre à ce produit. Il a en effet une durée de vie qui lui est propre. Trente ans. Même s'il ne me tue pas directement, il survivra probablement à mon corps. Si je meurs par exemple dans un accident d'avion, le nyodène d'restera florissant dans ma tombe. »

Sa peur se creuse encore davantage quand, abasourdi, il apprend que sa femme Babette, qu'il croyait résolument du côté de la vie et immunisée contre l'angoisse, la subit en réalité depuis fort longtemps, à tel point qu'elle se prête en grand secret à l'insu de sa famille à une expérimentation médicamenteuse hasardeuse initiée par un laboratoire de recherche à l'éthique douteuse qui prétend avoir isolé et pouvoir inhiber les neurones responsables de la crainte de la mort.

Enfin, la peur de Jack Gladney se mue en panique quand les analyses révèlent la présence de « grosseurs confuses » dans son organisme. Nous sommes tous des condamnés à mort en sursis. Disons que dans ce cas précis, le sursis vient d'être brutalement levé.
« Je sais seulement que je ne continue de vivre que grâce à une vitesse acquise, à la force d'inertie. En fait, je suis déjà mort. »
Que faire contre cette peur et contre l'approche imminente de la mort ? Rien, semble répondre Jack le fataliste… faire l'autruche, ce qui revient au même. Une seule chose à faire, suggère son étrange ami Ramsey : tuer un homme, n'importe lequel, pour ne pas mourir :
« Tuer un homme, c'est augmenter la durée de votre propre vie. Plus vous tuez de gens, plus vous augmentez votre survie. (…) Les moribonds succombent avec passivité. Les tueurs vivent. Quelle merveilleuse équation ! »

J'éprouve généralement une intense jubilation à la lecture des (grands) livres qui parlent de la mort, et Bruit de fond n'a pas dérogé à la règle, même si j'ai trouvé parfois qu'il manquait de rythme et qu'il ne tenait pas toutes ses promesses. J'attendais en particulier davantage qu'un saupoudrage de la part d'un livre qui fait de l'enseignement de Hitler la spécialité de son narrateur. Ce sont là de bien petites réserves au regard de la joie ressentie à cette lecture. La mort, donc, chez les autres et quand elle est tenue en respect par l'humour et par l'écriture, me fait jubiler. Elle me fait me sentir moins seule. Lorsque j'ai compris, je veux dire vraiment compris, intégré, que j'étais destinée à mourir comme tout un chacun, mon regard sur la vie a changé du tout au tout. Je me souviens que cette prise de conscience a coïncidé avec la lecture d'un livre : « Tous les hommes sont mortels » de Simone de Beauvoir. Et pour moi, cette prise de conscience s'est immédiatement accompagnée d'une autre : j'ai compris que je n'étais pas cet astre autour duquel gravitaient des satellites plus ou moins proches, mais un dérisoire grain de poussière parmi des millards d'autres. Autrement dit, j'ai compris que la foule des gens qui m'environnait (j'étais dans le métro lors de ma douloureuse prise de conscience) avait la même légitimité que moi à se considérer comme le centre de tout, ce qui ne pouvait signifier qu'une chose : personne, y compris moi, n'était le centre de rien.

« C'est le moment de l'année, le moment du jour où une petite tristesse insistante passe dans la texture même des choses. Crépuscule, silence, froid glacial. La solitude s'infiltre même dans les os. »
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Je remercie un Babeliote qui se reconnaitra pour m'avoir donné envie de lire ce livre. Ce livre auquel je mets 5 étoiles. Mais, vous en conviendrez, il y a plusieurs types de 5 étoiles, les 5 étoiles la plupart du temps voulant dire que nous avons beaucoup aimé un livre, pour ne pas dire adorer, et les 5 étoiles en jaune or, plus rares, qui clignotent tel un warning, indiquant « attention chef d'oeuvre ». Ce sont bien ces étoiles-là, celles indiquant un chef d'oeuvre, que je mets ici. D'ailleurs mon livre finit avec un nombre incroyable de pages cornées, comme autant d'enthousiasmes à surtout ne pas oublier et à revisiter. Je ne sais pas vous, mais chez moi le nombre de pages cornées est un bon indicateur du plaisir de lecture pris. Ce livre finit en une multitude de pliures attestant d'un plaisir immense et jubilatoire.

