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Murambi , le livre des ossementsBoubacar Boris Diop

« Comment peut-on se dire intellectuel capable, pour parler comme Cheikh Hamidou Kane, de « brûler au coeur des choses » si on ne sait même pas se demander pour quelle raison et par qui tant de corps mutilés de Tutsi ont été du jour au lendemain lâchés sur le Nyabarongo ou jetés aux chiens ? Pourquoi n'avais-je pas été capable de voir un seul de ces centaines de milliers de morts ? En m'incitant à me poser de telles questions, les témoignages des rescapés et mes lectures me tendaient sans pitié le miroir où je voyais défiler mes graves déficiences. »
Boubacar Boris Diop, Dans sa postface de « Murami, le livre des ossements » écrite 11 ans après son roman /reportage sur le génocide du Rwanda, Boubacar Boris Diop réfléchit sur cette inconscience, ou ce déni, ainsi que sur les responsabilités de la françafrique, qui a envoyé des troupes et des armes pour soutenir les Hutus, qui a construit un stade de volley- ball au dessus des charniers de Murambi, puis qui as aidé les assassins à fuir au Congo.
Les Hutus regroupés dans l'Interahamwe ont assassiné dix mille Tutsi par jour, pendant cent jours.
Un million de morts.
De la manière la plus barbare, inimaginable.
Boubacar Boris Diop, 4 ans après la fin du génocide de 1994, est invité au Rwanda, pour un atelier collectif d'écriture.
Son premier personnage voit bien que se prépare une tuerie : la radio des Mille Collines tenue par les Hutus au pouvoir lancent depuis plusieurs mois des « appels au meurtre totalement insensés » : de plus, ils ont un prétexte en or: la mort du Président Habyarimana dans un accident d'avion resté mystérieux.

