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EAN : 9782020285889
367 pages
Seuil (09/02/1996)
3.63/5   149 notes
Résumé :
Triomphante, folle de ses richesses, de sa démesure et de ses rêves, New York se délabre pourtant, rongée de l'intérieur. John L'Enfer, le Cheyenne insensible au vertige, s'en .rend bien compte du haut des gratte-ciel dont il lave les vitres. Il reconnaît, malgré les lumières scintillantes des quartiers de luxe, malgré l'opacité du béton des ghettos de misère, les signes avant-coureurs de la chute de la plus étonnante ville du monde : des immeubles sont laissés à l'... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (22) Voir plus Ajouter une critique
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New York se désagrège. Les gratte-ciels se fissurent et se vident. Les chiens partent en bande vers les montagnes. Les eaux refoulent dans les souterrains. New York se meurt. Mais il n'y a que John l'Enfer, un indien Cheyenne, qui sent les convulsions de la métropole. Cette fin prochaine rappelle comment le petit village indien de Manhattan a disparu sous la poussée des colons blancs. Cette fois, c'est certain, la nation indienne vit ses dernières heures. « le douzième laveur de carreaux qui s'écrase en moins de six mois. Tous des Indiens. Je le croyais pourtant différents de nous autres, insensibles au vertige ? / Oui, ça se passe dans leur oreille interne. Maintenant, si ça se trouve, ils s'adaptent. Et ils en meurent. » (p. 13) L'assimilation définitive est-elle donc le dernier acte barbare que les Blancs civilisés commettent envers le peuple millénaire du nouveau continent ?

John l'Enfer est laveur de carreaux. Il s'élève au-dessus de l'agitation fiévreuse de la cité et les milliers de fenêtres de la ville lui renvoient un horizon de fer et de verre qui se craquèle. « le Cheyenne a toujours eu l'impression d'être le spectateur privilégié de cette ville à la surface de laquelle il ne prend pied que pour fermer les yeux. » (p. 50) John n'est pas le dépositaire des rites de ses ancêtres, mais il garde en lui assez de spiritualité pour savoir que New York convulse et qu'il ne fait pas bon y rester. « Il faut se méfier des villes, ça vous assassine mine de rien. » (p. 162)

Le chemin du Cheyenne croise celui de Dorothy Kayne, une jolie professeure d'universitée qu'un accident a rendu momentanément aveugle. La jeune femme a besoin d'être protégée et elle accepte le soutien de John. Et aussi celui d'Ashton Mysha, un officier de marine retenu à terre pour raisons de santé, juif polonais obsédé par son pays d'origine. Ces trois êtres se raccrochent les uns aux autres et élaborent une relation étrange. John aime Dorothy, mais refuse de la toucher. « Il accepterait de pas toucher Dorothy Kayne, jamais. de ne pas danser avec elle, de ne pas changer ses pansements. Mais qu'elle vive dans sa maison, seulement ça – et rien d'autre. Elle est la millième femme, peut-être, dont John l'Enfer rêve de suivre la vie pas à pas. » (p. 86) Il semble que Dorothy aime l'Indien, mais c'est à Ashton qu'elle se donne chaque nuit. Et Ashton ne semble aimer personne : il attend seulement la mort et cette attente le fatigue.

Brusquement, John l'Enfer est au chômage. La malhonnêteté des entrepreneurs new-yorkais est une autre manifestation de l'inexorable déliquescence de la ville. le Cheyenne décide de descendre dans la rue avec d'autres Indiens et de revendiquer les droits des natifs. La marche est stoppée par les forces de l'ordre. « Ne pas confondre un combat de rues avec la guerre des plaines. » (p.94) John l'Enfer est envoyé en prison et sa seule façon de payer sa caution, c'est d'hypothéquer sa petite maison en bois à Long Island, cette bicoque que les riches du voisinage rêvent tant de voir sauter pour y installer des demeures autrement plus rutilantes. Les pouvoirs accusent John d'avoir voulu détruire New York et le procès s'annonce sans appel. « On n'a jamais vu un seul Cheyenne l'emporter sur des millions d'hommes. » (p. 282)

John, Dorothy et Ashton dérivent dans la ville qui se meurt, d'un gratte-ciel vide à un palace où tout est démesuré. le Cheyenne se laisse submerger d'amour pour Dorothy. . « À travers John l'Enfer, c'est la nation cheyenne qui s'agenouille. Respire, avide, le parfum trouble d'une fille blanche et blessée, encore endormie. » (p. 146) Mais Dororthy est une femme effrayée qui use de son handicap pour redevenir enfant. « Ces deux hommes avec toi, que sont-ils au juste ? / Une attente. » (p. 217) de son côté, Ashton décide d'en finir avec ses démons, d'en finir tout court. Il rencontre le docteur Almendrick qui se livre à un curieux trafic d'organes humains sous forme de ventes viagères. La fin se précipite : celle d'Ashton et celle de New York se confondent. Pour les survivants, une seule solution : fuir et ne pas se retourner sur les vestiges à venir de la ville.

