Offert par ma libraire, ce roman sur le thème du cambriolage vécu de l'intérieur m'attirait car j'imagine toutes les sensations et désagréments qui peuvent en découler pour les victimes. L'héroïne rappelle d'ailleurs qu'on l'apparente souvent à un viol. Certains y perdent des choses précieuses ou pratiques, d'autres surtout des souvenirs qui vont leur manquer. Mais le matériel mis à part, comment vit-on le fait que quelqu'un pénètre chez nous, dans notre intimité, à notre insu ?
Anne est une vieille dame dont l'appartement vient d'être cambriolé. de prime abord, elle est plus surprise qu'accablée puisqu'elle ne possédait presque rien de valeur (son chéquier, un ordi dont elle ne se sert jamais, de vieux bijoux fantaisie) et qu'elle paraît extrêmement détachée des choses matérielles. Plus encore, elle semble détachée de sa propre vie, voire même de sa personne : Comme si elle regardait sa vie présente avec tellement de recul que c'en pourrait être la vie d'une autre. L'âge seul explique-t-il ce recul ?
En fait de micro événement, ce cambriolage va ouvrir une brèche sur le passé de la vieille dame : Des bris de sa vie, comme autant d'éclats de verre jaillis de sa vitre cassée par un mystérieux cambrioleur, vont remonter à la surface de son subconscient et nous livrer un début de réponse. Comme une
effraction dans son passé, nous pénétrons l'intimité d'Anne et ses souvenirs les plus refoulés.
« On ne sait pas pourquoi ce cambriolage fait resurgir quelque chose du passé. Peut-être est-ce un simple accroc dans une vie très lisse, qui dévoile, comme une déchirure sur un canapé montre au-dessous quel tissu le recouvrait avant, qu'il était rouge et doré avant d'être beige et neutre, que ça foisonnait au-dessous, les couleurs, les conversations, les postérieurs posés là de morts depuis des lustres, les verres qui s'entrechoquent et les drames qui se dénouent. Cette présence d'un jeune homme dans des meubles trop neufs pour une dame âgée, c'est autant d'anachronisme, du passé qui se glisse sous la porte comme un courant d'air. Cette intrusion a perturbé les ondes magnétiques du temps, si une telle chose existe, le champ magnétique qu'Anne sécrète elle-même, dans lequel elle se meut depuis si longtemps, et qu'elle veut absolument clair et vide, inexistant pour tout dire. »
Pourquoi le coupable a-t-il choisi son appartement à elle, puisqu'il n'est ni le plus accessible, ni le plus rentable ? de cette interrogation que lui pose le cambriolage va naître toute une série de réflexions sur la vie de cette femme. Et finalement, alors qu'elle pensait ce cambriolage comme un non-événement dans sa vie puisqu'il ne lui causait pas vraiment de préjudice, il est le grain de sable qui la sort de sa routine et la ramène présente dans sa vie.
Au final, une surprise nous attend peut-être au tournant car cet événement suscite des envies (connaître son cambrioleur pour lui demander des explications, pour trouver un sens à tout cela) mais aussi des souvenirs : Ce mystérieux cambriolage fait remonter à la surface une expérience de jeunesse qui a mal tourné et a bouleversé sa vie entière, ce qui explique en partie la personnalité d'Anne aujourd'hui. le lien plus ou moins ténu entre Anne et son cambrioleur deviendra alors essentiel pour elle et sa reconstruction ; presque obsédant...
Dans cette histoire, la narration interne vient se mêler en surimpression à la narration externe de l'auteur, rendant le récit urgent et touchant. Elle nous aide à mieux comprendre ce qu'Anne ressent et à suivre ses déambulations mentales. Ce grain de sable qui fait voler sa tranquillité en éclats prouve que, quoi qu'elle en dise et aussi détachée qu'elle semble être, un cambriolage n'est jamais anodin pour celui qui le subit. Un roman tout en douceur pour bien commencer cette rentrée littéraire, avec lequel je découvre
Alain DEFOSSE. Je regrette simplement que la fin n'offre pas plus de précisions sur l'événement de son passé qui cristallise sa réaction.
Ca ne vous rappelle pas une chanson ?
STANCES A UN CAMBRIOLEUR
(BRASSENS)
- Extrait -
"Prince des monte-en-l'air et de la cambriole
Toi qui eus le bon goût de choisir ma maison
Cependant que je colportais mes gaudrioles
En ton honneur j'ai composé cette chanson
Sache que j'apprécie à sa valeur le geste
Qui te fit bien fermer la porte en repartant
De peur que des rôdeurs n'emportassent le reste
Des voleurs comme il faut c'est rare de ce temps
Tu ne m'as dérobé que le strict nécessaire
Délaissant dédaigneux l'exécrable portrait
Que l'on m'avait offert à mon anniversaire
Quel bon critique d'art mon salaud tu ferais
Autre signe indiquant toute absence de tare
Respectueux du brave travailleur tu n'as
Pas cru décent de me priver de ma guitare
Solidarité sainte de l'artisanat
Pour toutes ces raisons vois-tu, je te pardonne
Sans arrière-pensée après mûr examen
Ce que tu m'as volé, mon vieux, je te le donne
Ça pouvait pas tomber en de meilleures mains
(...)"
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