Trois parcours dans cette enquête : Jessica, la survivante, la combattante, celle qui a toujours gardé le cap et jamais renié ses convictions. Pardonner, dit elle ?
Stanley, dont on n'entendra pas beaucoup parler.
Et Cornelius, fils d'un Hutu marié à une Tutsi, qui a fui le pays dès les premiers symptômes de meurtres. Il redécouvre son pays, ses blessures et son passé qui lui saute à la gorge. Il revient dans un chez lui qui n'est plus le sien, sauf son oncle, un homme lumineux, qui lui parle :
Bien sûr, dit il, les étrangers avaient mis les Tutsi sur un piédestal, et leur avait dit « vous n'êtes pas des noirs, vous n ‘êtes pas des sauvages. ». Mais de quoi se plaindre le plus ? de l'audace de ces conquérants belges puis français, ou de l'incroyable stupidité des chefs tutsi de cette époque ? L'allégresse de tuer des Hutus a t elle été insufflée par les colonisateurs ou est elle le fait de la vengeance et de la soif de pouvoir de certains chefs ( qui après avoir incité au meurtre les pauvres paysans, les renverront à leur pauvreté initiale)?
Nous ne pouvons en vouloir à personne de notre manque de fierté, conclut l'oncle Siméon. Nous nous comportons comme des esclaves, ce qui s'est passé en 1994 porte un seul nom : la défaite.
Boubacar Boris Diop s'appuie sur l'histoire, les préliminaires au génocide, sa préparation depuis 1959, les premiers meurtres, pour décrire la haine sans raison entre habitants parfois de maison qu'ils partagent, l'extermination, prenant le « solution finale » nazie comme exemple, et éclatant au grand jour en 1994.
Livre fort, donnant la parole aux uns comme aux autres, les chefs hutus incitant au viol, au découpage à la machette, au carnage, l'excitation de massacrer faisant perdre le goût du repos. Jour et nuit, la boucherie, partout, y compris dans sa propre famille.
Réflexion aussi : à commencer : connaître l'histoire, la voir comme elle a été, au risque de se voir opposer le refus d'en voir la spécificité : les massacres ont toujours eu lieu, disent certains des amis de Cornelius, suivi des discours de politiques français, de Jean D'Ormesson et d'autres, puis complètement rendus obsolètes et faux par les études de Patrick de Saint Exupéry entres autres et du livre de Jacques Morel, où la France a été « au coeur du génocide des Tutsi » .
Et écriture somptueuse, les citations essayant de rendre le phrasé spécial de cet auteur sénégalais.
Boubacar Boris Diop n'affirme rien quant à la raison de la démence des Cent. Jours, comme son héros Cornelius, il est déchiré. Il nous éclaire, en faisant parler.
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Que d'émotions et d'effarement à la lecture de cet ouvrage, que j'ai longtemps hésité à lire.!..
Après la lecture d'un premier ouvrage en 2015, "Souveraine magnifique " d'Eugene Ébodé , à propos des vastes massacres qui se sont abattus sur le Rwanda, au printemps 1994: le pays des mille collines .
Boubacar Boris Diop revient lui aussi, sur le génocide des Tutsis par les Hutus .
Pourquoi Murambi ? C'est ce lieu sinistre transformé aujourd'hui en Mémorial où le 21 avril , 45000 Tutsis furent terrorisés puis massacrés à la machette par les milices interhamwe qui ont pillé et incendié les maisons des Tutsis , volé leur bétail ....... La mort rôde partout ......
Dans ce récit extraordinairement lucide , sobre et mené comme une enquête, écrit par devoir de mémoire : l'auteur donne à voir une série de regards qui éclaire le lecteur sur l'ultime génocide du XX° siécle .
Nous replongeons dans l'atmosphère qui précéda les évènements .
Avant , pendant et aprés, les personnages sont tous bouleversants : le colonel Perrin , officier de l'armée française, Jessica miraculée et résistante , Faustin Gasana , membre des milices du Hutu Power, enfin le lumineux Siméon et son frére, Cornelius , de retour au Rwanda, après l'exil.
Effarement , découverte d'une horreur qui défie l'imagination......
Comment s'exprimer après un génocide ? Ce crime absolu ?
Comment raconter ce qui ne se raconte pas ?
Comment mesurer une telle tragédie ?
Sobre et nuancé, explicatif , l'auteur tente de réhabiliter les morts ........
La postface nous renseigne sur beaucoup de choses, notamment l'auteur y met en exergue le rôle trouble qu'aurait joué la France ? ?
Le devoir de mémoire est une des façons d'opposer un projet de vie au projet d'anéantissement des génocidaires .
Il est très difficile de commenter un tel ouvrage on se sent humble et petit ! Il Nous permet tout de même , de faire pénétrer dans nos consciences l'esprit et les visages des victimes de cette sanglante tragédie , de mesurer la responsabilité , parfois occultée des puissances occidentales dans les grandes tragédies africaines .
Un roman puissant , terrible , magnifiquement écrit !
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Les ossements du titre, ce sont ceux de tous les Tutsi massacrés pendant le génocide perpétré par les Hutu, ossements laissés à la vue de tous dans un bâtiment mausolée, à Murambi, symbole du génocide en ce que, dans son école technique, 45 000 Tutsi furent tués, alors qu'ils avaient été envoyés dans cette école pour être protégés, finalement laissés à la merci de leurs bourreaux par les autorités quelques jours plus tard.

Ces ossements, Cornelius, de retour au pays peu de temps après la fin de la tragédie, après qu'il a été exilé de nombreuses années auparavant alors que la situation devenait de plus en plus tendue entre les deux populations - ayant déjà donné lieu à des massacres Tutsi -, veut les voir, lui qui a été protégé de l'horreur pour laquelle il est difficile de trouver les mots justes.

Au contraire de ses amis, Jessica, devenue espionne du Front Patriotique Rwandais et Stanley, tentant tant bien que mal, pour ce même Front Patriotique, d'évoquer la situation dramatique du pays à l'international, et de sa famille, notamment son oncle, Siméon, qui sera à l'origine de l'exil de son neveu. Au contraire également de ces bourreaux, par choix – ainsi du milicien Faustin – ou par contrainte – le père de Marina – ou encore des autorités françaises qui auront laissé les choses se faire, et même pire, auront aidé à ce qu'elles se fassent – le colonel Perrin en étant le principal représentant. Et le retour de Cornelius, dans cette enquête sur le génocide qui se fera jour au fil des pages sera tout autant pour lui source de révélations, terribles, tant personnelles que collectives, sur l'histoire de Murambi.