En me relisant, je me dis que j'en ai sans doute trop écrit. Mais ce roman est impossible à résumer. Il y a tant de choses à dire à son sujet. Ça faisait longtemps que je n'avais pas été happée par une lecture au point d'en rêver, de rêver d'une ville qui s'effondre et qui se meurt à petit feu, de rêver d'un Indien mélancolique et amoureux et de hordes de chiens qui envahissent Central Park. Oui, je divague encore un peu, mais c'est tellement bon…
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John L'Enfer, je me souviens de ce roman de Didier Decoin qui résonne encore en moi comme un vertige.
C'est un récit presque de science-fiction, atypique, déroutant, quasiment apocalyptique, écrit en 1977, vingt-quatre ans avant le terrible événement du onze septembre 2001 où les deux tours jumelles de Manhattan s'effondrèrent, criblées par la folie du terrorisme islamiste. On ne peut plus y penser autrement désormais.
John L'Enfer, c'est l'indien cheyenne, qui travaille à New York, comme laveur de carreaux sur les gratte-ciels. Les tours de New-York sont gangrenées, un jour elles s'effondreront comme des châteaux sable, on sait désormais qu'elles peuvent aussi tomber autrement, par la barbarie islamiste ou par d'autres barbaries d'ailleurs...
Seul un indien cheyenne peut ressentir les vibrations qui sous-tendent cette ville.
John L'Enfer c'est le roman de la verticalité, une verticalité terrible et sublime, intemporelle.
Manhattan, terre indienne à l'origine, comme tant d'autres. Terre horizontale lorsqu'elle était encore indienne. Terre devenue verticale depuis lors...
La ville de New-York est un spectacle privilégié lorsqu'on est là-haut, lorsqu'on n'a pas le vertige, lorsqu'on assiste avec sérénité à la lente agonie de la modernité.
Un jour, John L'Enfer rencontre une jeune femme, Dorothy Kayne, une jolie professeure d'université qu'un accident a rendu provisoirement aveugle. Il en tombe éperdument amoureux. Il a envie de la protéger. Un autre homme cherche aussi à la protéger, il s'agit d'Ashton Mysha, un officier de marine retenu à terre pour raisons de santé, juif polonais obsédé par son pays d'origine. Ces trois êtres se raccrochent les uns aux autres et vont vivre une relation étrange à trois, sauvage et rebelle...
Il y a de l'amour dans cette histoire, mais aussi une belle solidarité, peut-être s'aiment-ils tous les trois, et qu'importe et tant mieux, s'ils peuvent par leur amour empêcher les tours de New-York de s'effondrer. Mais peut-être n'est-ce pas après tout leur dessein... John L'Enfer, c'est avant tout une histoire d'amour. Et d'ailleurs, qu'importe si ces tours s'effondrent, puisqu'ils s'aiment...
John L'Enfer, c'est le roman de l'amour et du désespoir, de la différence, de la minorité, du peuple indien écrasé qu'on jette sur des tours anonymes, de béton et de verre, vertigineuses, abyssales, loin du rêve ancestral...
Pourtant, qu'il est heureux de s'élever loin de l'asphalte et du bruit, de la rumeur et de la bêtise du monde ! John L'Enfer, c'est un peu le Baron Perché, à la manière contemporaine, façon cheyenne et new-yorkaise. S'élever sur des parois de verre, rappelant le rêve minéral, la lumière, le sable...
Parfois il est jubilatoire de voir une ville démesurée s'effondrer peu à peu, revenir au sable d'avant, à l'horizontalité.
John L'Enfer, c'est le rêve d'une ville moderne qui s'effondre avec tous ces mythes.
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New-York va mal, très mal : les immeubles menacent de s'effondrer rongés par un cancer du béton qui les mine lentement, les riches l'ont désertée pour se réfugier en banlieue et les chiens, redevenus sauvages, se sont regroupés dans les montagnes.

John l'Enfer y exerçait le métier de laveur de carreaux sur les gratte-ciel, nullement gêné par le vertige à l'instar de la plupart de ses congénères Cheyennes.
Lorsqu'il perd son emploi John l'Enfer se propose d'assister Dorothy une jeune aveugle dont il vient de faire la connaissance.
Si John ressent peu à peu naître des sentiments pour la jeune femme, celle-ci semble plutôt attirée par Ashton Misha, ancien marin.

