Impossible. Malgré le recul, malgré l'envie. Toutes mes tentatives d'analyser
Les rois d'ailleurs sont vaines. Il y a un je-ne-sais-quoi qui se dérobe au raisonnement, la sensation d'un roman atypique qui échappe à toutes les classifications, un récit qui brasse autant une poésie contemporaine que des figures lointaines, un vertige du temps qui convoque aussi bien des fantômes du passé que des personnages ancrés dans le réel derrière ces marins de cargo, pêcheurs de côte ou voyageurs épris de liberté.
Si on devait résumer l'oeuvre, on pourrait se contenter de dire qu'il s'agit d'un roman dans lequel des voyageurs un peu rêveurs embarquent pour des ports lointains, afin de recueillir la vie d'ailleurs et ce qui anime les marins d'autres rivages via des enregistrements ou des lettres à destination d'un bar de Dunkerque. le Bart t'abat, où ont échoué d'anciens marins et tous ceux qui ont gardé la mer en eux, collecte tous les récits de matelots anonymes ou non, réels ou fictifs.
Et pourtant ce roman est autre chose. Entre légendes et souvenirs de marins, il héberge des vies qui le dépassent, des hommes animés d'un idéal aussi grand que l'océan, fuir la déliquescence ambiante, tenter de capter la profondeur du monde, difficile à déterminer. Quoi qu'il en soit, les histoires vécues ou collectées de Valparaiso à Mourmansk, de Zanzibar à Manille, produisent un effet presque magique : en cristallisant les instants de beauté fugitifs comme les douloureux moments de désespoir, elles ont le pouvoir d'exalter les expériences de vie, au moins le temps d'un verre au Bart t'abat.
C'est peut être là l'essentiel.
Car rien n'est évident dans ce roman qui laisse le sentiment de naviguer entre deux réalités, de faire escale sur des rivages infinis avec l'étrange sensation que des choses nous échappent. On ne sent aucune détermination ni dans l'existence des personnages ni dans la trame littéraire, le récit se présente sous la forme d'une suite d'histoires éclatées qui finissent par s'entremêler, comme si le roman échappait à son auteur. L'écriture emprunte d'une suavité grave et lointaine ou d'une poésie intense donne à ce livre une atmosphère déconcertante : les voix deviennent entêtantes, les personnages d'histoires des dieux incarnés… ou des rois d'ailleurs.
Aujourd'hui encore je suis incapable de dire si j'ai aimé le roman. Une seconde lecture le déterminera peut-être. Mais je suis convaincue que
Les rois d'ailleurs fait partie de ces romans qui vous hantent longtemps, comme si les personnages étaient des reliques d'un monde disparu.