Le grand tour de force de ce roman se tient dans la multiplicité de ses voix, points de vue, éclairages, disséminés au cours du récit, permettant au lecteur de saisir aussi bien la complexité du drame que la difficulté à le décrire, laissant la parole à tous ses acteurs, victimes comme bourreaux, chose peu courante. Multiplicité permise par les recherches, entretiens… réalisés par Boris Boubacar Diop qui ne devait, au départ, qu'écrire un court texte qui aurait conclu un atelier d'écriture proposé à des auteurs africains pour apporter leur propre éclairage sur le sujet.

Un roman en somme extrêmement fort, qui ne peut laisser indifférent.
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Le mot "génocide" a un sens.
Le même sens que dans herbicide, insecticide... Il s'agit d'éradiquer, d'anéantir, de faire disparaître de la surface de la Terre.
Sauf que dans "génocide", il s'agit d'êtres humains.
Boubacar Boris Diop leur donne un visage : roman choral où s'expriment, par bonds chronologiques, l'endeuillé, le rescapé, le mis-à-l'abri, la combattante ; mais aussi le génocidaire.
Ainsi que l'officier français qui a armé, ou encouragé, ou laissé faire.
Il n'est pas dans l'allusion, Diop : il livre une description crue des massacres et des cadavres.
Il donne la mesure de l'énormité du crime : dix mille morts par jour, pendant cent jours ; un million de personnes. En trois mois.
Dans sa postface de 2011, il se pose "la lancinante question de la légitimité d'une mise en fiction du génocide", comment il a cherché à "faire ressentir au lecteur le choc et l'effarement de la découverte d'une horreur défiant l'imagination".
Mais il parle également de "la capacité de résilience d'un pays assez confiant en lui-même pour abolir le 25 juillet 2007 la peine de mort."
Résilience incarnée par ses personnages, de retour à Murambi des années après.
Je ne sais pas quoi penser de ce livre : oui, bien sûr, il est important. Mais, lu après "Petit pays" et "Tous tes enfants dispersés", il m'a semblé moins puissant. J'ai été gênée, justement, par les procédés littéraires : sauts dans le temps, polyphonie (je n'ose pas dire "tout ce qui est tendance", mais...)
Je le comparerais à "Nuit et brouillard" : en évitant systématiquement le mot Juif (ce qui lui a été reproché), Alain Resnais donne au génocide une dimension universelle ; il fait de nous tous et toutes, des victimes potentielles. Il dépasse le "c'étaient des Juifs, c'était pendant la guerre..."
Dimension que, pour ma part, je n'ai pas retrouvée dans ce roman.
Je l'ai trouvé trop court, peut-être.
Les racines du mal (au sens que lui donne Hannah Arendt) sont davantage explicitées dans la postface, notamment le poids écrasant du passé colonial et le rôle déshonorant des autorités françaises.
Bref, lisez-le et faites-vous votre propre opinion.
Challenge Globe-Trotter (Sénégal)
LC thématique de juin 2022 : "Titres à rallonge"
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"Si jamais le Rwanda avait été ce lieu paisible et lumineux où le dieu Imana venait se reposer après chaque coucher de soleil, il avait cessé de l'être depuis longtemps en 1998 : la mort continuait à rôder partout, l'odeur des corps en décomposition prenait toujours à la gorge, et les survivants n'avaient pas encore émergé de leur longue sidération".

Dans une prose claire et précise, Boubacar Boris Diop revient sur le génocide des Tutsis par les Hutus au Rwanda au printemps 1994. Pendant cent jours, les interminables massacres, encouragés par la propagande haineuse et incendiaire de radio Mille Collines, près d'un million de Tutsis trouveront la mort."Après une histoire pareille, tout le monde est, de toute façon, un peu mort".

Murambi, c'est ce lieu sinistre (aujourd'hui transformé en mémorial) où, le 21 avril, après avoir trouvé refuge dans une école technique en construction, 45 000 Tutsis sont massacrés par les milices Interahamwe.

