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Gianluigi Goggi (Éditeur scientifique)Georges Dulac (Auteur de la postface, du colophon, etc.)
EAN : 9782705669270
223 pages
Hermann (18/02/2011)
5/5   2 notes
Résumé :
S'il est une clé qui donne accès au coeur même des idées politiques de Diderot, si mal connues encore, c'est bien l'ensemble des seize petits textes écrits par le philosophe en 1772 et aussitôt diffusés sous le titre de Fragments politiques échappés du portefeuille d'un philosophe.
Les thèmes de ces «fragments» sont très divers, et même disparates : le fondement de la morale, le caractère de l'homme sauvage, l'homosexualité (le «goût antiphysique») des indigè... >Voir plus
Que lire après Pensées détachées ou Fragments politiques échappés du portefeuille d'un philosopheVoir plus
Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
Les uns rient quand les autres pleurent ; mais la véritable notion de la propriété entraînant le droit d’us et d’abus, jamais un homme ne peut être la propriété d’un souverain, un enfant la propriété d’un père, une femme la propriété d’un mari, un domestique la propriété d’un maître, un nègre la propriété d’un colon. Il ne peut donc y avoir d’esclave, pas même par le droit de conquête, encore moins par celui de vente et d’achat. Les Grecs ont donc été des bêtes féroces contre lesquelles leurs esclaves ont pu en toute justice se révolter. Les Romains ont donc été des bêtes féroces dont leurs esclaves ont pu s’affranchir par toutes sortes de voies, sans qu’il y en ait eu aucune d’illégitime. Les seigneurs féodaux ont donc été des bêtes féroces dignes d’être assommées par leurs vassaux. Voilà donc le vrai principe qui brise les portes de tout asile civil ou religieux où l’homme est réduit à la condition de la servitude ; il n’y a ni pacte ni serment qui tiennent. Jamais un homme n’a pu permettre par un pacte ou par un serment à un autre homme, quel qu’il soit, d’user et d’abuser de lui. S’il a consenti ce pacte ou fait ce serment, c’est dans un accès d’ignorance ou de folie, et il en est relevé au moment où il se connaît, au revenir à sa raison. Comme toutes les vérités s’enchaînent ! La nature de l’homme et la notion de la propriété concourent à l’affranchir, et la liberté conduit l’individu et la société au plus grand bonheur qu’ils puissent désirer. Je dis la liberté, qu’il, ne faut non plus confondre avec la licence que la police d’un État avec son administration. La police obvie à la licence ; l’administration assure la liberté [5]

1/ Ces pensées ne sont point dans les œuvres de Diderot. (Note des éditeurs du Supplément à la Correspondance de Grimm ; morceaux retranchés par la censure impériale.) — Elles auraient dû être placées dans les Miscellanea philosophiques : nous réparons un oubli en les reproduisant ici.
2/ Il paraît que l’auteur serait tenté de prononcer contre l’homme civilisé ; mais en appliquant le principe établi dans ce fragment aux faits, il sera obligé de changer d’avis. À tout prendre, l’homme en société, l’homme policé vit plus nombreux et plus longtemps que l’homme sauvage. (Note de Grimm.)
3/ Fait conséquent au raisonnement, mais contraire à l’expérience. C’est le bon ou le mauvais gouvernement qui décide de la force ou de la faiblesse de l’esprit patriotique. (Note de Grimm.)
4/ Lorsque l’auteur aura appris aux peuples comment on empêche un mauvais roi de faire le mal, ils ne lui demanderont pas, peut-être, comment on empêche les bons rois de faire le bien, quoique ce secret soit trouvé dans quelques pays. (Note de Grimm.)
