Tristan Corbière:
Petit mort pour rire
Va vite, léger peigneur de comètes!
Les herbes au vent seront tes cheveux;
De ton oeil béant jailliront les feux
Follets, prisonniers dans les pauvres têtes...
Les fleurs de tombeau qu'on nomme Amourettes
Foisonneront plein ton rire terreux...
Et les myosotis, ces fleurs d'oubliettes...
Ne fais pas le lourd : cercueils de poètes
Pour les croque-morts sont de simples jeux,
Boîtes à violon qui sonnent le creux...
Ils te croiront mort - Les bourgeois sont bêtes -
Va vite, léger peigneur de comètes!
Jules Laforgue:
Dimanches
HAMLET : Have you a daughter ?
POLONIUS : I have, my lord.
HAMLET : Let her not walk i’ the sun ;
conception is a blessing ; but not as
your daughter may conceive.
Le ciel pleut sans but, sans que rien l’émeuve,
Il pleut, il pleut, bergère ! sur le fleuve...
Le fleuve a son repos dominical ;
Pas un chaland, en amont, en aval.
Les Vêpres carillonnent sur la ville,
Les berges sont désertes, sans idylles.
Passe un pensionnat (ô pauvres chairs !)
Plusieurs ont déjà leurs manchons d’hiver.
Une qui n’a ni manchon, ni fourrures
Fait, tout en gris, une pauvre figure.
Et la voilà qui s’échappe des rangs,
Et court ! ô mon Dieu, qu’est-ce qu’il lui prend ?
Et elle va se jeter dans le fleuve.
Pas un batelier, pas un chien Terr’ Neuve.
Le crépuscule vient ; le petit port
Allume ses feux. (Ah ! connu, l’ décor !).
La pluie continue à mouiller le fleuve,
Le ciel pleut sans but, sans que rien l’émeuve.
("Des fleurs de bonne volonté")
L'Extase
La nuit était venue, la lune émergeait de l'horizon,
étalant sur le pavé bleu du ciel sa robe couleur soufre.
J'étais assis près de ma bien-aimée, oh! bien près !
Je serrais ses mains, j'aspirais la tiède senteur de son
cou, le souffle enivrant de sa bouche, je me serrais
contre son épaule, j'avais envie de pleurer ; l'extase
me tenait palpitant, éperdu, mon âme volait à tire d'aile
sur la mer de l'infini.
Tout à coup elle se leva, dégagea sa main, disparut
dans la charmoie, et j'entendis comme un crépitement
de pluie dans la feuillée.
Le rêve délicieux s'évanouit ... ; je retombais sur la
terre, sur l'ignoble terre. O mon Dieu ! c'était donc
vrai, elle, la divine aimée, elle était, comme les autres,
l'esclave de vulgaires besoins.
(Le Drageoir à Epices - Joris-Karl Huysmans)
Il est d'étranges soirs ....
(...........................................)
Il est de mornes jours, où las de connaître
Le coeur, vieux de mille ans, s'assied sur son butin,
Où le plus cher passé semble un décor déteint,
Où s'agite un minable et vague cabotin.
Il est de mornes jours las du poids de connaître,
Et, ces jours là, je vais courbé comme un ancêtre.
Il est des nuits de doute, où l'angoisse vous tord,
Où l'âme, au bout de la spirale descendue,
Pâle et sur l'infini terrible suspendue,
Seul le vent de l'abîme, et recule éperdue !
Il est des nuits de doute, où l'angoisse vous tord.
Et, ces nuits là, je suis dans l'ombre comme un mort.
(Albert Samain)
AME EN SERRE
Je vois des songes dans mes yeux ;
Et mon âme enclose sous verre,
Eclairant sa mobile serre,
Affleure les vitrages bleus.
O les serres de l'âme tiède,
Les lys contre les verre clos,
Les roseaux éclos sous leurs eaux,
Et tous mes désirs sans remède !
Je voudrais atteindre, à travers
L'oubli de mes pupilles closes,
Les ombrelles autrefois roses
De tous mes songes entr'ouverts ...
J'attends pour voir leurs feuilles mortes
Reverdir un peu dans mes yeux ;
J'attends que la lune aux doigts bleus
Entr'ouvre en silence les portes.
(Maurice Maeterlinck)
POÉSIE 19e – La Poésie symboliste existe-t-elle ? (France Culture, 1971)
L’émission « La Tribune des critiques », par Pierre Barbier, diffusée le 29 juin 1971 sur France Culture. Invités : Bernard Delvaille, auteur d’une anthologie sur la poésie symboliste publiée chez Seghers en 1971, et Pierre Barbier, Bernard Delvaille, Hubert Juin, Luc Estang, Stanislas Fumet.