Un livre "avant-après" comme je les appelle, bouleversant, et qui questionne le lecteur dans son humanité même. Dans un style très différent des enquêtes philosophico-journalistes de l'excellent Jean Hatzfeld (Une saison de machettes, La stratégie des antilopes). Avec une étonnante économie de mots, Boubacar Boris Diop construit le récit nécessairement éclaté des voix multiples du génocide, et parvient à en soulever brillamment tous les enjeux moraux.

Comment comprendre l'irréductible spécificité du génocide rwandais ? Quel rôle douteux ont joué les troupes françaises de l'opération Turquoise ? Comment pardonner aux bourreaux et vivre à leurs côtés ? Comment vivre après le génocide rwandais ? "Il voulait dire à la jeune femme en noir - comme plus tard aux enfants de Zakya, que les morts de Murambi font des rêves, eux aussi, et que leur plus ardent désir est la résurrection des vivants". Pourquoi l"indifférence occidentale ? ("Ne t'en fais pas Sera. Ils savent que le monde entier les observe, ils ne pourront rien faire").

Dans une passionnante postface enfin, Boubacar Boris Diop évoque les circonstances de l'écriture de Murambi, et s'interroge sur ce que signifier écrire un roman sur le génocide rwandais. C'est une expérience qui découle d'une résidence d'auteurs au Rwanda en 1998, "Rwanda : écrire par devoir de mémoire", rassemblant pendant trois mois plusieurs écrivains africains dans un hôtel de Kigali. Loin de "jouer les pleureuses de la vingt-cinquième heure", chacun en retire une expérience singulière, débouchant sur la production de plusieurs romans (La Phalène des collines de Koulsy Lamko, Le Cavalier et son ombre de B.B. Diop, Murekatete de Monique Ilboudo), parmi lesquels Murambi. Dans cette postface, l'auteur donne sens à son oeuvre, autour d'une réflexion fondamentale sur l'écriture et l'engagement.

"Encore une preuve, s'il en était besoin, de la quasi-impossibilité de sortir indemne de l'expérience rwandaise".
Lien : http://le-mange-livres.blogs..
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Ce roman est le résultat d'un travail d'écriture demandé à plusieurs auteurs africains quatre ans après le dernier génocide du XX siècle.
C'est saisissant.
J'ai été happé dès le début par la force des mots racontant les hommes et femmes du Rwanda ayant dû affronter ou perpétrer cette folie collective d'un génocide. Celui-ci planifié en amont de ce mois d'avril 94, débuté aux prémices de la décolonisation dès 1959.
Derrière les personnages romancés, se devinent des liens avec des histoires individuelles, entendues par l'auteur lors de son séjour au Rwanda en 1998.
Le personnage mis en avant, Cornelius revenant d'exil de Djibouti entreprit avant le génocide, refait connaissance avec ses amis d'enfance, ses voisins ou proches. du moins ceux qui sont encore présents.
Il y a Jessica, espionne du FPR à Kigali pendant les massacres. Stanley lui, était chargé par le même FPR de plaider la cause des suppliciés auprès de la communauté internationale.
Mais les yeux et oreilles du mondes se sont fermés et les rescapés en gardent une visible mais insondable souffrance.
Souffrance et résilience de ces hommes se mélangent. C'est la sagesse de Siméon contre la colère de Gérard
La France quant à elle, au travers du colonel Etienne Perrin est invariablement pointée du doigt, car coupable de son inaction. Coupable de sa condescendance lorsque ses soldats jouent au volley à Murambi, sur l'emplacement des charniers de cette école où des dizaines de milliers de corps sont ensevelis. La genèse de la perte d'influence du Mwami, le roi Tutsi démontre l'influence de l'histoire coloniale dans ce pogrom systématisé.
La voix des bourreaux est pénétrante d'horreur et incarne l'inhumanité à son paroxysme. Notamment par le biais du docteur Joseph Karekesi feintant la possibilité d'un refuge au sein de l'école technique de Murambi afin de mieux exterminer tous les suppliciés avec l'aide de l'armée gouvernementale.
Face à cet indicible, l'écriture tente en toute humilité de trouver du sens pour continuer. Afin que la vie triomphe dans ses braises, que l'individu se reconstruise, que les rescapés ne soient pas uniquement des fantômes du passés.
Dur mais essentiel.
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Rwanda, Ecrire par devoir de mémoire : c'est sur ce thème que l'écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop s'est attaché à écrire un roman sur le génocide tutsi au Rwanda.
Comment parler d'un génocide ? Comment raconter l'indicible ?
Cornelius, exilé depuis de nombreuses années à Djibouti rentre au Rwanda, 4 ans après le génocide. A Murambi, plus exactement, où, dans l'enceinte d'une école, son père, le Dr Karekesi a fait regrouper tous les Tutsis des collines environnantes sous prétexte de les protéger : environ 50000 personnes qu'il a fait massacrer, y compris sa femme et ses 2 enfants.
Cornelius, avec l'aide du vieux sage Simon Habineza, tente de comprendre cet effroyable massacre.
Dans un récit extrêmement sobre et nuancé, l'auteur nous fait découvrir les tenants et aboutissants du génocide et réussit à saisir l'indicible, réhabilite la mémoire des morts, espérant poser les bases d'un possible futur pour ce pays exsangue.
J'ai été encore plus passionnée par l'excellente postface de l'auteur qui met en lumière le rôle trouble qu'a joué la France.
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« Ce roman est un miracle. Il confirme ma certitude qu'après un génocide, seul l'art peut essayer de redonner du sens.
Avec Murambi, le livre des ossements, Boubacar Boris Diop nous offre un roman puissant, terrible et beau. »
Toni Morrison.