Voici l'histoire d'un couple, Jack et Babette, dans l'Amérique profonde, famille recomposée avec leur ribambelle d'enfants que nous découvrons vivre en assez bonne harmonie. le début de l'histoire est douillette, agréable, amoureuse. Petit plaid pour une histoire que je pense être familiale et de facture classique. Mais très vite, ce cocon se fissure, un ensemble de petits éléments viennent lézarder cette apparente harmonie. Conte, fable ou dystopie, je ne sais comment qualifier cette histoire mais disons que nous sommes dans une société telle que la nôtre (du moins telle qu'elle était en 1985) mais où certains éléments sont accentués, étirés, amplifiés. Avec humour, cynisme, de façon décalée et grinçante. Avec une plume remarquable. Nous sourions, nous rions aux éclats parfois, nous sommes gênés, interpellés, émerveillés…

Par exemple, les enfants semblent éduquer leurs parents, avec des arguments implacables débités d'une voix de robot, enfants précoces ou Asperger, je ne sais mais c'est glaçant, et ce dès leur plus jeune âge. Seul le tout petit Wilder semble pour le moment épargné. Ils créent un certain malaise de sorte que les réunions familiales deviennent lourdes, parfois absurdes. du moins pour nous lecteurs et témoins, car les parents eux ont une patience en or et alimentent même cet état. Les adultes sont d'ailleurs par moment complètement immatures, le summum de la bêtise et de la vulgarité étant les déjeuners entre les collègues de Jack. Ensuite, nous apprenons, et cela semble commun et normal, que Jack en est à son cinquième mariage. Professeur à l'Université, il a créé avec succès un département d'enseignement dédié entièrement à Hitler. Succès tel qu'un de ses collègues veut à tout prix monter une chaire analogue dédiée à Elvis Presley. le plaisir ultime de cette famille est d'aller tous ensemble faire des achats au grand centre commercial, plus les achats sont compulsifs, plus le bonheur est tutoyé : « Il me semble que Babette et moi, par la quantité et la variété de nos achats, par la parfaite plénitude que suggèrent ces sacs bourrés, par leurs poids, leur taille et leur nombre, par l'éclat et la couleur de leurs emballages, par leur taille géante, par les paquets familiaux, par les autocollants fluorescents, par l'impression d'achèvement qu'ils nous procurent, par le bien-être, la sécurité et le contentement qu'ils apportent à quelque coin de notre âme douillette, il nous semble que nous avons atteint un épanouissement de l'être qui est ignoré de ceux qui n'ont pas besoin de tout ça, dont les désirs sont moindres et qui bâtissent leur vie autour de promenades solitaires à la tombée de la nuit ». La nature est d'ailleurs complètement absente, nous sommes dans les lisières, la périphérie, ces abords sans âme et sans beauté, où centres commerciaux, restaurants, et magasins abandonnés servent de décors (cela devrait plaire à Olivier Adam d'ailleurs) à des virées familiales. Manger dans la voiture, sur un parking sinistre, du poulet et des frites commandés dans un boui boui quelconque semble procurer beaucoup de plaisir, communion familiale confinée dans les odeurs de gras et d'humidité. Enfin rumeurs et fake news sont mêlés dans un flux constant d'informations (tiens depuis 1985 nous nous sommes approchés de cela).

Nature absente vous l'aurez compris et pourtant des scènes d'un esthétisme à couper le souffle. le fils de Jack sur son tricycle rouge traversant une autoroute bondée à double trois voies à l'avant dernier chapitre, des couchers de soleil anormalement beaux, aux couleurs flamboyantes quasi fluorescentes, admirés avec un mélange de terreur et d'émerveillement, un nuage toxique digne des plus beaux films catastrophes…des images apocalyptiques. La fin du monde semble proche.

