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EAN : 9782290033852
315 pages
Editions 84 (08/02/2012)
3.26/5   19 notes
Résumé :
Bruce est un jeune commercial plein d'avenir. Au volant de sa Mercury flambant neuve, il arpente les Etats de l'Ouest à la recherche des meilleures affaires pour le compte de ses employeurs. Mais un jour, sa tournée l'amène dans la bourgade anonyme qui l'a vu grandir et qu'il pensait avoir laissée derrière lui pour toujours. Un lieu où passé et présent s'entremêlent, adoptant tour à tour les visages de Susan, celle qui fut son institutrice et deviendra sa femme, ou ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Il semble que, par pure feignasserie intellectuelle, "on" sous-estime encore gravement aujourd'hui, disons "ici et là", la valeur artistique intrinsèque de la douzaine de romans "généralistes" et "réalistes", autrement dit non "s-f", de Philip K. DICK (1928-1982), tous écrits dans les années cinquante jusqu'en 1960...

Un seul aura été publié de son vivant (tardivement : en 1975) : "Confessions of a Crap artist" / "Portrait de l'artiste en jeune fou" [... connement, putassièrement et — là encore — paresseusement re-titré en "Confessions d'un barjo" [!!!] par les franchouilles, mais passons...].

Tous les autres l'auront été à titre posthume.

- (1°) "The Earthshaker" (["Le monde ébranlé"]) : écrit de 1948 à 1950, manuscrit inédit...

- (2°) "Gather Yourselves Together" (["Entraidez-vous"]) / "Ô nation sans pudeur" : écrit en 1949-1950, publié pour la 1ère fois en 1994.

- (3°) "Mary and the Giant" (["Mary et le géant"]) / "Pacific Park" : écrit de 1953 à 1955, publié pour la 1ère fois en 1987.

- (4°) "A Time for George Stavros" (["Au tour de Georges Stavros"]) : écrit vers 1955, manuscrit perdu...

- (5°) "Pilgrim on the Hill" (["Le Pélerin sur la colline"]) : écrit en 1956, manuscrit perdu...

- (6°) "Nicholas and the Higs" (["Nicholas et les Higs"]) : écrit en 1957, remanié en 1958, manuscrit perdu...

- (7°) "Voices from the Street" / ("Les Voix de la rue"]) /"Les Voix de l'asphalte" : écrit vers 1952-53, publié pour la 1ère fois en 2007.

- (8°) "The Broken Bubble" / "La Bulle cassée" : écrit en 1956, publié pour la 1ère fois en 1988.

- (9°) "Puttering about a Small Land" (["Une petite vie tranquille dans un petit coin tranquille")] / "Mon royaume pour un mouchoir" / "Bricoler dans un mouchoir de poche" : écrit en 1957, publié pour la 1ère fois en 1985.

- (10°) "In Milton Lumky Territory" / "Aux Pays de Milton Lumky" / "Sur le territoire de Milton Lumky" : écrit en 1958, remanié l'année suivante, publié pour la 1ère fois en 1985.

- (11°) "Confessions of a Crap artist" / "Portrait de l'artiste en jeune fou" : écrit en 1959, publié pour la 1ère fois en 1975.

- (12°) "The man Whose Teeth Were All Exactly Alike" / "L'Homme dont les dents étaient toutes exactement semblables" : écrit en 1960, publié pour la 1ère fois en 1984.

- (13°) "Humpty Dumpty in Oakland" / "Humpty Dumpty à Oakland" : commencé vers 1953, terminé en 1960, publié pour la 1ère fois en 1987.

Tiens, prenons... "In Milton Lumky Territory" "Sur le territoire de Milton Lumky" / "Aux Pays de Milton Lumky" : écrit en 1958, peaufiné l'année suivante puis ayant rejoint la pile des manuscrits refusés chez son auteur...

