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Critique de cedratier
« EN CE LIEU ENCHANTE » Rene Denfeld (Fleuve éditions 200 pages)
Angoissant et magnifique, voici un exceptionnel premier roman d'une journaliste américaine « spécialisée dans la peine de mort » comme dit sa biographie ; c'est un choc, un coup de poing dans l'estomac. Ce lieu enchanté, c'est une prison aux USA, sans doute « banale », avec ses trois mille prisonniers coupés du monde et son couloir de la mort. C'est une plongée affolante dans un lieu où même le temps n'existe plus, puisque rien de ce que la vie ordinaire offre à chacun d'entre nous pour le rythmer n'est accessible aux détenus.
Le narrateur est un de ces condamnés à l'ultime, narrateur d'autant plus omniscient qu'il est muet, ne sort jamais de sa dernière cellule, mais sait tout sur tout le monde, alors qu'on ne découvre son identité qu'aux dernières pages du roman. C'est lui qui suit les pas de « la dame », une enquêtrice spécialisée chargée de trouver la faille dans le dossier judiciaire de York pour en faire annuler la sentence ; York dont l'exécution est proche mais qui lui a décidé de mourir, envers et contre tous les efforts de sa visiteuse. « La dame » enquête, dans et hors de la prison, elle se focalise sur son « dossier », puisque c'est son « travail », sans toutefois fermer les yeux à ce qui l'entoure. Elle rencontre la tante du condamné et de vieux témoins de son enfance brisée, elle se lie d'amitié et s'éprend peu à peu d'un prêtre déchu pétri de culpabilité qui officie dans la prison.
C'est aussi ce narrateur-condamné qui dévoile les petits et grands trafics, les pires des corruptions et des crimes insoutenables qui broient les plus faibles, les morts qui s'enchainent dans l'indifférence la plus absolue, jusqu'au rituel inouï du crématoire qui efface toute trace.
La question de la peine de mort est évidemment au coeur du livre, mais on pourrait presque dire que ce n'est pas l'essentiel, d'autant que cette question est ici déployée hors de tout véritable plaidoyer. C'est un roman sur les confins de l'humanité, celle des monstres qui y sont enfermés pour des délits innommables, celle de la société et des pires rouages qu'elle met en place pour en briser les auteurs, quitte à ce que l'univers carcéral qu'elle a inventé reproduise les actes ignobles qu'elle condamne.
Rene Denfeld évite tout manichéisme. Ainsi le directeur de la prison, partisan de la peine de mort, est-il présenté comme un type d'une humanité certaine, dépassé par ce qu'il vit sur le plan personnel, et par ce qu'il ne contrôle pas de l'établissement carcéral qu'il est censé diriger. Ainsi des abolitionnistes dont l'auteur ne fait pas vraiment des héros. de même « la dame » est-elle prise de doutes, hésitante, à la fois forte et sensible, travaillée elle aussi par les démons de son enfance. le talent exceptionnel de Rene Denfeld tient au fait qu'elle parvient à tricoter son récit dans un langage poétique, oui poétique, avec ici ou là ses bouffées d'air pur. Elle donne à son affaire une couleur très particulière, entre le cru de ce qu'elle montre, et l'humanité qu'elle parvient à débusquer jusque dans les recoins les plus extravagants de ce monde qui, qu'on le veuille ou non, fait partie du nôtre, et donc nous concerne.
Les scènes sont parfois terribles, mais l'auteur évite tout sensationnalisme gore ou voyeuriste. « En ce lieu enchanté » a la solidité d'un reportage parfaitement documenté et le souffle épique du romanesque. La construction en est certes un peu complexe, je me suis parfois un peu perdu dans l'articulation entre la dimension onirique ou fantasmagorique du récit et le déroulé de l'histoire avec ses descriptions criantes, hurlantes d'atroce vérité ; mais il est très difficile de se « libérer » de ce livre, même la dernière page refermée, tant il est prenant.
