El Tiempo de Los Emperadores Extraños
Traduction :
Elena Zayas
ISBN : 9782752906519
Peu importe si vous l'on soutient qu'"
Empereurs des Ténèbres" est un roman policier : rien n'est plus faux. Il y a assassinats, bien sûr, et froidement prémédités, et bien
sanglants dans une guerre qui atteignit des sommets de barbarie mais justement, les thèmes de ce roman, ce sont avant tout la Guerre, la Mort et la Folie.
D'origine asturienne,
Ignacio del Valle a choisi de nous faire voir la Seconde guerre mondiale et, plus précisément, le moment où le vent tourne pour les troupes nazies sous l'assaut de l'Armée rouge et du sursaut patriotique impulsé par Staline à toute une nation qu'il déclarait pourtant la veille au soir la plus solide alliée du Führer, avec les yeux des Espagnols, les membres de la célèbre "División Azul" (littéralement "Division Bleue" en raison de la couleur de la chemise qu'ils arboraient), exclusivement composée de volontaires, qu'un Franco bien embêté mais ne pouvant renier l'aide apportée par Hitler et ses aviateurs lors de la Guerre civile, s'était débrouillé pour mettre à la disposition de la Wehrmacht à charge cependant pour celle-ci de les équiper.
Parmi ces volontaires, Arturo Andrade, jadis le lieutenant Andrade mais redevenu simple soldat après une condamnation pour crime passionnel. Son intelligence, profondément analytique, ses facultés de raisonnement hors de pair, qu'il a déjà exercées dans "L'Art de Tuer les Dragons", énigme bâtie autour de la disparition d'une oeuvre d'art, sortie en 2003 aux Editions Agaida, le font désigner presque immédiatement lorsque l'on découvre, dans la rivière gelée, au milieu d'un groupe de chevaux morts de froid en un plein élan qui fait irrésistiblement penser à une scène célèbre du génial "
Kaputt" de
Malaparte, un soldat égorgé, entièrement vidé de son
sang, et sur
la peau de qui on a gravé ces mots : "Prends garde, Dieu te regarde." Qu'on puisse entamer une enquête policière alors qu'on est cerné par l'Armée rouge et les partisans et que l'on mène soi-même une guerre où des milliers d'hommes tombent tous les jours, à quelque côté qu'ils appartiennent, peut paraître absurde mais la chose n'en reste pas moins nécessaire. Assurément, la victime n'est pas morte sous une baïonnette russe, les chevaux ne sont pas sortis comme ça pour se jeter dans des eaux glaciales et le mystère, si ce n'est un fou délirant, rôde non pas à l'extérieur de la Division mais bel et bien en son sein.
Andrade reçoit carte blanche de tous ses supérieurs hiérarchiques, espagnols comme allemands, pour mener l'affaire à terme. Il se lance, curieux mais prudent. Doté d'un sens logique que les horreurs vues durant la guerre, civile, puis mondiale, n'ont pas réussi à entamer, il cherche bien entendu un mobile. Mais il y en a-t-il vraiment un ? Ne va-t-il pas s'évanouir au moment même où Arturo y atteindra ?
Plus que l'intrigue policière, dont on comprend très vite qu'elle n'ait qu'un prétexte, c'est la guerre et tout ce qu'elle renferme en elle, aussi bien de parfois comique que de franchement atroce, qui retiennent ici notre attention. On en apprend beaucoup par exemple sur les rivalités qui s'exerçaient, au temps de la Phalange, dans le camp de Franco. On découvre, si on ne le savait déjà, en parallèle des dissensions favorisées par les Staliniens au sein des Républicains espagnols, la haine que portaient Phalangistes et Franquistes aux francs-maçons alors que ceux-ci conservaient leur sphère d'influence. Et, très vite, la haine et le mépris des Phalangistes purs et durs envers Francisco Franco. Même après ce que l'on voit de nos jours, en particulier sur le Net, on reste stupéfié par le fanatisme, religieux, politique, pour ne pas dire les deux, inextricablement mêlés à la soif du pouvoir, de certains. Quant à l'arrivisme, froid et qui ne se pose guère de questions, des autres, il parvient encore à nous ahurir. Dans le fond, rien ne change ... Une fois ou deux, apparaissent, hallucinants et eux-mêmes zombifiés par leurs credo d'hygiène raciale, deux S. S. - un homme et une femme, celle-ci, Hilde, n'étant pas sans évoquer, en tous cas par son physique, Ilse Koch, surnommée "la chienne de Büchenwald". Il n'est pas sans un malheureux berger allemand, dressé pour la haine et l'attaque, qui ne tienne ici son rôle de monstre parce que la Guerre et les hommes rendent monstrueux.
Des lecteurs mieux au fait en matière d'Histoire de la Guerre civile espagnole et de la "División Azul" repèreront peut-être pas des invraisemblances mais certaines libertés prises par la fiction sur les faits. le récit n'en reste pas moins hypnotique tant il déborde à la fois d'humanité désespérée, d'inhumanité formatée, de cruauté dictée par le seul instinct de conservation, et de folie, une folie absolue qui hante à peu près tout le monde, qu'elle se dévoile lors d'un crime, d'une séance de "violeta" (variante espagnole de la roulette russe qui confère au roman l'une des ses scènes les plus fortes), d'un corps-à-corps entre deux hommes ou entre un chien et un homme, ou même de simples rapports sexuels (Zira et Arturo).
A l'issue de ce livre, on serait tenté de conclure : "La Guerre rend fou." Mais, à bien y regarder, n'est-ce pas notre folie à tous qui provoque la Guerre ? ... Certes, Hitler, Staline, ... furent des "
Empereurs des Ténèbres". Mais n'en portons-nous tous pas un au plus profond de notre être, qui ne demande qu'à se révéler si le Destin et la "Chance" s'en mêlent ? L'assassin que traque Andrade se veut un justicier mais, finalement, n'est-il, pas lui aussi, qu'un "Empereur des Ténèbres" qui s'est longtemps ignoré et qui, quand il le comprend, n'éprouve plus le besoin de survivre ? ...
A lire mais avec l'esprit reposé et porté à la réflexion. "
Empereurs des Ténèbres" est un roman plus complexe que ne le laisse supposer sa quatrième de couverture. ;o)