Imaginons le désespoir de notre encore juvénile "Crap artist" [textuellement : "artiste de merde"], confronté à ces retours incessants d'épais manuscrits, déjà coincé entre "ses" nouvelles de s-f. "payant" si faiblement (75 dollars l'unité, du moins pour sa première, "Beyond Lies the Wub" / "L'Heure du wub" en 1952) qu'il produira bientôt frénétiquement et ses désormais familières boîtes de métamphétamine & autres joyeusetés "speed" (disponibles "sur ordonnance" dans tous les bons drugstores) pour bien tenir la cadence infernale mais nourricière... puisqu'il venait de quitter son paternaliste employeur Hollis, et qu'il fallait manger !

Comme dans ses fascinants romans de "s-f", Philip K. Dick ne triche jamais : il met toute son coeur à créer pour nous le "décor" puis y faire évoluer ses personnages, lentement, comme dans l'aquarium géant d'un bar perdu au milieu du désert : tel ce Bruce ("Skip" car ex-rouquin) Stevens qui a grandi dans le bled perdu de Montario dans l'Idaho [Signalons ici que seule la bourgade d' "Ontario" existe pour-de-vrai : "ville du comté de Malheur en Oregon [...] située en bordure de la rivière Snake, à la frontière de l'Idaho"] ; gamin, il venait zyeuter les "pulps" —"Tip Top Comics" et autres King Comics" — avec ses copains de l'école, squattant le drugstore du vieux Hagopian sans évidemment jamais rien acheter, avant de se faire virer... Il pense d'ailleurs que "le vieux lui en veut" toujours quand il repasse dans sa bourgade natale au volant de sa Mercury qu'on imagine rutilante (sans doute semblable à la "Christine" [1983], cette Plymouth Fury du film de John CARPENTER, adapté du roman de Stephen KING) après avoir décroché un job de prospecteur pour chaines de magasins discount à Reno, toujours navigant entre Boise et Reno où il crèche enfin indépendamment de ses darons, en se baladant avec en poche une boîte de préservatifs de marque "Troyens", achetée au drugstore Hagopian (dûment enveloppée dans un exemplaire du magazine "Time")...

Luxe de détails, comme dans la prose de Marcel PROUST dans "A la recherche du temps perdu" [1906-1922] : chaque "pixel" de réalité s'avère touchant et juste.

Nommons là notre ressenti : "grand art du récit".

On y découvre encore le goût inattendu de Dick pour le bric-à-brac foisonnant et poétique des magasins de détails, pouvoir d'évocation digne des pages prolixes de "La Peau de Chagrin" [1831] d'Honoré de BALZAC, des odeurs régnant dans "Les Boutiques de Cannelle" et dans "La rue des Crocodiles" [1933] du regretté Bruno SCHULZ ou encore du fameux Bazar de Vouziers de ce merveilleux André DHÔTEL dans "Un Jour viendra" [1970].

Le sens du paysage et la musique des noms de lieux qui fascinaient dans l' "On the Road" [1957] de l'ami Jack KEROUAC... ou dans chacun des plans élargis ou des frémissements de la guitare de Ry Cooder dans le "Paris, Texas" [1984] de Wim WENDERS... Soit toute l'Amérique bouseuse du "Chuck's Cafe" du désert californien de "Duel" [1971] de Steven SPIELBERG et Richard MATHESON...

C'est qu'on s'attache immédiatement à chaque point focal du récit, interagissant immédiatement avec tous les autres. On s'intéresse donc simultanément aux lieux, aux gens, au vent, aux carrosseries de voitures, aux intérieurs, aux ambiances, à l'odeur de la peau de sa bien-aimée au petit matin, aux insectes qui constellent le pare-brise, aux animaux écrasés sur la route...

Comme cette "Peg" qui accueille ce revenant de Bruce "Skip" chez elle : décrite avec un luxe de détails vestimentaires, habillée comme les filles du génial "Walk the Line" [2005] de James MANGOLD, du temps de la splendeur sixties de Johnny Cash et Jerry Lee Lewis, ou la petite femme de Tony Lipp dans le fascinant "Green Book. Sur les routes du Sud" [2018] de Peter FARRELLY...

Puis la belle Susan Faine, son invitée d'un soir : cet oiseau de passage, mystérieuse trentenaire "qui arrive du Mexique où elle vient de divorcer", déjà deux mariages derrière elle... Elle se révèle l'ancienne institutrice de [l'équivalent de notre] CM2 de Bruce "Skip", immédiatement attiré par elle...