Et nous touchons là le coeur du livre : la peur de la mort. Jack et Babette ont une terrible peur de la mort. Au point de tester un médicament expérimental censé annihiler la zone du cerveau responsable de cette peur malgré les effets secondaires possibles. Au point de se compromettre. La peur de la mort qui, quotidiennement, est contrebalancée par les bruits de fond. Ils sont omniprésents, apaisants, rassurants. Telle une berceuse : « Les portes automatiques s'ouvrent et se referment avec de profonds soupirs. le bruit des pas trainants surnage au-dessus d'une douzaine d'autres sons, tels que le bourdonnement sourd du système de ventilation, le bruissement des journaux des clients qui veulent découvrir rapidement leur horoscope, le chuchotement des vieilles dames aux visages poudrés, le grondement régulier des voitures qui contournent une tranchée dans la chaussée… ». le silence est synonyme de mort. En cela le livre contraste avec un autre livre de l'auteur, le seul que j'ai lu il y a 20 ans, Body art, où j'avais été marquée par son silence assourdissant. Les bruits de fond ronronnent, coeur rassurant, synonymes de vie ou de survie. Au point où Jack et Betty, pour se rassurer, imagine la mort comme un son, un son uniforme et neutre.
Pouvons-nous échapper à la gravité qui nous rapproche de la mort, en arrêtant d'obéir, en volant au lieu d'acheter, en tirant au lieu de parler ? Ou encore grâce « au refoulement, au camouflage, à l'enfouissement, à l'épuration » ? Certaines personnes y parviennent mieux que d'autres, c'est tout. le petit Wilder émerveille, attire et apaise ses parents car il est à un âge où la mort n'existe pas, où elle n'est pas conscientisée, sa traversée en tricycle de l'autoroute en étant la preuve.

Finalement la mort n'est-elle pas ce qui donne son caractère précieux à la vie ? Voilà les multiples questions que pose ce livre de façon déjantée. C'est un livre magistral. Visionnaire. Esthétique. Il m'aura fallu attendre 35 ans pour que ce livre se trouve sur mon chemin. Je n'ai qu'une envie ce soir : découvrir d'autres titres de Don DeLillo.


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Les mariages, les naissances, les séparations, les familles recomposées, le travail, le footing, les études, les courses, les repas, les conversations, les disputes et le nuage toxique de nyodène d'-tels sont les événements qui sous-tendent ce Bruit de fond :


« Nous avons affaire à du nyodène D. Une toute nouvelle génération de déchets toxiques qui correspondent à l'avancée technologique. Un millionième de millionième peut transformer un rat en bonne santé en un rat sénile. »


Jack vit avec sa dernière épouse en date, Babette, et quelques-uns de leurs enfants issus de précédents mariages. Après avoir suivi des parcours conjugaux compliqués, ils semblent enfin avoir trouvé une accalmie en menant leur vie l'un avec l'autre. L'oeil à l'affût, on chercherait désespérément une faille à cette harmonie familiale qui ne prétend même pas être parfaite -mais il n'y en a pas. Chaque personnage montre une personnalité caractérisée jusqu'à l'outrance dans les voies les plus originales qu'il soit. Jack enseigne des cours d'Hitler au College on the Hills et pour assurer sa crédibilité, il arbore lunettes noires, moustache et accent allemand face à ses élèves. Babette incarne la santé triomphante : équilibrée et bonne vivante, elle consent même à vouloir suivre un régime pour ne pas écraser les autres de son énergie incroyable. Elle essaie d'avoir l'air névrosée, pour correspondre aux normes d'une époque et d'une société, mais ne réussit qu'à mieux affirmer la vigueur de son corps et l'équilibre de son esprit.Les enfants sont indénombrables : entre ceux qui partent, ceux qui reviennent et ceux qui restent dans le foyer à l'année, il est parfois difficile de s'y retrouver mais leurs personnalités déjà bien affirmées, entre le surdoué sceptique, la traqueuse pharmaceutique et le bébé aux prétentions d'immortalité, achèvent le portrait d'une famille devenue nouvel individu à part entière.


