AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Auschwitz et après tome 1 sur 3
EAN : 9782707302908
182 pages
Editions de Minuit (01/03/1970)
4.59/5   350 notes
Résumé :
Aucun de nous ne reviendra est, plus qu'un récit, une suite de moments restitués. Ils se détachent sur le fond d'une réalité impossible à imaginer pour ceux qui ne l'ont pas vécue.

Charlotte Delbo évoque les souffrances subies et parvient à les porter à un degré d'intensité au-delà duquel il ne reste que l'inconscience ou la mort. Elle n'a pas voulu raconter son histoire, non plus que celle de ses compagnes ; à peine parfois des prénoms. Car il n'est... >Voir plus
Que lire après Auschwitz et après, tome 1 : Aucun de nous ne reviendraVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (63) Voir plus Ajouter une critique
4,59

sur 350 notes
5
47 avis
4
10 avis
3
2 avis
2
0 avis
1
0 avis
Bon alors voilà. J'ai passé mes vacances à relire tous les livres que je possède de Charlotte Delbo, et je suis toujours aussi choquée de voir à quel point elle est peu connue en France, si on compare à Primo Levi, par exemple, qui, pourtant, est italien, écrit en italien.
Donc, rappelons : Charlotte Delbo est née en 1913 à Vigneux-sur-Seine. Elle épouse dans les années 1930 Georges Dudach, militant communiste. Elle est engagée par Louis Jouvet comme secrétaire. Elle est passionnée par le théâtre, la philosophie, l'écriture. Pendant la guerre, elle et son mari appartiennent au groupe de résistants de Maï et Georges Politzer, Hélène et Jacques Solomon. Ils seront arrêtés. Les hommes seront fusillés, les femmes, avec 227 autres, seront envoyées -seul convoi de politiques dans ce cas- à Auschwitz le 24 janvier 1943.
La trilogie "Auschwitz et après" "raconte" (le terme ne convient pas) la déportation : Auschwitz-Birkenau, Auschwitz-Raisko, Ravensbrück, retour à Paris, vie des "revenantes" après les camps.
"Aucun de nous ne reviendra" est le premier tome de la trilogie. Charlotte Delbo l'a rédigé en 1946, immédiatement (enfin, dès qu'elle en fut capable, après environ 3-4 mois de prostration) après le retour de la déportation. Puis-ainsi l'avait-elle décidé- elle a attendu 20 ans avant de chercher à l'éditer. 20 ans pour voir si c'était de la littérature, si ça tenait le choc. Ca tient le choc.
"Aucun de nous ne reviendra" est un vers d'Apollinaire qui a hanté Charlotte Delbo pendant toute sa captivité. Les survivantes devaient témoigner, elles se l'étaient juré.
Pas de récit chronologique, des flashs, comme si le temps s'était aboli. Charlotte Delbo cherche un langage pour l'inconcevable, l'inimaginable. Elle ne croit pas à l'incommunicable "-Vous n'avez pas les mots ? -Trouvez-les ! "a-t-elle dit dans une interview. Des moments, donc, dans un espace glacé, en deçà de l'espace et du temps humains. La plaine et les marais d'Auschwitz comme une vision des Enfers grecs. Une lumière d'avant la lumière, un soleil qui ne chauffe pas, et des ombres, des squelettes aux yeux morts. Charlotte Delbo alterne vers et textes en prose, mais le langage me semble profondément poétique. C'est à dire qu'il ne cherche en aucun cas à nous distraire, mais à entrer dans le tissu de notre esprit, à s'y mêler pour nous faire voir ce que nous n'avions jamais vu. L'appel du matin et l'appel du soir. Quatre heures dans la glace de trois heures de la nuit à l'aube. Même chose au retour des marais. Avant, les femmes sortent les mortes de la nuit. le soir, elles les ramènent des marais. Celles qui se sont effondrées, ont été battues à mort...Elles n'ont qu'une chemise sur le dos par -20°. La soif, pas la soif de "j'ai soif", même après un marathon, la soif qui dure des semaines, qui rend folle, aveugle, sourde, qui fait tellement gonfler la langue qu'on ne peut plus fermer la bouche, qu'on ne peut plus manger-même la soupe infâme- parce qu'il y a du sel et qu'on n'a plus de salive, et les yeux brûlants sans larmes pour fermer les paupières. L'impossibilité de s'évader ne serait-ce qu'une seconde de cet enfer par l'imaginaire. Les nuits ne sont que des cauchemars, les jours des enfers. La mort omniprésente, traumatisante, d'une effroyable laideur : des corps abandonnés pendant des jours, des camions qui partent "aux crématoires" avec des corps dont certains bougent encore, des malades du typhus recouvertes de poux, qu'on ne reconnaît plus qu'à leurs yeux, des os qui percent les chairs, et l'odeur persistante de la chair brûlée, toujours, tous les jours...Ainsi que la question obsédante : pourquoi moi, ai-je survécu, suis-je revenue ? Je n'avais pas plus de force que les autres...Pourquoi moi, et pas Viva, par exemple, l'amie si proche de Charlotte, qui l'a soutenue quand elle a failli mourir, et qui est morte du typhus en juillet 1943 ? et l'on rencontre, par bribes, les extraordinaires compagnes de Charlotte : Viva, Lucienne, Carmen, Mado, Poupette, Mounette, Mariette, Yvonne Blech, Yvonne Picard, Gilberte...Toutes des résistantes, qui forment un groupe compact et solidaire, ce qui explique leur taux extraordinaire de survie (une cinquantaine sur 230), dans un enfer où l'espérance de vie était de 20 jours...Elles se donnent le bras, se dissimulent les unes les autres, et se parlent, se parlent, tout le temps.
Du 27 janvier 1943 à juillet, elles restèrent dans le camp de Birkenau, puis, par une extraordinaire et inexpliquée décision de l'administration -sans doute parce qu'elles étaient des politiques, les survivantes qui n'étaient pas au "revier" (infirmerie-mouroir), furent transférées à un commando de Raisko, toujours sur le site d'Auschwitz, mais un commando plus "protégé", sans appel, à l'intérieur, avec un dortoir, des lavabos etc...Mais cela n'est pas le sujet d'"Aucun de nous ne reviendra", c'est le sujet, entre autres, du deuxième tome "Une connaissance inutile", écrit dans les années 1960.
"Aucun de nous ne reviendra" est le tableau peint à chaud d'un espace infernal peuplé de démons, sans aucune espérance ni aucune issue. Il me frappe plus que tout ce que j'ai lu, non comme témoignage, mais par le génie de son écriture spectrale et son effort performatif pour impliquer le lecteur. Il faut le lire, il fut connaître Charlotte Delbo. Faites passer le message !