Quiconque lit régulièrement mes articles connaît mon amour pour Toni Morrison. Pour la femme d'abord, l'insondable, la courageuse,
et pour son Oeuvre, immense, subtile, terrible.
Il ne me fallait pas plus de mots pour poser Murambi, le livre des ossements – offert par une de mes plus précieuses amies - tout en haut de ma « pile de livres à lire » et de le faire mien aussi vite que possible.


Car toute parole de Toni Morrison est d'or.


Et celle-ci l'est plus que toute autre.


Il y a plusieurs années, j'ai séjourné près de deux mois à Kigali, au Rwanda. A mon retour, j'ai lu tout ce qui me tombait sous la main (romans, essais, écrits divers, témoignages) au sujet de l'effroyable génocide des Tutsis de 1994.
Mais aucun de ces exercices ne m'a semblé avoir le quart du tiers de la force de Murambi, le livre des ossements, et la moitié de sa puissance d'évocation.


Ce livre est né d'une volonté de deux artistes, Maïmouna Coulibaly et Nocky Djedanoum, choqués par le silence des intellectuels africains face à la tragédie du Rwanda, d'impliquer une dizaine d'écrivains dans une réflexion sur le génocide.
De cette initiative a germé la résidence d'auteurs « Rwanda : écrire par devoir de mémoire ». Son but : prendre toute la mesure de la tragédie, réhumaniser les victimes et opposer un projet de vie au projet d'anéantissement des génocidaires.


Voilà pour ce qui est du topo général, des grandes lignes et de ce qu'il fait bon dire en introduction.
Une façon d'annoncer la couleur,
Sans trop se mouiller.

Sauf qu'une fois que l'on a refermé Murambi, le livre des ossements, l'un des écrits nés de cette résidence, il n'est plus possible de se contenter de sagesses allongées sur le papier et de phrases toutes faites, juste bonnes à couvrir la quatrième de couverture de sa dernière édition.


Car une fois le livre refermé,
ses 220 effroyables pages dont on pensait connaître le contenu,
il ne reste plus que le chaos, la sidération et la colère.
La colère surtout.
Celle de constater qu'il y a 27 ans seulement, l'inimaginable ait pu se produire au vu et au su de tous. Tout en se trouvant soutenu par la France, pays « des droits de l'Homme ». Après tout, Mitterrand lui-même le disait : « Dans ces pays là, un génocide, ce n'est pas trop important ».