« La famille est le berceau des informations erronées du monde. Il doit y avoir quelque chose dans la vie familiale qui engendre les erreurs sur les faits. »


Le processus perturbateur ne pouvait provenir que de l'extérieur. Un jour, un nuage de nyodène D. se répand au-dessus de la ville suite à un accident ferroviaire. Les autorités et les experts s'inquiètent du comportement et des effets imprévisibles de cette nouvelle substance toxique. Dans le secret des laboratoires, les scientifiques semblent prendre autant de plaisir à jouer avec la vie que Jack s'amuse à enseigner l'Hitlerisme. Sont-ce les mêmes scientifiques qui ont élaboré les médicaments que Babette s'entête à prendre malgré les amnésies qu'ils semblent provoquer ? Quoiqu'il en soit, Jack, Babette et les leurs vont devoir prendre la poudre d'escampette. Mais alors qu'il s'arrête à une station service, Jack inspire une grande bouffée de nyodène D. Ou peut-être pas...


« La culpabilité de l'homme, au cours de l'histoire et dans les remous même de son propre sang, a gagné de la complexité grâce à la technologie. La mort sournoise suinte dans le quotidien. »


On retrouve là une idée qui parcourt toutes les conceptions mythologiques faites par l'humanité : la némésis est proportionnelle à l'hybris. Au cours des derniers siècles de démesure technologique et industrielle, quelles menaces pèsent sur nos existences ? Comment être sûr que la chimie va vous tuer plus rapidement que prévu ? Partagé entre terreur et dignité, Jack brûle d'envie de confier son angoisse aux siens, mais il tient aussi à leur épargner cette inquiétude peut-être inutile et à confiner la mort au sein de sa seule conscience. Savait-il qu'entre temps, Babette se battait elle aussi face à une ambivalence de même nature ? Et pourquoi les enfants du couple ont-ils des comportements aussi étranges ? le nyodène D. semble avoir agi comme un puissant révélateur de la mort qui rôde entre chaque individu. le nyodène D. a révélé ce bruit de fond qui nous construit et nous particularise à notre insu.


« - Comment te sentirais-tu si tu étais un minable ?
Content d'être en vie. »


Avec le même détachement et le même humour, Don Delillo avance dans sa conception d'un sentiment tragique. Il redonne de la grandeur au moindre détail, au moindre savoir, au moindre geste. Qu'il s'agisse d'observer le caractère liturgique de la messe télévisée ou les promesses d'immortalité que prodiguent les centres commerciaux, Don Delillo parvient à dévoiler cette mort qui attend les hommes au prochain tournant. Et puis alors ? Il faut bien oublier et se passionner en attendant, et si la mort doit malgré tout surgir, elle le fera de manière insolite, à la manière d'une ritournelle de comptine, bouffonne et presque inoffensive.


« Babette parle aux chiens et aux chats. Je vois des petites taches colorées dans le coin de mon oeil droit. Babette, le visage rouge d'excitation, projette, toujours sans résultat, d'aller faire du ski. En montant la colline pour me rendre à l'université, je remarque la peinture blanche des grosses pierres qui bordent les sentiers des nouvelles demeures.
Qui mourra le premier ? »


Ce bruit de fond agit aussi puissamment que le nyodène D. Sa verve intarissable, son humour féroce et son attachement désespéré aux détails n'ont d'égale que l'absolue omniprésence de la mort qui gouverne ses sujets.