Commenter  J’apprécie          9719
Il faut noter ce livre... mais comment ? Est-ce donc important ? La note maximale. Il la vaut bien. Cinq petites étoiles jaunes pour ce livre-là... Quelle dérision !

Des phrases saccadées, épurées, des mots froids, répétitifs, lancinants. On a froid en lisant le témoignage de Charlotte Delbo. On a froid, on se sent nus, dépouillés.
Du noir, du gris, du blanc. Le blanc de la neige. La neige froide. Le gris du brouillard. Le brouillard de la chanson de Ferrat. Le noir et blanc des documentaires d'archives dont les images terrifiantes défilent dans ma tête.

"Ils attendent le pire - ils n'attendent pas l'inconcevable"
Je suis mal. Oppressée. J'ai beau "savoir", cela m'anéantit toujours autant. Comment des pères, des mères, des fils, des filles, ont-ils pu faire ça à d'autres pères, mères, fils, filles... Comment ?
Certains prétendent que tout est une question de contexte, que nous sommes tous manipulables. Non, je ne crois pas, non. Je ne suis rien, ni plus ni moins maligne ou courageuse que les autres, je n'ai pas la fibre d'un héros... mais j'ai l'absolue certitude qu'aucun orateur, qu'aucun manipulateur, qu'aucun dictateur, ne pourra me persuader de franchir certaines limites. Cela va au-delà de ma volonté, c'est juste que je ne peux pas. Il y aura toujours en moi cette part d'humanité qui me retiendra d'accepter l'inacceptable. D'accepter d'être une pourriture à la botte d'une autre.