Enfin, l'homme énigmatique qu'est ce Milton Lumky, homme "d'âge mûr" (38 ans), voyageur de commerce, sorte de raté et frustré magnifique se révélant lui aussi amoureux de Susan... "Milt" parcourt donc SON territoire ("In Milton Lumky Territory") pour écouler ses ramettes de papier dans sa Mercedes désuète mais impeccable aux sièges cuir...

Et l'on repense à cet excellent film de NARUSE Mikio : "Une femme dans la tourmente" (乱れる, "Midareru"), film prophétique de 1964 (interprété par Takamine Hideko et Kazama Yûzô) annonçant l'arrivée tonitruante des supermarchés dans un quartier populaire de grande Cité (Tokyo ?) : invasion capitalistique massive qui finira par tuer tout un petit commerce se révélant très vite désemparé, "dépassé" avec son univers passéiste resté "à ras d'humains", s'accrochant à ses vieux jeux de rôles devenus soudain dérisoires...

Histoire d'un échec flamboyant, patiemment et âprement construit... Tout à fait l'esprit grandiose du chef d'oeuvre de John HUSTON [1948] "The Treasure of the Sierra Madre"... mais ne puis vous en dire beaucoup plus !

Comme ce couple aurait dû se méfier de batifoler "sur les terres de Milt" : ce si vaste territoire que ce jeune-vieux frustré de Milton Lumky, supposé "brave" VRP de la paperasserie, parcourt depuis toujours en sa vénérable "Oldsmobile/Mercedes" de cartoon... et voici Bruce et Susan piétinant allègrement et impunément ses plates bandes ! Ce Territoire-là n'inclurait-il pas cette femme de 34 ans vivant à Boise (Idaho) et qu'il convoite depuis toujours ?

Et je constate qu'on fait la fine bouche [comme lire ci-dessous : "Globalement, l'ambiance est un peu glauque, le rythme est assez lent et les personnages manquent cruellement de personnalité." (!!!) Tu parles, Charles...], qu'on ignore (par formatage de cervelles-toujours-pressées) ce type de productions intellectuelles et sensorielles restées sagement à la marge, toujours invisibles, "grands crus" d'entre Rocky Mountains et California ayant déjà pourtant leurs soixante années d'âge, en robe pourpre & goûtue...

Revenons, par exemple, à cette entière page que "Le Monde des Livres" consacre ces jours-ci au "Pas dormir", le nouveau "roman" d'une agrégée de Lettres nommée Marie Darrieussecq... Voilà un ouvrage centré sur le brillant sujet des troubles du sommeil d'une Auteure auxquels se mêle la découverte de la très consécutive (méchante et imprévue) perte de contrôle de sa (charmante) consommation d'alcool : passionnantes et complaisantes tribulations de son nombril, évidemment détaillées quasi-heure par heure (pour le voyeurisme du lecteur ?) jusqu'à la nausée... Et tout ce foin pour éviter d'aller ENFIN consulter un bon addictologue et nous f...tre ENFIN une paix des plus royales ! Avoir vidé de sa délicate substance l'étrange nouvelle "La Truie" (1970) de Thomas OWEN pour la recycler et la délayer en vulgaires "Truismes" n'aura donc pas suffi... :-)

Et allez, la pauvre Marie (contre le Géant Dick) en prend pour son grade et paye pour tous les autres !!! Bref, je fais un exemple, mais j'aurais pu vous en trouver 100.000 autres... L'oeil du cyclone de cette mauvaise humeur ? Nous râlons furieusement de nous apercevoir que depuis sa première traduction en 1992 (coll. 10/18) puis sa réédition en 2012 aux éditions J'ai Lu, "In Milton Lumky Territory" n'a eu droit (sous ses deux titres français successifs) qu'à TROIS critiques ici (Notre soi-disant Territoire des Super-Z-intellos) : exténuant constat et énervante anomalie à corriger d'urgence, selon nous !!!

