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Critique de brumaire


Cela ne m'étonne guère que le roman de Daniel Defoë destiné à la jeunesse aie été souvent édulcoré, tronqué,passé à la moulinette d'un moralisme bêtifiant. Je viens de terminer le texte intégral dans une vieille édition Marabout, celle traduite par Pétrus Borel. Nonobstant le style un peu archaïque de la traduction on découvre un héro bien éloigné du preux écologiste avant l'heure qui recueille Vendredi pour en faire un ami le tout dans un décor de rêve où la "nature" ne peut qu'être bonne. Daniel Defoë était un homme de son temps et Robinson porte certainement sa "vision" du monde. Dans l'essor fantastique de l'Angleterre de la fin du 17e siècle son héros ne pouvait être qu'un négociant et un marin. Ce qu'on ne dit pas aux petits enfants qui lisent "Robinson Crusoë" dans une édition pour la jeunesse c'est que Robinson était aussi un vil esclavagiste , c'est d'ailleurs la raison pour laquelle il fit naufrage puisqu'il allait chercher sur les côtes de Guinée quelques esclaves pour sa plantation du Brésil (et ceci en fraude car le Portugal avait paraît-il un monopole sur la traite des esclaves). Alors non seulement il s'adonnait à la "traite" , ce qui est un point Goldwin de discussions de fin de soirée, mais , en plus , il tuait les bébés animaux !
"(......) je tuai une bique qui avait auprès d'elle un petit cabri qu'elle nourrissait, ce qui me fit beaucoup de peine.Quand la mère fut tombée, le petit chevreau, non seulement resta auprès d'elle jusqu'à ce que j'allasse la ramasser, mais encore quand je l'emportai sur mes épaules, il me suivit jusqu'à mon enclos. Arrivé là, je la déposai par terre, et prenant le biquet dans mes bras, je le passai par dessus la palissade dans l'espérance de l'apprivoiser. Mais il ne voulu point manger, et je fus donc obligé de le tuer et de le manger moi-même".
Sincèrement peut-on laisser lire cela à ses enfants (mes petits enfants pour mon compte...) eux qui versent une larme quand la maman de Bambi est cernée par un incendie et que Marguerite , la vache de Fernandel dans la Vache et le prisonnier, est abandonnée dans un pré allemand alors que le dit Fernandel prend le train pour la France !
Vous l'aurez compris j'ai chargé la mule. Ce que je veux dire c'est que la sensibilité des lecteurs de l'époque n'a rien de commun avec la nôtre. Nous nous offusquons que des hommes aient pu vendre et acheter d'autres hommes mais toute l'économie et le commerce hors Europe était fondé sur le commerce triangulaire. D'ailleurs lorsque Robinson, au début de l'ouvrage lors de ses premiers voyages comme négociant , fait naufrage et est capturé comme esclave par les Maures, il ne se rebelle pas, n'invoque pas "Les Droits de l'Homme". Il ne pense qu'a s'échapper. Pragmatisme anglo-saxon peut-être...

Le séjour sur l'île (que j'étais sûr de situer dans le Pacifique...alors qu'elle se situe dans les Caraïbes) ne dure qu'une petite centaine de pages (sur 630). le reste du livre raconte les multiples aventures du héros. Car il a la bougeotte Robinson. Alors qu'une opportunité lui permet de retrouver son pays le revoilà naviguant sur un navire commandé par son neveu. Il revient dans "son"île où prospère une petite communauté sur laquelle il entend bien régner . Là se situent une bonne cinquantaine de pages moralisatrices et moralisantes (dé....)qui ont dû barber pas mal de lecteurs ! Constatant que ses "colons" vivent avec des femmes indigènes (des sauvages de peuplades cannibales) sans être passé par les sacrements du mariage , Daniel Defoë nous inflige un pensum indigeste où l'on voit Robinson dialoguer avec un prêtre français (donc papiste) sur la meilleure façon de ramener dans le droit chemin ces âmes perdues....). Car, époque oblige, Dieu et la Providence sont constamment présents dans l'histoire. La Providence toujours invoquée par Robinson pour justifier le hasard des circonstances....
Loin d'un manichéisme qui semble évident si l'on ne prend pas en compte le contexte (l'époque) j'ai trouvé dans le livre des accents précurseurs des Lumières (qui comme on sait doivent beaucoup à la chrétienté). Robinson , toujours très bavard..., ne manque jamais une occasion de mettre en avant son "humanité" : lors des batailles contre les sauvages cannibales qui envahissent "son" île, lors des nombreuses aventures en mer (batailles encore...),et même lors de ses transactions commerciales (là on a du mal à le croire...).

"(....) car je souffrais de voir tuer de pareils pauvres misérables sauvages,même en cas de défense personnelle, dans la persuasion où j'étais qu'ils croyaient ne faire rien que de juste, et n'en savaient pas plus long. Et, bien que ce meurtre pût être justifiable parce qu'il avait été nécessaire et qu'il n'y a point de crime nécessaire dans la nature, et je n'en pensais pas moins que c'est là une triste vie que celle où il nous faut sans cesse tuer nos semblables pour notre propre conservation, et, de fait, je pense ainsi toujours ; même aujourd'hui j'aimerai mieux souffrir beaucoup que d'ôter la vie à l'être le plus vil qui m'outragerait."

Autre passage prémonitoire : Robinson fait escale à Madagascar. Il y a une embrouille (un marin viole une native). Les indigènes tuent deux marins en représailles. Pendant la nuit l'équipage part incendier le village et massacrer la population. Nous sommes blasés . Algérie, Vietnam....et combien d'autres avant. Ce qui est remarquable c'est que Robinson prend ses distances avec le pogrom ; général de la Bollardiere avant l'heure.
Sinon les aventures continuent : l'Inde,le détroit de Mallaca,la Chine, retour par la terre ferme , enfin, dans son Angleterre natale pour y finir sa vie.
Et nous les babas cools soixante-huitards qui frimions devant les nanas pour avoir fait Paris-Kaboul en deuche (Aller-retour quand même...).




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