5/ La plupart des raisonnements politiques seraient d’une prodigieuse utilité s’il était reçu que le fort s’y conformera sans difficulté, du moment qu’il en aura compris l’enchaînement. Malheureusement cela ne se passe pas tout à fait ainsi. Le despote, s’il a de l’esprit, laisse bavarder le philosophe ; et s’il aime l’éloquence, il trouve son bavardage beau ; mais s’il est sot, il vexe et châtie de mille manières le philosophe, qui s’est fait avocat des peuples sans son aveu. Mais quelque tournure que prenne le despote à l’égard de l’avocat, la loi éternelle s’exécute toujours, et elle veut que le faible soit la proie du fort. Or, la faiblesse est l’apanage des peuples par le défaut de concert dans les volontés et dans les mesures. L’homme résolu, entreprenant, ferme, actif, adroit, subjugue la multitude aussi sûrement, aussi nécessairement qu’un poids de cinquante livres entraîne un poids de cinquante onces. S’il ne réussit pas, c’est qu’il a rencontré dans le parti de l’opposition un homme de sa trempe, qui entraîne la multitude de son coté ; alors les résultats sont conformes à la complication des contre-poids qui agissent et réagissent les uns sur les autres ; mais le calcul de ces résultats serait toujours rigoureux, si l’on en pouvait connaître les éléments. Les déclamations des philosophes contre l’esclavage, en portant notre vue sur l’étendue de notre globe ou dans la durée des siècles, confirment seulement les bons esprits dans la triste opinion que les trois quarts du genre humain sont nés avec le génie de la servitude. Il y a des oiseaux qui ne supportent pas la cage vingt-quatre heures ; ils meurent. Ceux-là restent libres, parce qu’on n’en peut tirer aucun parti, ni d’agrément, ni d’utilité. Il n’existe pas d’autre frein contre l’esclavage. Quand vous dites aux esclaves qu’ils peuvent se révolter en toute justice, vous ne leur apprenez rien, ni à leurs oppresseurs non plus. Les premiers, prêchés ou non par les philosophes, n’y manquent jamais quand ils le peuvent, et ils le peuvent toutes les fois que l’oppresseur manque de force, quelle qu’en soit la cause, pour les contenir, ou que l’oppression devient assez intolérable pour rendre les risques de la révolte égaux à l’état habituel de l’esclave. La cause du genre humain est donc désespérée et sans ressource ? Hélas ! je le crains. Le seul baume qui calme et adoucisse les maux de tant de plaies profondes, c’est que le sort accorde de temps en temps, par-ci par-là, à quelque peuple, un prince vertueux et éclairé, une de ces âmes privilégiées qui, enivrée de la plus belle et de la plus douce des passions, celle de faire le bien, se livre à ses transports sans réserve. Alors tout respire, tout prospère, le siècle d’or naît, et les malheureux oublient pour un moment leurs calamités et leurs misères passées. (Note de Grimm.)
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On a dit quelquefois que le gouvernement le plus heureux serait celui d’un despote juste et éclairé : c’est une assertion très-téméraire. Il pourrait aisément arriver que la volonté de ce maître absolu fût en contradiction avec la volonté de ses sujets. Alors, malgré toute sa justice et toutes ses lumières, il aurait tort de les dépouiller de leurs droits, même pour leur avantage. On peut abuser de son pouvoir pour faire le bien comme pour faire le mal ; et il n’est jamais permis à un homme, quel qu’il soit, de traiter ses commettants comme un troupeau de bêtes. On force celles-ci à quitter un mauvais pâturage pour passer dans un plus gras ; mais ce serait une tyrannie d’employer la même violence avec une société d’hommes. S’ils disent : Nous sommes bien ici ; s’ils disent, même d’accord : Nous y sommes mal, mais nous y voulons rester, il faut tâcher de les éclairer, de les détromper, de les amener à des vues saines par la voix de la persuasion, mais jamais par celle de la force. Convenir avec un souverain qu’il est le maître absolu pour le bien, c’est convenir qu’il est le maître absolu pour le mal, tandis qu’il ne l’est ni pour l’un, ni pour l’autre. Il me semble que l’on a confondu les idées de père avec celles de roi. Peuples, ne permettez pas à vos prétendus maîtres de faire même le bien contre votre volonté générale [4]. Songez que la condition de celui qui vous gouverne n’est pas autre que celle de ce cacique, à qui l’on demandait s’il avait des esclaves, et qui répondait : « Des esclaves ? je n’en connais qu’un dans toute ma contrée ; et cet esclave, c’est moi ! »
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Il y a dans toute administration bien entendue deux parties très-distinctes à considérer, l’une relative à la masse des individus qui composent une société, comme la sûreté générale et la tranquillité intérieure, le soin des armées, l’entretien des forteresses, l’observation des lois ; c’est une pure affaire de police. Sous ce point de vue, tout gouvernement a et doit avoir la forme et la rigidité monastiques ; le souverain, ou celui qui le représente, est un supérieur de couvent. Mais dans un monastère tout est à tous, rien n’est individuellement à personne, tous les biens forment une propriété commune ; c’est un seul animal à vingt, trente, quarante, mille, dix mille têtes. Il n’en est pas ainsi d’une société civile ou politique : ici chacun a sa tête et sa propriété, une portion de la richesse générale dont il est maître et maître absolu, sur laquelle il est roi, et dont il peut user ou même abuser à discrétion. Il faut qu’un particulier puisse laisser sa terre en friche, si cela lui convient, sans que ni l’administration ni la police s’en mêle. Si le maître se constitue juge de l’abus, il ne tardera pas à se constituer juge de l’us, et toute véritable notion de propriété et de liberté sera détruite. S’il peut exiger que j’emploie ma chose à sa fantaisie, s’il inflige des peines à la contravention, à la négligence, à la folie, et cela sous prétexte de l’utilité générale et publique, je ne suis plus maître absolu de ma chose, je n’en suis que l’administrateur au gré d’un autre.