APPEL à court-circuiter (un peu ou intégralement) la prose narcissique de tous ces blaireaux/blairottes (évidemment soutenue à bout de bras par des critiques & médias aux conflits d'intérêts voyants comme l'Everest par temps clair) pour aller explorer toutes les galeries du Terrier aux Merveilles de l'humble Philip K. DICK "qui y croyait", lui : même s'il n'est pas un chef d'oeuvre, ce roman-là est un monde heureusement VIVANT merveilleusement authentique, altruiste et enchanteur... Et comme on dit : "Ne boudons pas notre plaisir" (clicheton, mais bon !).

Bref, découvrons très vite ce passionnant et incroyable "Sur le territoire de Milton Lumky", encore tout frais de ses soixante-deux années de maturation et accessible à nous du haut de son prix dérisoire de... 6,20 € !

[NOTE ultime : le même roman était paru en France en 1992 sous le titre "Aux pays de Milton Lumky" : on peut aussi le chercher à ce titre... et y retrouver notamment la critique si documentée et, à vrai dire, fabuleuse de notre ami SZRAMOWO du 24 septembre 2015 sur cet ouvrage réellement indispensable à notre connaissance de l'Oeuvre "dickienne" ET cet excellent roman tout court...]
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Phliip K Dick connu pour ses ouvrages de science-fiction, mais , ici, pas d'androïdes ni de moutons électroniques, simplement les déboires d'une sorte de VRP dont le rêve est de créer un petit commerce. L'ambiance est plutôt bien rendue mais le scénario est un peu fade...
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critiques presse (1)
SciFiUniverse
14 mars 2012
Globalement, l'ambiance est un peu glauque, le rythme est assez lent et les personnages manquent cruellement de personnalité.
Lire la critique sur le site : SciFiUniverse
Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
— Et les parents d'élèves, alors ? Ce sont eux qui terrorisent les professeurs. Ils en font renvoyer tous les jours — un seul parent en colère dans le bureau du directeur a davantage de poids que tous les syndicats d'enseignants du monde. Tu sais pourquoi j'ai quitté l'enseignement ? » Elle s'arrêta de marcher pour rajuster son chemisier. « On m'a demandé ma démission. Je n'avais pas le choix. A cause de mes opinions politiques. C'était en 1948. Pendant les élections. J'avais adhéré au Parti progressiste, je militais beaucoup pour Henry Wallace. C'est quand la question du renouvellement de mon contrat s'est posée qu'ils m'ont mise au courant. Bien sûr, je leur ai demandé des explications. » Et ils me les ont données. Je n'ai donc pas fait d'histoires. C'était ma faute. Et plus tard, j'ai signé cette maudite pétition pour l'Appel de la paix de Stockholm. C'est Walt qui m'y a poussée. Lui aussi était très actif au sein du Parti progressiste. Bien sûr c'est du passé tout ça.
— Je n'en ai jamais rien su, dit-il.
— Des parents se sont plaints que j'enseignais ce qu'ils appelaient le "mondialisme" en classe. J'avais des documents des Nations unies. Et quand ils ont mené leur enquête, ils ont découvert que j'étais inscrite au IPP [1]. Et voilà ! C'est comme si je parlais d'une autre époque, celle de Hoover [2] et du WPA [3] . J'en ai souffert quelque temps mais c'est du passé à présent. Je suppose que je pourrais me remettre à enseigner. Peut-être pas en Idaho, mais dans un autre Etat, comme la Californie. Ils ont tellement besoin de professeurs de nos jours. C'est tout le système scolaire qu'ils ont détruit avec leurs chasses aux sorcières... Ils ont rendu les enseignants si timides, ce n'est pas étonnant qu'on n'enseigne plus rien. Un professeur qui osait ouvrir sa bouche sur l'éducation sexuelle, la contraception ou la bombe atomique se faisait renvoyer.
____________________________________________________________
[1] "International People Party". Parti populaire international, d'obédience trotskiste.
[2] Herbert Clark Hoover, président des Etats-Unis de 1928 à 1932.
[3] "Work Projects Administration". Administration des Grands Travaux, fondée par le Président Roosevelt pour lutter contre les effets de la crise économique de 1929.

