Je ne veux jamais l'oublier /
Michel Déon/Académie française
La romance que va vivre Patrice Belmont commence à Venise dans les années 50, en villégiature chez sa tante la Marquise Mercédès Bongiovanni, veuve du marquis éponyme, une femme un peu snob ex maîtresse prétendue du poète italien
D Annunzio. Il parcourt passionnément les musées et les églises. Amoureux de la peinture, il découvre un monde qu'il connaît mal. Esprit mystique, il commence à douter de son incroyance face aux profonds mystères qui l'entourent.
Depuis un mois il est à Venise, et il découvre une tante certes marquise, mais quelque peu agaçante ce qui ne l'empêche d'éprouver une réelle affection pour elle teintée de pitié.
Patrice fait la connaissance d'Olivia lors d'une soirée chez sa tante mais malgré une tentative de séduction, la demoiselle qu'il a raccompagnée ne l'invite pas à entrer chez elle. Il n'insiste pas quoiqu'il soit tombé follement amoureux. Forcer le destin n'est pas dans ses habitudes. Déçu, il se dirige vers le casino et s'installe à une table. Il remarque alors une jeune femme qui joue gros et perd tout autant. Soudain elle se lève et sort de la salle. Voulant la rejoindre, Patrice la découvre alors sur le point de se jeter dans le vide et la saisit juste avant la chute fatale. Il constate qu'elle saigne abondamment du bras…
Après avoir fait le nécessaire, Patrice fait plus ample connaissance avec Vanda…
La suite se passe sur les rives du lac de Garde dans les Alpes italiennes : Patrice aime errer libre de toute contrainte, rêver comme il le désire, se baigner et vivre au soleil de ce bel été. Faisant une halte dans un bar des bords du lac, il est tout émoustillé par la beauté charnelle de la serveuse et ne peut se retenir de la contempler avec saisissement et concupiscence. « La lumière irisait les contours de sa robe légère et transparente, tandis que se silhouettait l'ombre d'un corps rond et plein avec de belles hanches et des cuisses jointes. Elle s'accroupit pour caresser le chat ; un genou plus haut que l'autre relevait le bas de la robe, découvrant la cuisse un peu grasse, d'une belle chair blanche et jeune, à peine veinée. À la hauteur de la gorge, la robe baillait sur deux seins déjà mûrs dont on apercevait les fleurs brunes. Pour Patrice, de tous ces gestes simples, irradiait une sensualité qui l'emplissait d'un émoi indéfinissable… Ce corps si jeune restait offert, à peine protégé par le tissu léger de la robe. Si Patrice n'avait pas été doué d‘inspiration, il aurait porté la main vers le corsage et caressé les deux colombes…Mais déjà il retenait son plaisir au bord de l'abime et s'en laissait enivrer. À aucun prix, il ne fallait rompre l'enchantement. »
L'arrivée à Florence en compagnie de sa tante est un moment que Patrice veut décisif lors qu'il reverra Olivia qu'il doit rencontrer en cette belle ville d'art. La marquise tente de dissuader Patrice de se lier à Olivia qui selon elle n'est pas faite pour lui. Elle préfère lui présenter quelque jolie femme de sa connaissance. Mais Patrice ne veut rien entendre. À ce moment du voyage on ressent comme une voile de mystère autour de la personne de Olivia qui tente elle aussi de dissuader Patrice de lui faire une cour assidue. Ensemble et parfois aussi avec la marquise ils visitent Florence et l'auteur nous fait découvrir les joyaux de cette ville mythique. La visite de la Capponcina à Settignano où
D Annunzio se retira longtemps en toute simplicité avec ses cinq chevaux, ses dix lévriers, ses domestiques et sa maîtresse, est un moment fort de la promenade dans Florence qui s'inscrit ainsi dans une légende et un paysage qui la portent à travers les siècles, image même de cette Italie dont Patrice ne comprenait qu'après l'avoir quittée combien elle importait à l'exercice de l'intelligence et de la sensibilité.
Puis le moment de quitter avec sa voiture l'Italie pour Genève est venu pour Patrice qui sait que sa tante lui a appris le goût du baroque italien et la curiosité d'une existence absolument frivole. La marquise resterait à jamais inséparable des souvenirs du voyage italien à travers la sensibilité, l'art et l'amour.
À Genève, Patrice retrouve Vanda avec qui il passe des heures d'ivresse au cours desquelles il fait l'amour en pensant à Olivia comme s'il était sous l'effet de stupéfiant.
de retour à Paris, Patrice vend sa voiture doit songer à gagner sa vie après tant d'années de dilettantisme, d'études bâclées et de plaisir. Il est embauché par un certain Lebreuil pour des tâches très confidentielles dans les affaires. Missions à Londres et ailleurs se succèdent ainsi que le papillonnage de maîtresse en maîtresse.
Mais Olivia a donné rendez-vous à Patrice à Bellagio sur les rives du lac de Côme pour passer des soirées de fête. Aveuglé par son amour et son cynisme, Patrice ne voit guère la frivolité et la superficialité d'Olivia, enfant gâtée et capricieuse aimant l'argent…
Tout au long de ce beau roman on peut admirer le style suggestif et fluide de
Michel Déon le hussard pour relater les moeurs d'une société bien différente de celle d'aujourd'hui. Dans ces années 50, on dansait encore la rumba et le fox-trot, les jeunes filles ne se mettaient pas au lit et n'ouvraient pas leurs cuisses dès qu'on leur disait bonjour un peu poliment. Elles jouaient un jeu cruel et complexe où l'art de la séduction devait être poussé jusqu'à ses derniers retranchements. L'Italie n'était pas encore envahie par des hordes de touristes : c'était encore celle vue par
Stendhal. Une certaine douceur de vivre régnait juste après la guerre. Ce roman mêlant libertinage et passion possède un coté socio-historique indéniable.
Quant au titre de cette romance très romanesque, il est extrait d'un poème d'
Apollinaire.