Quand, de nos jours, je lis ou j'entends de prétentieux imbéciles se donner de l'importance en traitant de nazis des personnes, simplement parce qu'elles ont une opinion différente de la leur... me vient comme une envie de les gifler.
Cessez de braire, bande d'ânes et lisez. Lisez ! Lisez... Peut-être vous viendra t-il une étincelle d'intelligence pour mesurer votre indécence et une once de compassion, de respect, pour ces milliers d'hommes, de femmes, d'enfants qui ont un jour croisé le regard sadique de ces monstres et sont tombés sous les crocs de leurs chiens.
Lisez et vous n'oserez plus revendiquer le droit à la liberté d'expression pour proférer vos insultes.
Le nazisme est tout sauf un droit.
Le nazisme est tout sauf la liberté.
Le nazisme, s'il est une expression, n'est que celle de l'enfer et de la mort.
Lisez ! Lisez avec humilité. Ouvrez votre esprit et votre coeur. Mais, de grâce, n'utilisez plus cette insulte pour faire taire vos contradicteurs... c'est aussi déplacé qu'odieux.
Commenter  J’apprécie          849
C'est à la suite d'un échange sur Babelio au sujet de Primo Levi que je découvre Charlotte Delbo (Merci Doriane).
Il n'est pas dans mes intentions de comparer ces deux ouvrages, ils racontent chacun avec une tonalité différente l'holocauste et la Shoa.
Charlotte Delbo nous parle de l'enfer des camps du point de vue des femmes dans un style riche en métaphores, j'ai ressenti une distanciation dans sa façon d'évoquer ses souvenirs, distance qui lui a été apparemment nécessaire pour ne pas sombrer dans la folie et renoncer. le récit alterne tantôt les scènes brutales et insoutenables et tantôt des descriptions métaphoriques proches d'un cauchemar éveillé.
J'ai trouvé le style très suggestif, comme une succession de tableaux que l'auteure commente avec un recul certain, une distance, je n'ai pas de mot plus précis, elle semble vouloir nous montrer quelque chose qu'elle ne veut pas voir. J'ai eu l'impression de lire un poème parfois, c'est déroutant.
Je ne comparerai pas ces deux livres, mais je peux comparer mes ressentis, j'ai été plus ému et durablement marqué par Primo Levi dont la sensibilité m'a ébranlé, sa conscience de la perte d'humanité notamment.
Cela dit le récit et le témoignage de Charlotte Delbo valent d'être lus, huit semaines d'un calvaire effroyable, chaque voix a sa propre note pour exprimer une même souffrance.
Commenter  J’apprécie          7915
C'est un témoignage de sensations. Pas un témoignage de faits.
Mais c'est tout aussi fort, aussi prenant, tout aussi horrible et insupportable comme tous les témoignages qui relatent les souvenirs des camps.
Tout en pudeur, à la limite de la poésie parfois, Charlotte Delbo partage ses pots, partage ses émotions.
Merci Mme Delbo. Pour ne jamais oublier ! Car il ne faut pas que cette partie de l'Histoire tombe dans l'oubli !!
Commenter  J’apprécie          730
Certes tu es revenue Charlotte, mais comment vivre après cela ? Comment sourire, comment aimer alors que des fantômes remplis de larmes, de supplications et de cris devaient hanter tes nuits ?
Comment à ton retour ne pas vouloir sortir de leur lit tous ces délateurs qui dormaient benoîtement. Serais-tu une sainte ?
Ton livre devrait être dans chaque cartable de nos lycéens et malheur à celui qui voudrait quitter la salle de cours en guise de protestation.
Il est grand temps d'opérer tous ces membres atteints de gangrène, au risque de voir un jour ton livre dans un brasier.
Commenter  J’apprécie          614


