Une archéologie de l’intime
Extrait 2/3
J’écris comme on fait des fouilles,
[…]
Car les secrets, souvent sournois et inavouables, ont besoin de
lumière, c’est-à-dire de pensée, de langage, de voix, pour ne pas
s’envenimer. Car c’est là, au cœur même de l’intimité, dans le
plus noir des brouillards, que se fomentent les pires catastrophes.
Car c’est là que ça se démène, ça lutte, ça pleure, ça crie, ça se
donne bonne conscience, ça court à sa perte. Car il faut tenter,
toujours tenter — aujourd’hui plus qu’hier peut-être — de désen-
combrer le monde, la mémoire et les mots ; de chercher des éclair-
cies, en contrepoint à la marche sombre des corps. Car il faut écrire.
Car il faut lire et entendre. Jusque-là.
…
Une archéologie de l’intime
Extrait 1/3
J’écris comme on fait des fouilles, en archéologue de l’intime,
tâtonnant dans l’ombre touffue d’une mémoire, la mienne, si
semblable à tant d’autres, tiraillée entre détresse et utopie.
Sous de multiples couches de protection : l’obscurité d’un monde
à déminer, à nettoyer, puis à disséquer.
…
LA DERNIÈRE RIVIÈRE
extrait 3
la scène s’étend
nous occupons mur et sol
droite couchée, droite debout
monochromie
amoureuse des nageurs
jeunes, si jeunes
sur la tapisserie d’angle
cinq bassins d’eau, cinq plaques de granit
Stations de Bill Viola
maladroitement nos corps plongent
comme s’ils tombaient
et replongent
en désespoir de cause
jusqu’au bout leur installation de silence
puisqu’au final tout meurt
devant
la vie déjà se souvient
une île et l’univers
nulle part l’éternité […]
LA DERNIÈRE RIVIÈRE
extrait 2
la rivière coule ― linceul déjà
enveloppe mobile
même sans avenir
cette chambre n’est pas encore verte
malgré son authentique indifférence
est-ce encore nous, toi
l’inconnu au bout de mes doigts
de l’autre côté
si peu
ici, autrefois, tout de suite
c’est sans mesure
entre rivière et chambre
du fond vers la surface
je nous ramène
et recense les pièces de l’étreinte
…
LA DERNIÈRE RIVIÈRE
extrait 1
je reconnais la rivière
à gauche, elle coule
sur un rectangle de vitres
au simple toucher
la bague d’une autre à ton annulaire
l’acharnement de ton os de ta joue
tout près, ailleurs
on ne discerne plus ni qui ni quoi
entre et sort
dans ce jour maigre
tandis qu’un jet de rayons touche
tes derniers draps
…
La poétesse Denise Desautels | Place des Artistes.
La poétesse Denise Desautels a été témoin privilégiée des mythiques Nuits de la poésie de 1980 et 1991 et elle participe à son grand retour dans le cadre de Nuit blanche à Montréal en 2024! ✨
Elle nous parle poésie québécoise et nous explique pourquoi les Nuits de la poésie sont devenues des événements phares de la littérature d'ici.