L'intérêt de ce roman n'est pas l'histoire d'amour mais bien dans la lente agonie de cette ville tentaculaire et fascinante.

« John l'Enfer » est un roman assez déroutant qui flirte avec la science-fiction et le récit apocalyptique.
Il a été couronné par le Prix Goncourt en 1977.

J'ai eu beaucoup plaisir à relire ce livre plus de quarante ans après sa parution.
J'ai aimé y retrouver John, tellement attachant dans sa volonté de sauver sa ville avec ses pauvres moyens tout en protégeant celle qu'il aime.
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J'ai été attirée par le personnage de John L'Enfer, un Cheyenne insensible au vertige. Ce n'est malheureusement pas son histoire que Didier Decoin raconte, plutôt celle de la décadence de New York dont les immeubles sont rongés par une lèpre. J'ai eu du mal à m'intéresser à cette histoire ainsi qu'aux personnages, du mal à croire à cette décadence décrite. le rythme est lent, la vision du monde pessimiste. Je ressors de cette lecture assez déçue.
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John l'Enfer est un indien Cheyenne, il travaille à New York, comme laveur de carreaux sur les gratte-ciel.
Son chemin va croiser celui de Dorothy Kayne, une jeune femme momentanément aveugle suite à un accident, et d'Ashton Mysha, un loup de mer polonais expatrié.
Dorothy Kayne a besoin d'aide mais pas de pitié, c'est tout ce qu'a à lui offrir John l'Enfer qui tombe amoureux de cette jeune femme dont la couleur des yeux restera un mystère jusqu'à la fin.
Dorothy Kayne tombe sans doute aussi amoureuse de John l'Enfer, mais elle ne le voit pas forcément et c'est à Ashton Mysha qu'elle s'offre toutes les nuits, pas toujours entièrement consentante ce qui en fait une relation déroutante, alors que ce dernier sait pertinemment que John aime Dorothy et vice-versa, en attendant il profite de la pseudo-domination qu'il a sur le Cheyenne : "Elle dépend de vous, pire qu'un chien. Mais je n'appelle pas ça de l'amour. N'attendez rien de l'hiver, John, vous seriez déçu.".

Ces trois destins vont se croiser pour ne faire qu'un l'espace d'un temps dans une ville de New York qui se désagrège petit à petit.
Mais seul John l'Enfer perçoit la fin de la ville, repère et interprète les signes sur les bâtiments ou encore ces chiens qui se rassemblent : "Le Cheyenne a toujours eu l'impression d'être le spectateur privilégié de cette ville à la surface de laquelle il ne prend pied que pour fermer les yeux.".
Il y a beaucoup de symboliques dans ce roman : un univers indien avec ses croyances toujours sous-jacent, une aveugle qui ne voit pas au sens propre comme au figuré, cette meute de chiens qui ne cesse de grandir en périphérie de New York prête à attaquer la ville, cette étrange maladie comme une lèpre qui toucherait la pierre pour la rendre friable et faire s'écrouler les bâtiments.
L'apocalypse n'est pas forcément là où on l'attend : elle aurait pu prendre la forme d'un virus mortel, l'auteur a choisi de la symboliser par les maisons et surtout les gratte-ciel, emblèmes de New York, qui menacent de s'effondrer.
Ne faudrait-il pas y voir aussi le déclin de la race humaine ?
D'ailleurs, même les indiens réputés pour ne pas souffrir du vertige se mettent à tomber des gratte-ciel tandis qu'ils lavent leurs vitres.
Alors que la ville menace de s'écrouler, il y a un trio amoureux qui se cherche, parfois se trouve mais se trompe de personne : "A New York, on ne s'aime plus que le temps d'une défaillance.", un tourbillon qui tourne et emporte le lecteur au fil de ses pérégrinations.
Mais il n'y a pas que New York qui dépérit, Ashton Mysha en a assez de la vie : "Il faut se méfier des villes, ça vous assassine mine de rien.", quant à Dorothy elle est retournée au stade enfant depuis qu'elle est aveugle, seul John l'Enfer est et reste un roc, une personne sur qui compter et à qui s'accrocher.
Ce roman est aussi la confrontation des contraires : le New York opulent qui se heurte au New York pauvre, l'argent à la misère, l'amour au désespoir.
Et puis, il y a New York, ville aux multiples facettes que j'ai pris plaisir à re-parcourir à travers ce roman mettant en avant des lieux ultra-connus et d'autres plus secrets.