Sauf que moi, je suis née le 16 juin 1994. Pile au milieu des « fameux » cent jours. Les pires que le Rwanda ait trouvés sur sa route. Et imaginer qu'à la seconde où je prenais ma première bouffée d'air, des milliers de femmes, d'hommes et d'enfants expiraient dans d'atroces souffrances, m'est aujourd'hui intolérable.


Là n'est pas le problème, me direz-vous.
Et vous avez tout à fait raison.
Mais il vous suffira de lire la postface (rédigée par l'auteur) de cet admirable roman pour avoir envie d'hurler votre dégoût, votre hargne et votre honte d'être né dans un pays dans lequel le cynisme et les intérêts bassement politiques n'avaient pas de limites – j'ai tendance à penser que les choses n'ont pas tant changé que cela.


Mais voilà qu'à nouveau je m'égare.
Venons-en au texte.
Murambi, le livre des ossements, est un roman bouleversant et fascinant, aussi somptueux qu'abjecte, d'une puissance abyssale, d'une absolue vérité. C'est un texte qui vient gratter les tréfonds de notre âme et y coller les lambeaux de centaines de chaires meurtries. Plaies béantes dans une Histoire pas si ancienne.


C'est la retranscription de l'horreur poussée à son paroxysme, de l'inhumanité dans ce qu'elle a de plus fou, de la folie dans ce qu'elle a de plus inhumain.
Ce sont les témoignages d'hommes et de femmes, victimes ou bourreaux, qui trouvent, pour la première fois de leur vie, la force de raconter l'innommable.
C'est un roman d'une clairvoyance rare, une analyse fine des mécanismes ayant été à l'oeuvre depuis les années 50 et un tableau que le monde occidental a, au mieux, refusé de voir, au pire, financé et soutenu.
Dans ses plus sombres heures.


Grâce à son talent de conteur, Boubacar Boris Diop parvient à faire pénétrer dans nos consciences les noms et les visages des acteurs de la sanglante tragédie rwandaise. J'ai été soufflée par la grandeur de ses mots. Leur simplicité aussi.
Des mots qui ne se donnent pas à voir
- ils n'en ont pas besoin.
Mais qui portent en leur sein le tranchant du glaive et la tendresse du pinceau.
Lien : http://www.mespetiteschroniq..
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L'auteur sénégalais lève le voile sur le génocide des Tutsis perpétré par les Hutus, au Rwanda en 1994, dans un roman d'une puissance terrible.

En prenant le prétexte fallacieux de la mort du président Juvénal Habyarimana dont l'avion a été abattu en plein vol le 6 avril 1994, les Hutus ont montré à la face du monde qu'ils pouvaient agir en toute impunité.

A travers un roman polyphonique qui donne la parole aussi bien à des Hutus qu'à des Tutsis, l'auteur nous aide à comprendre ce qui s'est passé. Il nous explique de quelle manière tout cela s'est déroulé sans que le monde entier ne lève le petit doigt. Dans l'indifférence générale, les membres des Interahamwe, la milice des massacreurs du Hutu Power, ont violé, mutilé, torturé, à coups de machette, des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants. Quand on se pause un instant pour y réfléchir un peu : massacrer plus d'un million de personnes à l'arme blanche… c'est innommable !

Boubacar Boris Diop a recueilli des témoignages, a beaucoup écouté, avant d'écrire ce roman. Il a essayé de ne pas trahir les paroles des uns et des autres.

Cornélius est certainement le personnage le plus romanesque. Il est le fils d'un Hutu qui a ordonné le massacre des Tutsis qui avaient confiance en lui, le fils d'un être infâme qui se cachait derrière l'image du bon docteur et qui a trahi les siens sans sourciller. Cornélius doit vivre avec ça, lui l'exilé, lui qui était à Djibouti pendant ces mois d'horreur, il doit vivre avec une double culpabilité : son absence et son lien filial avec l'être le plus abject qui soit.