[Philip K. DICK, "In Milton Lumky Territory" / "Aux pays de Milton Lumky" / "Sur le territoire de Milton Lumky", années d'écriture du roman : 1958 et 1959, publication posthume, The Estate of Philip K. Dick, 1985 — traduit de l'américain par Isabelle Delord-Philippe pour les éditions Christian Bourgois, coll. 10/18 (Paris), 1992, traduction revue par Sébastien Guillot pour les éditions J'ai Lu (Paris), 2012 — Chapitre 7, pages 128-129]
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« Dire que je suis né dans une bâtisse aussi délabrée », se dit-il en poussant la grille.
Un chien se mit à hurler dans l'arrière-cour. Bruce aperçut une lumière jaunâtre derrière les stores des fenêtres du séjour, d'où braillait la télévision. Devant le garage en ruine se trouvait la même carcasse rouillée inutile d'une Dodge 1930 ; Bruce s'était souvent amusé dedans dans son enfance.
« J'habitais ici quand j'allais à l'école primaire Garret A. Hobart. »
Les fenêtres de la cave étaient couvertes de toiles d'araignée ; l'un des carreaux présentait une fissure qui avait été bouchée au moyen d'un chiffon. Son père ne dormait donc plus en bas, maintenant que lui et Franck avaient quitté la maison. Il devait avoir pris une de leurs anciennes chambres à l'étage.
Jadis, son père dormait le jour, se levait à 22 heures et soulevait la trappe pour faire une brève apparition, le temps de se raser et de manger quelque chose , avant de partir à son travail. Dans la journée, il se reposait sous leurs pieds, sous le plancher. En compagnie des bocaux d'abricots, des vieux meubles et des rouleaux de fil électrique.
Le matin, de retour à la maison, son père tapait ses vêtements pour en faire tomber la poussière blanche dont il était recouvert ; dans son emploi à la Boulangerie Blanche-Neige, il restait constamment enfoui dans la farine jusqu'aux coudes. Ensuite dans la cave, il se plongeait dans une autre poussière blanche : celle du plâtre, due à son éternel bricolage de nouvelles cloisons. Il avait l'intention d'aménager plusieurs pièces dans la cave, d'installer un appartement indépendant, avec W.-C. et cabinet de toilette, qu'il pourrait louer. La guerre avait mis un terme à son approvisionnement en matériaux. Dehors, le long de l'allée, des rouleaux de fil barbelé et des tas de panneaux de contreplaqué rouillaient et pourrissaient sous les fientes d'oiseaux. Des sacs de ciment s'humidifiaient et se désagrégeaient, hérissés par endroits de maigres herbes. Avant d'aller se coucher vers 14 heures, son père sciait du bois dans la cave, remplissant ses poumons de sciure. Consciencieusement, il inhalait poussière de bois, de farine, de plâtre, plus, en été, le pollen des champs.

[Philip K. DICK, "In Milton Lumky Territory" / "Aux pays de Milton Lumky" / "Sur le territoire de Milton Lumky", années d'écriture du roman : 1958 et 1959, publication posthume, The Estate of Philip K. Dick, 1985 — traduit de l'américain par Isabelle Delord-Philippe pour les éditions Christian Bourgois, coll. 10/18 (Paris), 1992, traduction revue par Sébastien Guillot pour les éditions J'ai Lu (Paris), 2012 — Chapitre 8, pages 157-158]
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Il connaissait bien les petits commerçants. Ils avaient eu la même réaction lorsque les premiers supermarchés avaient ouvert juste après la Deuxième Guerre mondiale. Et à certains égards, leur animosité l'enchantait. Elle prouvait que les gens commençaient bel et bien à se fournir dans les magasins discount ou, du moins, à connaître leur existence.
« C'est l'avenir, se répétait-il une fois encore. Dans dix ans, personne ne s'amusera plus à acheter des lames de rasoir un jour, et du savon le lendemain ; tout le monde fera ses courses une fois par semaine dans un endroit où on peut trouver de tout, depuis les disques jusqu'aux voitures. »

