J'ai découvert ce livre grâce à mon attachement à ses deux auteurs. Je me suis plongée dedans par voyeurisme, au début, dévorant les débuts de leur idylle avec l'avidité d'une lectrice de magazines people. C'était beau, c'était cru, mais déjà je me demandais si j'aurais pu trouver cela intéressant sans connaître auparavant les deux personnages.
J'ai lutté au milieu pour ne pas abandonner, tant les dissertations géopolitiques de Daniel s'étalaient de pages en pages - passionnantes, certes, sauf quand on s'attend à lire un roman et qu'on se retrouve à lire quelque chose qui relève plus de l'article de journal ou du billet d'humeur - et tant le récit trop autobiographique de Chloé faisait redondance avec ses autres livres, par ailleurs beaucoup plus subtils dans leur manière d'aborder son lourd passé. Chloé m'avait habituée à des développements autofictionnels obscurément poétiques dont la beauté me transportait. Ici, ce tournant narratif m'a surprise, mais pas de la meilleure manière. Dans toute la partie centrale du livre, les chapitres de Chloé sont certes bien écrits, eux aussi, avec quelques passages qui rappellent ses précédents ouvrages, et après les longs chapitres de Daniel, ils étaient presque un soulagement.
Mais globalement, dans cette partie centrale j'ai surtout eu l'impression d'assister à un déballage de passé et d'idées brut de décoffrage, et malgré quelques perles cachées dedans, je me suis un peu ennuyée et me suis parfois surprise à me demander pourquoi je lisais ce livre. le problème de cette partie-là, à mon sens, c'est qu'il y a tellement de longueurs que l'on oublie complètement où ils veulent en venir ; à ce fameux projet mentionné au début, de partir au Liban en quête de racines.
Je ne sais pas si l'effet serait le même pour un lecteur qui ne serait pas familier de l'univers de
Chloé Delaume, mais personnellement j'ai bien failli me perdre en route. Heureusement, la fin du livre, avec le voyage au Liban, redonne un peu de dynamisme à tout cela ; on retrouve le fil rouge, celui du titre, "
où le sang nous appelle", toutes ces interrogations sur ce qui nous pousse à perpétuer notre lignée, sur nos racines, et sur ce pacte unique entre les deux personnages, qui les rend sourds à la voix du sang et par là même, peut-être, enfin libres.
La dernière partie est très belle, très puissante, et pour cela je ne regrette pas de m'être entêtée à lire parfois jusque dans mon ennui. J'aimerais bien savoir dans quelle mesure la connaissance préalable que le lecteur peut avoir des deux auteurs conditionne l'intérêt qu'il peut porter à ce livre. Il me semble que si j'ai apprécié le début, c'est parce que je les connaissais, et que si j'ai ramé au milieu, c'est aussi parce que je les connaissais. Quant à la fin, je pense qu'elle a une portée universelle qui se passe de toutes ces considérations triviales.
C'est donc une oeuvre assez inégale, qu'il faut peut-être prendre comme une expérimentation pour l'apprécier à sa juste valeur. Ce n'est sans doute pas évident d'écrire un roman à deux. Chacun redéfinit son style en fonction de celui de l'autre. Chacun se cherche, parfois se trouve, parfois se perd. Peu importe, puisqu'ils sont arrivés au bout.
Pour finir, j'ajouterai que ne suis pas certaine que cette oeuvre résiste à l'épreuve du temps, mais en tous cas elle résonne très fortement avec l'actualité récente en matière de terrorisme, et en cela elle est un témoin de notre époque.