A lire, absolument.
Angoissant et magnifique, voici un exceptionnel premier roman d'une journaliste américaine « spécialisée dans la peine de mort » comme dit sa biographie ; c'est un choc, un coup de poing dans l'estomac. Ce lieu enchanté, c'est une prison aux USA, sans doute « banale », avec ses trois mille prisonniers coupés du monde et son couloir de la mort. C'est une plongée affolante dans un lieu où même le temps n'existe plus, puisque rien de ce que la vie ordinaire offre à chacun d'entre nous pour le rythmer n'est accessible aux détenus.
Le narrateur est un de ces condamnés à l'ultime, narrateur d'autant plus omniscient qu'il est muet, ne sort jamais de sa dernière cellule, mais sait tout sur tout le monde, alors qu'on ne découvre son identité qu'aux dernières pages du roman. C'est lui qui suit les pas de « la dame », une enquêtrice spécialisée chargée de trouver la faille dans le dossier judiciaire de York pour en faire annuler la sentence ; York dont l'exécution est proche mais qui lui a décidé de mourir, envers et contre tous les efforts de sa visiteuse. « La dame » enquête, dans et hors de la prison, elle se focalise sur son « dossier », puisque c'est son « travail », sans toutefois fermer les yeux à ce qui l'entoure. Elle rencontre la tante du condamné et de vieux témoins de son enfance brisée, elle se lie d'amitié et s'éprend peu à peu d'un prêtre déchu pétri de culpabilité qui officie dans la prison.
C'est aussi ce narrateur-condamné qui dévoile les petits et grands trafics, les pires des corruptions et des crimes insoutenables qui broient les plus faibles, les morts qui s'enchainent dans l'indifférence la plus absolue, jusqu'au rituel inouï du crématoire qui efface toute trace.
La question de la peine de mort est évidemment au coeur du livre, mais on pourrait presque dire que ce n'est pas l'essentiel, d'autant que cette question est ici déployée hors de tout véritable plaidoyer. C'est un roman sur les confins de l'humanité, celle des monstres qui y sont enfermés pour des délits innommables, celle de la société et des pires rouages qu'elle met en place pour en briser les auteurs, quitte à ce que l'univers carcéral qu'elle a inventé reproduise les actes ignobles qu'elle condamne.
Rene Denfeld évite tout manichéisme. Ainsi le directeur de la prison, partisan de la peine de mort, est-il présenté comme un type d'une humanité certaine, dépassé par ce qu'il vit sur le plan personnel, et par ce qu'il ne contrôle pas de l'établissement carcéral qu'il est censé diriger. Ainsi des abolitionnistes dont l'auteur ne fait pas vraiment des héros. de même « la dame » est-elle prise de doutes, hésitante, à la fois forte et sensible, travaillée elle aussi par les démons de son enfance. le talent exceptionnel de Rene Denfeld tient au fait qu'elle parvient à tricoter son récit dans un langage poétique, oui poétique, avec ici ou là ses bouffées d'air pur. Elle donne à son affaire une couleur très particulière, entre le cru de ce qu'elle montre, et l'humanité qu'elle parvient à débusquer jusque dans les recoins les plus extravagants de ce monde qui, qu'on le veuille ou non, fait partie du nôtre, et donc nous concerne.
Les scènes sont parfois terribles, mais l'auteur évite tout sensationnalisme gore ou voyeuriste. « En ce lieu enchanté » a la solidité d'un reportage parfaitement documenté et le souffle épique du romanesque. La construction en est certes un peu complexe, je me suis parfois un peu perdu dans l'articulation entre la dimension onirique ou fantasmagorique du récit et le déroulé de l'histoire avec ses descriptions criantes, hurlantes d'atroce vérité ; mais il est très difficile de se « libérer » de ce livre, même la dernière page refermée, tant il est prenant.
A lire, absolument.