critiques presse (1)
LeMonde
20 mai 2013
Vous n'apprendrez pas grand-chose du cauchemar des camps que vous ne saviez déjà. Vous les visiterez dans leur vie dépouillée, charnelle, follement triste et sentimentale, vous retrouverez les disparues, en compagnie fidèle d'un écrivain qui témoigne que les pires forces de destruction ne viennent jamais à bout de la beauté des mots.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (95) Voir plus Ajouter une citation
Nous marchions. Nous interrogions le paysage. Un lac gelé couleur d'acier. Un paysage qui ne répond pas.
La route s'écarte du lac. Le mur de vent et de neige se déplace de côté. C'est là qu'apparaît la maison. Nous marchons moins durement. Nous allons vers une maison.
Elle est au bord de la route. En briques rouges. La cheminée fume. Qui peut habiter cette maison perdue ? Elle se rapproche. On voit des rideaux blancs. Des rideaux de mousseline. Nous disons "mousseline" avec du doux dans la bouche. Et, devant les rideaux, dans l'entre-deux des doubles fenêtres, il y a une tulipe.
Les yeux brillent comme à une apparition. "Vous avez vu ? Vous avez vu ? Une tulipe." Tous les regards se portent sur la fleur. Ici, dans le désert de glace et de neige, une tulipe. Rose entre deux feuilles pâles. Nous la regardons. Nous oublions la grêle qui cingle. La colonne ralentit. "Weiter", crie le SS. Nos têtes sont encore tournées vers la maison que nous l'avons depuis longtemps dépassée.
Tout le jour nous rêvons à la tulipe. La neige fondue tombait, collait au dos notre veste trempée et raidie. La journée était longue, aussi longue que toutes les journées. Au fond du fossé que nous creusions, la tulipe fleurissait dans sa corolle délicate.
Au retour, bien avant d'arriver à la maison du lac, nos yeux la guettaient. Elle était là, sur le fond des rideaux blancs. Coupe rose entre les feuilles pâles. Et pendant l'appel, à des camarades qui n'étaient pas avec nous, nous disions : "Nous avons vu une tulipe."
Nous ne sommes plus retournées à ce fossé. D'autres ont dû l'achever. Le matin, au croisement d'où partait la route du lac, nous avions un moment d'espoir.
Quand nous avons appris que c'était la maison du SS qui commandait la pêcherie, nous avons haï notre souvenir et cette tendresse qu'ils n'avaient pas encore séchée en nous.
Commenter  J’apprécie          321
Nous marchions. Nous interrogions le paysage. Un lac gelé couleur d'acier. Un paysage qui ne répond pas.
La route s'écarte du lac. Le mur de vent et de neige se déplace de côté. C'est là qu'apparait la maison. Nous marchons moins durement. Nous allons vers une maison.
Elle est au bord de la route. En briques rouges. La cheminée fume. Qui peut habiter cette maison perdue ? Elle se rapproche. On voit des rideaux blancs. Des rideaux de mousseline. Nous disons "mousseline" avec du doux dans la bouche. Et, devant les rideaux, dans l'entredeux des doubles fenêtres, il y a une tulipe.
Les yeux brillent comme à une apparition. "Vous avez vu ? Vous avez vu ? Une tulipe."
Tous les regards se portent sur la fleur. Ici, dans le désert de glace et de neige, une tulipe. Rose entre deux feuilles pâles. Nous la regardons. Nous oublions la grêle qui cingle. La colonne ralentit. "Weiter", crie le SS. Nos têtes sont encore tournées vers la maison que nous l'avons depuis longtemps dépassée.
Tout le jour nous rêvons de la tulipe. La neige fondue tombait, collait au dos notre veste trempée et raidie. La journée était longue, aussi longue que toutes les journées. Au fond du fossé que nous creusions, la tulipe fleurissait dans sa corolle délicate.
Au retour, bien avant d'arriver à la maison du lac, nos yeux la guettaient. Elle était là, sur le fond des rideaux blancs. Coupe rose entre les feuilles pâles. Et pendant l'appel, à des camarades qui n'étaient pas avec nous, nous disions : "Nous avons vu une tulipe."
Nous ne sommes plus retournées à ce fossé. D'autres on dû l'achever. Le matin, au croisement d'où partait la route du lac, nous avions un moment d'espoir.
Quand nous avons appris que c'était la maison du SS qui commandait la pêcherie, nous avons haï notre souvenir et cette tendresse qu'ils n'avaient pas encore séchée en nous.