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Il faut abandonner à l’homme en société la liberté d’être un mauvais citoyen en ce point, parce qu’il ne tardera pas à en être sévèrement puni par la misère, et par le mépris plus cruel encore que la misère. Celui qui brûle sa denrée, ou qui jette son argent par la fenêtre, est un stupide trop rare pour qu’on doive le lier par des lois prohibitives ; et ces lois prohibitives seraient trop nuisibles par leur atteinte à la notion essentielle et sacrée de la propriété. La partie de police n’est déjà pour le maître qu’une occasion trop fréquente d’abuser du prétexte de l’utilité générale, sans lui donner un second prétexte d’abuser de cette notion par voie d’administration. Partout où vous verrez chez les nations l’autorité souveraine s’étendre au delà de la partie de police, dites qu’elles sont mal gouvernées. Partout où vous verrez cette partie de police exposer le citoyen à une surcharge d’impôts, en sorte qu’il n’y ait aucun réviseur national du livre de recette et de dépense de l’intendant ou souverain, dites que la nation est exposée à la déprédation. Ô redoutable notion de l’utilité publique ! Parcourez les temps et les nations, et cette grande et belle idée d’utilité publique se présentera à votre imagination sous l’image symbolique d’un Hercule qui assomme une partie du peuple aux cris de joie et aux acclamations de l’autre partie, qui ne sent pas qu’incessamment elle tombera écrasée sous la même massue aux cris de joie et aux acclamations des individus actuellement vexés.
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Quelqu’un disait : Telle est la sagesse du gouvernement chinois, que les vaiu([ueurs se sont toujours soumis à la législation des vaincus. Les Tartares ont dépouillé leurs mœurs pour prendre celles de leurs esclaves. Quelle folie, disait un autre, que d’attribuer un effet général et commun à une cause aussi extraordinaire ! N’est-il pas dans la nature que les grandes masses fassent la loi aux petites ? Eh bien, c’est par une conséquence de ce principe si simple, que l’invasion de la Chine n’a rien changé ni à ses lois, ni à ses coutumes, ni à ses usages. Les Tartares répandus dans l’empire le plus peuplé de la terre, s’y trouvaient dans un rapport moindre que celui d’un à soixante mille. Ainsi, pour qu’il en arrivât autrement qu’il n’en est arrivé, il eût fallu qu’un Tartare prévalût sur soixante mille Chinois. Concevez-vous que cela fût possible ? Laissez donc là cette preuve de la prétendue sagesse du gouvernement de la Chine. Ce gouvernement eût été plus extravagant que les nôtres, que la poignée des vainqueurs s’y seraient conformés. Les mœurs de ce vaste empire auraient été moins encore altérées par les mœurs des Tartares que les eaux de la Seine ne le sont, après un violent orage, de toutes les ordures que les ruisseaux de nos rues y conduisent. Et puis ces Tartares n’avaient ni lois, ni mœurs, ni coutumes, ni usages fixes. Quelle merveille qu’ils aient adopté les institutions qu’ils trouvaient tout établies, bonnes ou mauvaises !
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Vidéo de Denis Diderot
Rencontre avec Christian Grataloup autour de Géohistoire. Une autre histoire des humains sur la Terre paru aux éditions des Arènes, et de L'Atlas historique de la terre (Les Arènes).
Christian Grataloup, né en 1951 à Lyon, agrégé et docteur en géographie, successivement enseignant du secondaire, professeur de classes prépas, formateur d'instituteurs puis de PEGC, maître de conférences à l'université de Reims et finalement professeur à l'université Paris Diderot. Les recherches et les publications de Christian Grataloup se sont toujours situées à la charnière de la géographie et de l'histoire. Une grande partie de ses travaux concernent la didactique, en particulier par la mise au point de «jeux» pédagogiques. Il a notamment publié: Atlas historique de la France (Les Arènes, 2020), L'invention des continents et des océans. Comment l'Europe a découpé le Monde (Larousse, 2020), Cabinet de curiosité de l'histoire du Monde (Armand Colin, 2020), Atlas historique mondial (Les Arènes, 2019), Vision(s) du Monde (Armand Colin, 2018), le Monde dans nos tasses. Trois siècles de petit-déjeuner (Armand Colin, 2017), Introduction à la géohistoire (Armand Colin, 2015).
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20/03/2024 - Réalisation et mise en ondes Radio Radio, RR+, Radio TER
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