Il m'est difficile de parler de cette lecture, elle se ressent plus qu'elle ne se raconte mais le style de Didier Decoin m'a transportée à New York et m'a fait suivre les pas de John l'Enfer à travers cette histoire que j'imagine très bien transcrite à l'écran par le cinéma.
Une belle lecture et un coup de coeur littéraire comme cela ne m'était plus arrivée depuis quelques mois.
Lien : http://lemondedemissg.blogsp..
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critiques presse (1)
LeFigaro
10 mai 2022
Le roman visionnaire nous livre avant l'heure la prophétie d'une ville attaquée par les airs qui voit s'effondrer la proue de l'Amérique.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Citations et extraits (29) Voir plus Ajouter une citation
Lorsque John entame sa progression sur le flanc de la montagne
absolument verticale, en manœuvrant les pattes grêles de la bête-à-
ventouses, les gens de la rue s’arrêtent, lèvent les yeux, ils le
regardent faire et, parfois, le saluent de la main. Mais peu à peu, ils
se lassent et s’en vont : pour eux, ce sont toujours les mêmes gestes
qui recommencent. John l’Enfer, lui seul, sait qu’aucun de ses
efforts ne ressemble au précédent. D’abord, il y a le risque qui
augmente - moins en fonction de l’altitude que de la fatigue.
Ensuite, la musculature s’assouplit, les mouvements sont plus
heurtés, plus audacieux. Au fur et à mesure que les vitres retrouvent
leur transparence, une sorte d’optimisme comparable a l’ivresse
gagne le laveur de carreaux. Dans certains cas, il ira peut-être
jusqu’a se lâcher d’une main pour atteindre tel ou tel recoin. Il siffle,
puis il chante, puis il se raconte des histoires. Le vent écarte ses
lèvres, pénètre en trombe dans ses poumons : autant 1’air du rez-de-
chaussée était gluant, lourd, comme filandreux, autant le vent d’en
haut est rafraîchissant, purifié; un vent bleu comme le sang.
La première demi-heure est pénible, la deuxième est vivifiante;
c’est au cours de la troisième demi-heure que, accoutumance
aidant, tout peut arriver.
Il faut, à intervalles réguliers, prendre la mesure du vide, défier le
vertige; ne pas s’intéresser a ce qui se passe derrière la fenêtre, a
l’intérieur du gratte-ciel : sinon, on a vite fait de se croire sur terre ;
le plus dangereux, c’est la fille qui peint ses ongles, qui souffle
dessus, qui les tourne vers la lumière du jour, la moquette est
épaisse et verte, tout est doux, infiniment trop.
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Anderson s’approche, en déployant un plan des égouts :
– Une fausse victoire, sénateur. Dès maintenant, les collecteurs secondaires s’engorgent. Demain, ça sautera quelque part dans les profondeurs. Alors, quelles nouvelles vannes fermerez-vous ? Je vous accorde volontiers que c’est vexant, mais nous sommes à la merci d’une masse colossale de merde.
On sourit. Le champagne coule dans les coupes. Anderson est au bord des larmes, il ne veut pas qu’on le sache, il se mouche.
« La ville nous échappe, dit-il. Demandez à cet Indien près de moi, il est de race Cheyenne.
John l’Enfer s’avance à son tour :
– C’est l’histoire de la cavale blanche. Elle avait été capturée dans les plaines par les chasseurs de chevaux de l’ancien temps, et offerte à celui qui conduisait le peuple. Une bête étrange et belle, que rien n’effrayait. Dans les combats, elle portait en croupe l’espérance de la nation Cheyenne.
– Il veut dire par-là quand lui confiait le fils aîné du chef, précise Anderson.
– Lorsque la lune fut favorable, dit encore John , on accoupla la cavale avec un étalon digne d’elle. Et la cavale mit bas, c’était un soir en été. Mais le poulain qui se tordit jusqu’en dehors de ses entrailles était noir. Surtout, il portait au front la tache de la mort.
On interroge pour savoir ce qu’est la tache de la mort, mais John ne répond pas : il y a des choses qui ne se disent pas, parce que la connaissance absolue suppose le temps de l’éternité et la douleur qui ne s’endort pas. L’Indien ne sait pas ce que cela signifie, mais il a souvent entendu ces mots dans la bouche de maman Pageewack, dans la bouche aussi de son père et de sa mère, ouvriers de la General Motors.
« On parla d’abattre la cavale. Quelques-uns refusèrent. Ils dirent qu’il suffisait de récolter des herbes particulières, de les amalgamer, puis de les enfourner profond dans l’utérus de la cavale. Malgré cela, la bête enfanta un second poulain - par les naseaux. Lui aussi portait au front la tache de la mort. De nouveaux, on cueillit les plantes qu’il fallait et on les enfonça dans les naseaux de la cavale. Pourtant, pour la troisième fois, la cavale mit bas : par la bouche, un peu comme un crachat. Et pour la troisième fois, le poulain était marqué. Alors, on ferma la bouche de la cavale avec les mêmes herbes qu’auparavant.