Lien : http://colimasson.over-blog...
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Avec une ironie et un absurde délicieux, Don DeLillo souligne les contradictions de la société occidentale moderne, moque avec une douloureuse distance cynique ses héros, concentrés de ces mêmes ambivalences. Malgré quelques longueurs, l'acuité des dialogues, leur esprit et le jouissif de certaines situations font de ce roman un must-have – ou plutôt un must-read (plus de détails : https://pamolico.wordpress.com/2021/05/01/bruit-de-fond-don-delillo/)
Lien : https://pamolico.wordpress.c..
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Vous qui n'avait pas encore frotté votre être aux livres du grand Don, celui-ci est pour vous en guise d'introduction.
Multitude de thèmes, histoire plutôt palpitante, dialogues sous Asperger, introduction et conclusion inoubliables.
Venez...
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Citations et extraits (76) Voir plus Ajouter une citation
Ne vous en faites pas parce que je boite. Tous les gens de mon âge boitent. A partir d’un certain âge, c’est naturel de boiter. Ne vous en faites pas pour la toux. Ça fait du bien de tousser. Ça remue les matières. Toutes ces saletés ne peuvent pas vous faire de mal, tant qu’elles ne restent pas durant des années dans un coin. Donc, c’est bon de tousser. Ne parlons pas de l’insomnie. L’insomnie, ce n’est rien. Que gagne-t-on à dormir ? Arrivé à un certain âge, on pense que chaque minute de sommeil est une minute perdue pour faire des choses utiles. Par exemple tousser ou boiter. Ne vous en faites pas pour les femmes. Ça va avec les femmes. On loue des cassettes et on baise. Ça renvoie le sang vers le cœur. Surtout ne parlons pas des cigarettes. J’aime penser que, quand je m’en vais, c’est pour quelque chose. Les mormons peuvent s’arrêter de fumer s’ils en ont envie. Ils mourront de toute façon et pas forcément d’une meilleure mort. Quant à l’argent, ce n’est pas un problème. Ça va. Aucune retraite, aucune économie, aucune valeur, aucune action. Donc, ne vous faites pas de souci pour ça. Tout s’arrange. Ne vous en faites pas non plus pour les dents. Les dents, ça va. Plus elles branlent, plus on peut s’amuser en passant la langue dessus. De cette manière, la langue n’est pas inactive. Ne vous faites pas de souci pour le tremblement. Tout le monde tremble un jour ou l’autre. De toute façon, ce n’est que la main gauche. On arrive même à prendre plaisir à un tremblement si l’on fait semblant de croire qu’il s’agit de la main de quelqu’un d’autre. Ne vous tracassez pas pour la brusque et inexplicable perte de poids. Il n’y a aucune raison de manger ce qu’on ne peut pas voir. Et ne vous faites pas de souci à propos de mes yeux. Ils ne peuvent être pires qu’ils ne sont. Quant au cerveau, n’en parlons pas. Le cerveau s’en va avant le corps. C’est comme ça que les choses se passent. Donc, ne vous faites pas de tracas pour le cerveau. Et le cerveau, ça va. En revanche, faites-vous du souci pour la voiture. Le volant est tout tordu. Les freins ont été rafistolés trois fois. Le capot s’ouvre dès qu’il y a un nid-de-poule.
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Ne vous en faites pas parce que je boite. Tous les gens de mon âge boitent. A partir d’un certain âge, c’est naturel de boiter. Ne vous en faites pas pour la toux. Ça fait du bien de tousser. Ça remue les matières. Toutes ces saletés ne peuvent pas vous faire de mal, tant qu’elles ne restent pas durant des années dans un coin. Donc, c’est bon de tousser. Ne parlons pas de l’insomnie. L’insomnie, ce n’est rien. Que gagne-t-on à dormir ? Arrivé à un certain âge, on pense que chaque minute de sommeil est une minute perdue pour faire des choses utiles. Par exemple tousser ou boiter. Ne vous en faites pas pour les femmes. Ça va avec les femmes. On loue des cassettes et on baise. Ça renvoie le sang vers le cœur. Surtout ne parlons pas des cigarettes. J’aime penser que, quand je m’en vais, c’est pour quelque chose. Les mormons peuvent s’arrêter de fumer s’ils