Pp. 96-97
Commenter  J’apprécie          100
C’est à cette gare qu’ils arrivent, qu’ils viennent de n’importe où.
Ils y arrivent après des jours et après des nuits
ayant traversé des pays entiers
ils y arrivent avec les enfants même les petits qui ne devraient pas être du voyage.
Ils ont emporté les enfants parce qu’on ne se sépare pas des enfants pour ce voyage-là.
Ceux qui en avaient ont emporté de l’or parce qu’ils croyaient que l’or pouvait être utile.
Tous ont emporté ce qu’ils avaient de plus cher parce qu’il ne faut pas laisser ce qui est cher quand on part au loin.
Tous ont emporté leur vie, c’était surtout sa vie qu’il fallait prendre avec soi.
Et quand ils arrivent
ils croient qu’ils sont arrivés en enfer
possible. Pourtant ils n’y croyaient pas.
Ils ignoraient qu’on prît le train pour l’enfer mais puisqu’ils y sont ils s’arment et se sentent prêts à l’affronter
avec les enfants les femmes les vieux parents
avec les souvenirs de famille et les papiers de famille.
Ils ne savent pas qu’à cette gare-là on n’arrive pas.
Ils attendent le pire – ils n’attendent pas l’inconcevable.
Et quand on leur crie de se ranger par cinq, hommes d’un côté, femmes et enfants de l’autre, dans une langue qu’ils ne comprennent pas, ils comprennent aux coups de bâton et se rangent par cinq puisqu’ils s’attendent à tout.
Les mères gardent les enfants contre elles – elles tremblaient qu’ils leur fussent enlevés – parce que les enfants ont faim et soif et sont chiffonnés de l’insomnie à travers tant de pays. Enfin on arrive, elles vont pouvoir s’occuper d’eux.
Et quand on leur crie de laisser les paquets, les édredons et les souvenirs sur le quai, ils les laissent parce qu’ils doivent s’attendre à tout et ne veulent s’étonner de rien. Ils disent « on verra bien », ils ont déjà tant vu et ils sont fatigués du voyage.
La gare n’est pas une gare. C’est la fin d’un rail. Ils regardent et ils sont éprouvés par la désolation autour d’eux.
Le matin la brume leur cache les marais.
Le soir les réflecteurs éclairent les barbelés blancs dans une netteté de photographie astrale. Ils croient que c’est là qu’on les mène et ils sont effrayés.
Commenter  J’apprécie          70
LA NUIT
Les pieuvres nous étreignaient de leurs muscles visqueux et nous ne dégagions un bras que pour être étranglées par un tentacule qui s’enroulait autour du cou, serrait les vertèbres, les serrait à les craquer, les vertèbres, la trachée, l’œsophage, le larynx, le pharynx et tous ces conduits qu’il y a dans le cou, les serrait à les briser. Il fallait libérer la gorge et, pour se délivrer de l’étranglement, céder les bras, les jambes, la taille aux tentacules prenants, envahissants qui se multipliaient sans fin, surgissaient de partout, tant innombrables qu’on était tenté d’abandonner la lutte et cette exténuante vigilance. Les tentacules se déroulaient, déroulaient leur menace. La menace restait un long moment suspendue et nous étions là, hypnotisées, incapables de risquer une esquive en face de la bête qui s’abattait, s’entortillait, collait, broyait. Nous étions près de succomber quand nous avions soudain l’impression de nous éveiller. Ce ne sont pas des pieuvres, c’est la boue. Nous nageons dans la boue, une boue visqueuse avec les tentacules inépuisables de ses vagues. C’est une mer de boue dans laquelle nous devons nager, nager à force, nager à épuisement et nous essouffler à garder la tête au-dessus des tourbillons de fange.
Commenter  J’apprécie          70
« Il y a des gens qui arrivent et des gens qui partent. Mais il est une gare où ceux-là qui arrivent sont justement ceux-là qui partent. Une gare où ceux qui arrivent ne sont jamais arrivés, où ceux qui sont partis ne sont jamais revenus. (...) Ils ne savent pas qu’à cette gare-là on n’arrive pas. Ils attendent le pire - ils n’attendent pas l’inconcevable ».
Commenter  J’apprécie          250