[Philip K. DICK, "In Milton Lumky Territory" / "Aux pays de Milton Lumky" / "Sur le territoire de Milton Lumky", années d'écriture du roman : 1958 et 1959, publication posthume, The Estate of Philip K. Dick, 1985 — traduit de l'américain par Isabelle Delord-Philippe pour les éditions Christian Bourgois-10/18 (Paris), coll. "Domaine étranger", 1992 ; traduction revue par Sébastien Guillot pour les éditions J'ai Lu (Paris), 2012 — Chapitre I, page 15]
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Toute sa vie, on lui avait glissé à l'oreille que son frère Frank était plus brillant que lui.
Et à l'évidence, pensait-il, c'était vrai. « Il suffit de voir où en est Frank . Et où moi j'en suis. »
Mais Bruce avait beau s'y efforcer, il ne parvenait pas à se sentir découragé. « J'aime ça, se disait-il. J'en tire un grand plaisir... Ça me plait vraiment. Il y a là une certaine satisfaction, une forme d'ordre, une unité. » Qu'une figure de sa vie passée parvienne à le ramener ainsi en arrière lui donnait le sentiment que toutes ces années n'avaient pas servi à rien, en fin de compte. A l'époque, il avait bel et bien été dans l'incapacité de s'aider lui-même. Il se contentait d'imiter les autres. Il jouait aux billes après l'école ; lui aussi. Le samedi, ils faisaient la queue pour le film réservé aux enfants au Palais du cinéma Louxor ; lui aussi, même si le film était minable. Ces années répétitives, vaines, avaient été si ennuyeuses que, maintes fois, il avait senti le désespoir s'emparer de lui. Qu'est-ce que tout cela signifiait ? Qu'est-ce qu'il en avait tiré ? Rien, apparemment.

[Philip K. DICK, "In Milton Lumky Territory" / "Aux pays de Milton Lumky" / "Sur le territoire de Milton Lumky", années d'écriture du roman : 1958 et 1959, publication posthume, The Estate of Philip K. Dick, 1985 — traduit de l'américain par Isabelle Delord-Philippe pour les éditions Christian Bourgois, coll. 10/18 (Paris), 1992, traduction revue par Sébastien Guillot pour les éditions J'ai Lu (Paris), 2012 — Chapitre 4, pages 72-73]
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Environ une heure plus tard, ils rentraient à Pocatello. Un enterrement leur bloqua alors le passage ; phares allumés, des voitures défilaient avec arrogance sous leur nez les unes après les autres, protégées par des agents de police arborant uniformes et casques rutilants. Milt observa tout d'abord la scène en silence derrière son volant, puis il se mit à injurier les véhicules. «Regarde-les, dit-il en s'interrompant. Ça doit être le maire. » Les voitures , luxueuses et flambant neuves pour la plupart, s'engageaient dans ce qui ressemblait à un parc public mais qui était sans doute le salon mortuaire le plus chic de la ville. « Cette maudite rosse puante de maire de Pocatello... » Il éleva la voix. « Regarde-moi les casques vernis de ces flics ! On se croirait en Allemagne nazie. » Baissant sa vitre, il cria d'une voix forte, en pleine rue : « Espèces de sales SS, et qui se pavanent avec ça ! »
Les forces de l'ordre ne lui prêtèrent aucune attention. Le dernier véhicule de la procession funéraire passa enfin devant eux ; les policiers jouèrent de leur sifflet et la circulation repartit.

[Philip K. DICK, "In Milton Lumky Territory" / "Aux pays de Milton Lumky" / "Sur le territoire de Milton Lumky", années d'écriture du roman : 1958 et 1959, publication posthume, The Estate of Philip K. Dick, 1985 — traduit de l'américain par Isabelle Delord-Philippe pour les éditions Christian Bourgois, coll. 10/18 (Paris), 1992, traduction revue par Sébastien Guillot pour les éditions J'ai Lu (Paris), 2012 — Chapitre 11, page 210]
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Avec : Serge Lehman, Olivier Paquet, Hervé de la Haye, Guilhem Modération : Caroline de Benedetti
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