en ont envie. Ils mourront de toute façon et pas forcément d’une meilleure mort. Quant à l’argent, ce n’est pas un problème. Ça va. Aucune retraite, aucune économie, aucune valeur, aucune action. Donc, ne vous faites pas de souci pour ça. Tout s’arrange. Ne vous en faites pas non plus pour les dents. Les dents, ça va. Plus elles branlent, plus on peut s’amuser en passant la langue dessus. De cette manière, la langue n’est pas inactive. Ne vous faites pas de souci pour le tremblement. Tout le monde tremble un jour ou l’autre. De toute façon, ce n’est que la main gauche. On arrive même à prendre plaisir à un tremblement si l’on fait semblant de croire qu’il s’agit de la main de quelqu’un d’autre. Ne vous tracassez pas pour la brusque et inexplicable perte de poids. Il n’y a aucune raison de manger ce qu’on ne peut pas voir. Et ne vous faites pas de souci à propos de mes yeux. Ils ne peuvent être pires qu’ils ne sont. Quant au cerveau, n’en parlons pas. Le cerveau s’en va avant le corps. C’est comme ça que les choses se passent. Donc, ne vous faites pas de tracas pour le cerveau. Et le cerveau, ça va. En revanche, faites-vous du souci pour la voiture. Le volant est tout tordu. Les freins ont été rafistolés trois fois. Le capot s’ouvre dès qu’il y a un nid-de-poule.
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“J’ai déjà vu tout ça avant, dit-il finalement.
— Vu quoi ?
— J’étais ici, juste devant vous, et vous étiez juste devant moi. Ça ressemble à un saut dans la quatrième dimension. Votre visage est incroyablement net et clair. Cheveux blonds, yeux délavés, nez rosâtre, bouche et menton sans intérêt, peau grasse, mâchoire ni forte ni petite, épaules voûtées, grandes mains et grands pieds. Tout ceci est déjà arrivé : la vapeur qui siffle dans les tuyaux ; j’ai déjà vu vos poils enfoncés dans chacun de vos pores, j’ai déjà vu cette expression sur votre visage.
— Quelle expression ? dis-je.
— Un air perdu, halluciné, cadavérique.”
Ce n’est qu’au bout de huit jours qu’on nous a permis de rentrer chez nous. 
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Il me semble que Babette et moi, par la quantité et la variété de nos achats, par la parfaite plénitude que suggèrent ces sacs bourrés, par leurs poids, leur taille et leur nombre, par l'éclat et la couleur de leurs emballages, par leur taille géante, par les paquets familiaux, par les autocollants fluorescents, par l'impression d'achèvement qu'ils nous procurent, par le bien-être, la sécurité et le contentement qu'ils apportent à quelque coin de notre âme douillette, il nous semble que nous avons atteint un épanouissement de l'être qui est ignoré de ceux qui n'ont pas besoin de tout ça, dont les désirs sont moindres et qui bâtissent leur vie autour de promenades solitaires à la tombée de la nuit.
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- Vous ne croyez pas au ciel, vous, une religieuse ?
– Si vous n'y croyez pas, pourquoi devrais-je y croire ?
– Si vous y croyiez, peut-être y croirais-je.
– Si j'y croyais, vous n'auriez pas à y croire.
– Tout le vieux fatras d'autrefois, dis-je. La foi, la religion, la vie éternelle. La bonne vieille crédulité humaine. Êtes-vous en train de me dire que vous ne les prenez pas sérieusement ? Que votre vocation n'est que simulation ?
– Notre simulation est une vocation. Quelqu'un doit faire semblant de croire. Nos vies sont aussi chargées de sérieux que si nous professions une véritable foi, de solides croyances. Comme la foi diminue de par le monde, les gens trouvent de plus en plus nécessaire que quelqu'un croie. Des ermites aux yeux fous dans des grottes. Des religieuses habillées de noir. Des moines obéissant à la règle du silence. Tous ceux-là sont là pour croire.
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Vidéo de Don DeLillo
White Noise | Teaser officiel VOSTFR | Netflix France. Inspiré du roman "Bruit de fond" de Don DeLillo, WHITE NOISE (2022) est un film de Noah Baumbach avec Adam Driver et Greta Gerwig.
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