Le cycle de torrents, tome 2 : Jan Yvarsen

A son côté, une très jeune fille, vraie enfant de la nature, joues rebondies, fraîches et roses, et dans ce minois, d’étranges yeux aux prunelles fixes… « Elle est aveugle ! » me souffle ma voisine. Et mon cœur se brise. Pourtant, l’enfant n’avait que sourires, remerciait poliment quand on la servait. Éternellement enveloppée de nuit, et sourire !

Quel peuple sut mieux tirer avantage des possibilités que présente son pays ? L’imagination reste en déroute quand on voit ces digues, ces remorqueurs, ces dragues et ces grues, et cette écluse d’Ijmuiden qui est la plus formidable du globe. D’une mer asséchée, la Hollande sut tirer une province ! De tels prodiges ne justifient-ils pas leur orgueil ?…

Elle pensait à cette minute où elle avait découvert le manuscrit du plus passionné, du plus poignant des romans d’amour ! Pages brûlantes qui l’avaient tenue en haleine pendant toute la traversée, alors qu’elle fuyait un foyer détruit par une rafale sanglante à laquelle elle avait échappé par miracle ! Brisée de chagrin et de tristesse, elle avait trouvé un dérivatif bienfaisant dans cette lecture qui lui dévoilait d’autres destinées malheureuses, et son âme encline à l’exaltation, s’était éprise du héros de ce drame…

C’est précisément en hiver que l’on devrait visiter les pays du Nord. On peut redouter le froid peut-être, mais aujourd’hui, les hôtels, les trains et bateaux renferment un si grand confort pour l’agrément des touristes, que les plus douillets peuvent affronter ces croisières. Aucun ne reviendra déçu, car la splendeur des jours d’hiver n’est pas moins ensorcelante que la clarté polaire des nuits d’été. Mais l’hiver, une véritable féerie joue sur toutes choses…

Tu m’as traitée comme une fille et mon orgueil l’a oublié, mon pauvre orgueil est resté accroché, un peu partout, où j’ai mené mon être errant et sans repos, en quête de la seule atmosphère pour moi respirable, la tienne. Ne crois-tu pas que tu exagères en refusant de m’entendre ? Te sens-tu si infaillible pour te permettre de rester intraitable ? En tant que médecin, ne devrais-tu pas, plus que tout autre, comprendre les misérables faiblesses humaines ?