Videos de Charlotte Delbo (20) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Charlotte Delbo
Charlotte Delbo : Spectres, mes compagnons - Lettre à Louis Jouvet (France Culture / Théâtre et Cie). Texte présenté par Geneviève Brisac. Réalisation : Marguerite Gateau, avec des archives INA. En partenariat avec l’association “Les Amis de Charlotte Delbo”. http://www.charlottedelbo.org/. Conseillère littéraire : Céline Geoffroy. Enregistré au Festival d’Avignon le 18 Juillet 2013. Diffusion sur France Culture le 2 octobre 2016. Texte lu par Emmanuelle Riva. Photographie : Charlotte Delbo, via le site internet de “L'association des amis de Charlotte” • Crédits : @copyright Schwab. « Charlotte Delbo fut l’assistante de Louis Jouvet au Théâtre de l’Athénée avant d’entrer dans la Résistance. Elle est arrêtée avec son mari Georges Dudach le 2 mars 1942. Le 23 avril 1945, après vingt-sept mois de captivité dans les camps d’Auschwitz-Birkenau et de Ravensbrück, elle fut libérée par la Croix-Rouge et internée en Suède. Elle n’avait pas encore trente-deux ans. Des deux cent trente prisonnières de son convoi, elles n’étaient plus que quarante-neuf. Et Charlotte Delbo se préparait à consacrer le restant de ses jours à trouver les mots justes, à écrire des livres et des pièces de théâtre pour faire vivre la mémoire et les mots de ses amies assassinées, et de son mari fusillé. La première chose qu’elle fit, le 17 mai 1945, ce fut d’écrire une lettre. On peut imaginer dans quel état de faiblesse elle se trouvait. C’était une lettre à Louis Jouvet, qui disait : « Je reviens pour entendre votre voix. » Il y eut d’autres lettres, jusqu’à cette dernière qu’Emmanuelle Riva lira, une lettre non envoyée, non terminée, non reçue, interrompue par la mort de Louis Jouvet, en 1951. Une lettre comme un testament politique et littéraire, où le courage, la peur, le rêve et la pitié pèsent leur juste poids. » Geneviève Brisac Cette lecture de « Spectres, mes compagnons » est agrémentée d'extraits de la Radioscopie consacrée à Charlotte Delbo, produit par Jacques Chancel et diffusée le 2 avril 1974. Remerciements à Claude-Alice Peyrottes, présidente d'honneur de “L'association des amis de Charlotte”. Source : France Culture
+ Lire la suite
autres livres classés : témoignageVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus


Lecteurs (1122) Voir plus



Quiz Voir plus

Quelle guerre ?

Autant en emporte le vent, de Margaret Mitchell

la guerre hispano américaine
la guerre d'indépendance américaine
la guerre de sécession
la guerre des pâtissiers

12 questions
3178 lecteurs ont répondu
Thèmes : guerre , histoire militaire , histoireCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..