Attention, ce billet se lit en rebrousse-mode. le dernier paragraphe, puis le précédent, etc.
Car malgré le temps parti à rebours, le livre se lit dans l'ordre normal. Dick a eu pitié.
Evidemment il ne faut pas se poser trop de questions
par exemple, pourquoi ceux qui meurent dans le roman ne ressuscitent-ils pas immédiatement, pourquoi la viande dévictualisée ne se transforme-t-elle pas en animal ?. Il faut se laisser porter et voir où ça nous mène.
Je l'ai donc lu avec un certain plaisir, malgré des passages juridico-religieux un peu longuets et un agacement croissant en voyant Seb agir (ou pas). L'absence de véritable chute m'a déçu aussi.
Les rôles féminins sont intéressants : ça va de la fille un peu bête mais désirable qu'il faut protéger à la directrice de la Bibliothèque dont le sang froid me fait penser à Susan Calvin (les Robots d'
Asimov).
Les personnages principaux font assez anti-héros, surtout Seb qui se laisse manipuler par tout le monde, promet d'agir dans le sens de quelqu'un pour changer d'avis immédiatement, semble complètement perdu quand sa femme qu'il adore couche avec un flic mais couche avec une nana super séduisante (et manipulatrice en diable) juste après. Plutôt pathétique, le gars.
Son histoire est – étonnamment oserais-je dire – bien construite et d'un seul tenant. Ça ne part pas dans tous les sens (je m'attends toujours à ça).
Les conflits raciaux aux USA de l'époque (livre écrit en 1967), surtout les émeutes de Watts de 1965, ont un énorme rôle dans la géopolitique du roman.
Philip K. Dick joue avec cette idée. Comme d'habitude son univers est rempli d'autres thèmes de SF en fond d'écran : une troisième Guerre Mondiale qui ne semble pas avoir changé quoi que ce soit, des colonies sur Mars et vénus, des robots, du matos technologique de pointe (chapeau pour l'imagination de l'auteur). Ça décore mais ça ne trouble pas la trame du récit.
Qui était ce Peake ? Un fanatique religieux ou un nouveau Ghandi ? Et pourquoi veut-on son corps vieux renouveau-né ? Est-il une menace ? Gêne-t-il ?
Mais voilà que la petite société de Seb Hermès – ancien mort – déterre quelqu'un d'important : le fondateur de la religion de l'Unification Divine, ou Udit, Thomas Peake. Et plusieurs groupes sont prêts à tout pour s'en emparer : le Vatican, les Udit eux-mêmes, et les Oblits de la Bibliothèque qui semblent être là pour « accompagner » l'inversion de la flèche du temps en faisant disparaître les connaissances.
Déterrer les ressuscités qui se manifestent dans les cimetières (tiens, on ne cause pas des incinérés) est devenu un business lucratif, car celui qui le réalise acquiert une sorte de droit sur l'ancien mort, et peut le revendre.
L'élément central est que tous les êtres vivants (les humains en tout cas) sont devenus des Benjamin Button. Ils rajeunissent au lieu de vieillir jusqu'à devoir trouver un ventre où « mourir ». Et bien sûr, les morts renaissent.
Mais il ne va pas au bout de son application – le livre serait illisible s'il fallait inverser tout le texte, par exemple –, il se contente de phénomènes qui frappent l'imagination : on « fume » un mégot qui se reconstitue en cigarette ; on « dévictualise » au lieu de manger – c'est-à-dire qu'on rejette par la bouche des aliments qui se reconstituent en plats cuisinés (du coup on avale ce qu'on nomme du sogum, et je ne veux pas savoir de quoi il s'agit) ; on insulte en traitant de « mangeaille ».
C'est carrément l'entropie, la deuxième loi de la thermodynamique, qui part en sens contraire. Dick appelle ça l'effet Hobart.
Une fois de plus l'imagination fertile de
Philip K. Dick s'exprime. Il développe une idée qui peut paraître farfelue au premier abord : et si le monde voyait la flèche du temps s'inverser ?
Il fallait bien que je trouve quelque chose d'original pour parler de ce roman. J'aurais pu écrire en mode Yoda, mais j'ai pas la patience.