John l’Enfer s’accroupit sur ses talons, et conclut :
« A l’aube, la cavale était morte par étouffement.
Le sénateur Cadett sourit :
– La légende est plaisante. J’ai toujours pensé que vous autres, Indiens, ne saviez pas exploiter les trésors de votre folklore.
Il se tourne vers Anderson :
–  Félicitations, Ernst.Le numéro est joli, et bien préparé.
– Pas préparé du tout, sénateur. Je me suis rappelé que l’Enfer m’avait raconté cette histoire dans le fourgon cellulaire qui l’emmenait en prison. C’était après l’événement de Centre Street. Par là, il voulait me démontrer…
Cadett l’interrompt :
– Merci. La symbolique indienne est assez évidente – en fait, presque puérile ! - pour que je puisse me passer de votre traduction. Mais New-York n’est pas une jument. D’autre part, croyez-vous vraiment que ce soit l’heure et le lieu de tenir un débat contradictoire ?
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Bee a triché. Le 4 janvier, emportant la caisse de son musée de Bowery Street, elle a pris un aller simple pour Rio de Janeiro à bord du vol régulier de la Varig. A Atlanta (Georgie), le docteur Almendrick perd ainsi des centaines de dollars, un foie, un cœur et deux reins : il ne peut engager aucune poursuite contre Bee, car il risquerait de tomber lui-même sous le coup de la loi constitutionnelle qui ne prévoit pas encore la vente viagère d’organes humains.
Bee a laissé une lettre pour Ashton. C’est le nain Falcon, en larmes comme pour un deuil, qui remet le pli au Polonais. Bee explique qu’elle avait intelligemment placé l’argent que lui verser Almendrick, que la somme est peu à peu devenue considérable, et qu’elle estime imbécile de mourir riche. D’ailleurs, elle n’est pas sûre d’avoir jamais eu l’intention de se donner la mort. Elle y a pensé, comme tout le monde, dans des moments de découragement. Mais lorsque son compte en banque s’est mis à grossir, sur l’influence des mensualités que lui virait Almendrick, elle a vu les choses sous un jour différent. Elle n’a d’ailleurs pas le sentiment d’avoir trahi qui que ce soit : d’une certaine façon, en achetant sa mort, Almendrick lui a rendu le goût de vivre. Il l’a sauvée – ou, si l’on préfère, il l’a prolongée. N’est-ce pas le rôle d’un médecin ? Elle considère Almendrick comme un sorte de génie : sans le savoir, il a inventé la transfusion financière. Les grandes découvertes médicales se font souvent ainsi, un peu par la grâce du hasard, un peu par l’entêtement à vivre ou les caprices des malades. Il serait sans doute fructueux, ajoute Bee, de se pencher sur l’aspect monétaire du mal des hommes. La pauvreté est peut-être parfois le signe avant-coureur de la mort.
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Rivées aux carreaux, des ventouses électromagnétiques maintiennent John l’Enfer comme une mouche contre les façades des buildings. Et pour ça, il touche un peu plus de six cents dollars par mois. Il sait par expérience que chaque gratte-ciel est une petite montagne, avec ses vents propres, son microclimat, ses pièges.
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« Le douzième laveur de carreaux qui s’écrase en moins de six mois. Tous des Indiens. Je le croyais pourtant différents de nous autres, insensibles au vertige ? / Oui, ça se passe dans leur oreille interne. Maintenant, si ça se trouve, ils s’adaptent. Et ils en meurent. » (p. 13)
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Vidéo de Didier Decoin
Auteur de près d'une cinquantaine de livres et d'une quarantaine de scénarios pour le cinéma et la télévision, membre de l'Académie de Marine, président des Écrivains de Marine, Didier Decoin nourrit aussi une véritable passion pour la navigation. En invitant Isabelle Autissier, Isabelle Carré et un invité surprise à sa carte blanche, le président de l'édition 2022 Du Livre sur la Place réunit toutes ses passions.
Isabelle Autissier, "Le Naufrage de Venise" (Stock) Isabelle Carré, "Le jeu des si" (Grasset) Didier Decoin, "Le Sang des Valois, tome 1 - L'Homme du fleuve" (Glénat)
Une rencontre animée par Françoise Rossinot, le 9 septembre 2022 à l'Opéra national de Lorraine.
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