V. L'ÂME SENTINELLE
LXX
L'ARBRE
Enseigne-lui l'étude des arbres.
G. Seféris
L'arbre est un fleuve d'étoiles qui s'écoule ;
L'arbre tord ses mains, s'apaise ; l'arbre
Est inflexible ; l'arbre
N'est rien que la matière qui respire,
Et la matière est bonne.
L'arbre est la sentinelle du temps ; il
Vibre au passage amoureux du soleil, déploie
Ses feuilles, nous invite à veiller
Aux quatre nuits de l'an qui passe ;
Et quand la terre accablée renouvelle
L'inépuisable fécondité de son ventre, il annonce
Le jour qui vient, la montée de la sève jusqu'à la gloire.
Puis le soleil se glace, les oiseaux se démettent,
L'arbre n'est plus alors
Qu'une passion vouée à la cendre, clouée
À l'absence du paysage,
Au vide où s'égrènent pas et pensées.
Qui fait hurler le vent, courir par bonds les lièvres
Sur l'espace désert.
La dure loi exige le don total.
…
p.184
I – NOCTURNAL
VI
L'OISEAU
Dans la cage habite l'oiseau
Derrière les barreaux de rotin
L'oiseau relie le soir et le matin,
L'heure qui rampe sur les toits et les tables,
L'oiseau toujours joyeux, l'oiseau proche, lointain.
Nous habitons ce monde aux barreaux de pluie,
La cour vertigineuse entre quatre hauts murs.
La ville ronronne et geint sans plus finir.
Je me souviens au creux d'une vallée,
L'ai-je connue, fut-elle en mon désir ?
D'une trouée paisible entre les arbres.
Quelle douceur esquisse au loin sur l'herbe
Un jardin de clairière où refluera la nuit.
J'ouvre les persiennes rétives puis la fenêtre :
Quels seront aujourd'hui les messagers de joie ?
Il n'est de liberté qu'intérieure, je le sais bien ;
De silence, qu'au fond de soi
Pour peu qu'on sache s'en éprendre.
La voix familière ignore les mots,
Elle parle toujours et sans paroles,
Veille dans un déni de faits immodestes
Et nous comprend avant que nous ne l'entendions.
Oh pourquoi l'oiseau docile, pourquoi
L'oiseau chanteur, lorsque je le regarde
Se taira-t-il, l'oiseau qui sait chanter ?
p.25-26
XLIX
BERCEUSE
La nourrice des fenêtres
Berce le petit jour qui naît
Dans un berceau de feuilles tendu d'ombres.
Que rien n'effraie l'enfant, hirondelles, déserts.
Midi s'assied sur son trône d'ivoire,
Décrète ses édits – parchemins de toitures.
Que l'eau défile avec lenteur, que me saluent, porteurs de lances,
Peupliers, pluies. Les fenêtres sont fières.
L'agonie traîne au lit des crépuscules
Une vendange qui s'estompe, éléphants d'ombres, femmes
Qu'on égorge, belles chevelures dans le palais qui brûle.
Les fenêtres sont graves, nuits, serviteurs.
p.129
V. L'ÂME SENTINELLE
LXX L'ARBRE
L'arbre est un fleuve d'étoiles qui s'écoule ;
…
Nos doigts peu à peu lâchent l'objet qu'ils convoitent,
Nos yeux quittent l'orbite où ils entretenaient
L'amour de la lascivité des corps, et la hantise
De puissance et de domination.
Chacun des sens outragés par la nuit, la mort le livre
Aux ateliers de la terre qui simplifie
Et décompose. Les os
S'alignent sous le suaire des sables ;
L'âme qui ne divague plus comparaît
Devant le Maître. M'as-tu jamais aimé ?
L'arbre semble dormir et ne dort jamais ; offre aux abeilles
Un refuge au repli de ses branches ;
Un trou dans sa cuirasse aux colombes.
Sans jamais divertir, ayant
Reçu nativement sagesse et jugement.
p.185
II. UN CHANT D'AMOUR
XXII. LES MONTS BLEUS
Les monts bleus
Et le ciel songeur.
Toi
Dont les yeux ardents
Sont l’abri du ciel et des monts.
Source, frisson, tristesse, joie.
Je baiserai de ma langueur
Ta bouche.
Je vois les mots se former
Dans tes pupilles, sur tes lèvres.
Et je respire ton haleine.
Je me raccroche à la vie,
Je sais l’existence du monde
Lorsque je tiens ta main.
p.63
Festival Voix Vives 2016
Entre mer et ciel : Philippe Delaveau
Images et montage : Thibault Grasset - ITC Production
#Poésie #VoixVives #PhilippeDelaveau