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EAN : 9782355932090
332 pages
Pascal Galodé Editions (27/04/2012)
2/5   1 notes
Résumé :
Plongée profonde dans neuf pays aux quatre coins du continent noir sur une quarantaine d'années : le bilan vécu et réfléchi d'une carrière diplomatique où l'intégrité n'exclut pas la liberté d'opinion, le sens de l'Etat le non-conformisme, l'action la morale. Le paradis y jouxte l'enfer ; l'arc-en-ciel (Mandela, La Baule, Obama) s'insère entre les ténèbres (Biafra, Ouganda, Angola, Congo, Libéria, Rwanda, Somalie) ; au delà du bien et du mal, de l'afro pessimisme et... >Voir plus
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Le titre de ce livre et la photo bigarrée qui orne sa couverture sont trompeurs. Ils laissent augurer les mémoires africaines et colorées d'un ambassadeur en fin de carrière. Mais Dominique Decherf n'est pas Michel Lunven dont on a dit ici tout le mal qu'il fallait penser des récentes Mémoires. Ces deux diplomates-là ne sont pas faits de la même farine. le second a fait toute sa carrière dans le « pré carré » à l'ombre de Foccart dont il fut l'adjoint à Matignon. le premier a un profil beaucoup plus original. Swahilisant, c'est aux marges de ce « pré carré » qu'il a travaillé, dans des postes réputés difficiles voire sans intérêt : Dar-es-Salam, Luanda, Kigali, Djibouti. Profitant d'une année sans affectation, il va à Harvard à 55 ans faire un fellowship. Catholique romain, il est l'auteur d'une biographie de Théodore Bainville et, depuis son départ de la diplomatie, il s'est retiré au Kenya d'où il poste chaque semaine une tribune pour « France catholique ».
Ses mémoires ne sont pas la relation paresseuse de ses affectation successives, ni même une mise en perspective de la « politique africaine de la France » mais une réflexion ambitieuse autour du paradigme de la couleur. Osant la provocation, Dominique Decherf entend replacer les couleurs, la race, au centre de la politique internationale. Bien sûr, il n'a pas la bêtise de considérer la race comme un phénomène scientifique. Mais c'est sa prégnance dans les représentations, dans les préjugés qui, selon lui, caractérise les relations internationales. Plutôt que de la nier candidement dans un éloge béat du métissage et du cosmopolitisme, autant la regarder en face et « restaurer les différences » pour mieux les comprendre et mieux les surmonter. le propos est trop intelligent pour être choquant. Si Decherf fait l'éloge paradoxal de Gobineau face à Darwin, c'est parce que le premier, quelqu'infondée scientifiquement que soit sa philosophie, prend le concept de race à bras-le-corps alors que le second, faussement humaniste, place toujours les Blancs au sommet de la pyramide de l'évolution.
Dominique Decherf nous invite à prendre de plain-pied l'Afrique et ses habitants. Un continent dont il nous somme d'éviter de l'appréhender par le prisme de généralisations oiseuses et de concepts génériques. Un continent qui ne nous a pas attendus pour entrer dans l'Histoire et qui se fera de plus en plus lui-même. Un continent qui nous renvoie les catégories dans lesquelles nous l'avions enfermé : colonialisme vs. post-colonialisme (en quoi la colonisation a-t-elle influé sur le destin des pays colonisateurs ?) négritude vs. Whiteness (comment peut-on être Blanc dans un monde qui l'est de moins en moins ?)

Trois solutions, tout aussi insatisfaisantes les unes que les autres, sont possibles pour gérer la coexistence des races. La première fut la séparation. Elle s'incarna en Afrique du Sud au temps de l'Apartheid. Dominique Decherf, qui était en poste dans les États de la « ligne de front », rappelle les heures glorieuses de la lutte anti-apartheid et se désespère du désintérêt dans lequel on a abandonné l'Afrique du Sud depuis 1994. « Quand l'apartheid a disparu, tout le monde s'en est donc félicité puis a continué sa route » (p. 31). Faisant un bond par-dessus « l'Atlantique noir », il consacre un chapitre aux États-Unis – il fut consul général à Chicago – pour y relativiser l'effet Obama : aussi Noir soit-il, le 44ème président des États-Unis mène une politique de Blanc selon lui.
La deuxième solution est l'égalité des droits. Mais elle rencontre vite les limites du post-colonialisme. Dominique Decherf n'a pas de mots assez durs contre La Baule dont on sait quelles réticences il inspirait déjà à Mitterrand lui-même. Vouloir imposer la démocratie aux pays africains au lendemain de la chute du mur de Berlin n'avait pas de sens. le discours de la Baule de juin 1990 loin de faire souffler un vent de liberté a eu des conséquences déstabilisatrices – pendant qu'au même moment, l'Afrique du Sud forgeait un compromis efficace qui n'était ni celui des droits de l'Homme ni celui de la majorité ethnique.
La troisième solution, la plus funeste, est celle de l'identité, qui enferme les peuples. Dominique Decherf en a vu les effets au Liberia, au Rwanda, en Somalie (ou plutôt aux Somalies puisqu'il utilise un pluriel visant à différencier le Somaliland britannique – où existe depuis 1991 un Etat de facto – de la Somalie italienne). Les pages les plus croustillantes – à défaut d'être les plus profondes – de ses mémoires sont celles qu'il consacre à son affectation au Rwanda. Il y fut le dernier ambassadeur de France de 2004 à 2006, date de la rupture des relations diplomatiques franco-rwandaises provoquées par les conclusions de l'enquête du juge Bruguière – dont il semble aujourd'hui qu'elles étaient erronées.

Il n'est pas facile de prendre la mesure de cet ouvrage qui sollicite, dans une accumulation parfois confuse la philosophie, l'ethnologie voire la théologie. Loin du livre de souvenirs que le moindre ambassadeur taquinant la plume se sent tenu d'écrire au crépuscule de sa vie, il a le mérite d'oser une réflexion stimulante et anti-conformiste sur le concept de race et sa prégnance sur la scène internationale.
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