La partie « génocide » est certainement la plus émouvante, la plus bouleversante à lire. L'auteur ne dissimule pas l'horreur mais il n'en fait pas non plus étalage. Il ne verse jamais dans un pathos débridé, il reste sobre et pourtant efficace, il dit l'indicible, à travers les mots des uns et des autres, il met en lumière des tranches de vie, avant, pendant ou après ces mois abominables. Chaque personnage raconte ce qu'il a vécu, ça sonne toujours juste. L'un dit par exemple qu'il ne faut jamais épargner un enfant, si jeune soit-il, parce qu'il pourrait devenir le chef d'une guérilla future (ça ne nous rappelle pas un certain Hitler ?), l'autre que ses voisins le regardent d'un drôle d'air depuis le déclenchement du carnage alors qu'ils se côtoyaient amicalement auparavant ou ce restaurateur Tutsi qui tremble en servant un habitué Hutu… Terrible, vous dis-je. Leurs mots simples et dépouillés font frémir.

Boubacar Boris Diop n'oublie pas de dire que la France a joué un rôle pour le moins trouble dans ce massacre organisé. Elle a soutenu les Hutus au pouvoir, et les a armés. Quand on pense que Jean d'Ormesson a osé parler de « massacres grandioses dans des paysages sublimes » tandis que Mitterrand osait dire que « dans ces pays-là, un génocide ce n'est pas trop important », ça laisse songeur, ça révolte et ça donne envie de ne pas être français…

Ce roman fait partie de ces livres essentiels qu'il est nécessaire de lire. C'est un devoir de mémoire.

La postface, ajoutée en 2011, n'est pas moins intéressante que le roman, je dirais même plus, elle est indispensable et le complète parfaitement.
Lien : https://krolfranca.wordpress..
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Comment commencer cette chronique ? En m'étonnant du fait que ce ne soit qu'aujourd'hui que je lise mon premier roman de Boubacar Boris Diop ? Ou en saluant la qualité du regard de l'écrivain sénégalais sur le génocide tutsi au Rwanda ?

La première question pouvant être résolue rapidement, je vais la traiter avec le même empressement. J'ai abordé la littérature sénégalaise par le biais de ses auteures et je n'en suis jamais vraiment sorti, excepté avec Birago Diop. On mettra donc ma découverte tardive de Boubacar Boris Diop sur le dos des femmes de son pays (qui fréquente mon blog, comprendra l'allusion).

Pour abandonner ces aspects futiles, à la lecture de « Murambi, le livre des ossements » il est une évidence certaine, j'aurai, Dieu voulant, l'occasion de relire cet auteur pertinent et courageux. Je le dis en me remémorant tous les livres que j'ai lus sur le génocide tutsi au Rwanda qui furent produits à la suite de la résidence d'écriture au Rwanda en 1998 organisée par Nocky Djedanoum sur le thème « écrire par devoir de mémoire ». Car si chacun de ces livres porte un regard singulier, une capacité à transposer dans un projet littéraire, des expériences de vie uniques en lien avec cette tragédie, le roman de Boubacar Boris Diop est celui, qui au-delà de l'émotion qu'il suscite, a une approche qui porte le plus un discours politique, une désignation claire des bourreaux et des victimes, une accusation franche et sans ambiguïté de la collusion française avec des responsables du génocide.

Avant de donner un point de vue, il me faut d'abord présenter ce roman à la structure éclatée qui commence par une série de regards qui replongent le lecteur dans l'atmosphère électrique qui précède les événements douloureux. Un contexte nauséeux où les bourreaux attendent, les victimes pressentent le piège qui va s'abattre sur elles. Chaque voix parle à la première personne. Et le lecteur perçoit intimement sous la plume du romancier l'horreur qui point au jour. Il perçoit intérieurement. Au milieu de ces différents témoignages déroutants, il y a Jessica, une femme, agent infiltré du FPR. Il y a Stanley. Ils sont amis.
Plusieurs années après, ils se retrouvent autour de Cornélius, le troisième larron de leur bande d'enfants de jadis. Cornélius revient de Djibouti, d'où il a vécu le génocide. Toute sa famille a disparu. du moins, c'est ce qu'il pense en rentrant au Rwanda, où il se doit de retourner à Murambi, fief familial où l'attend son oncle, le vieux Siméon. Ce qu'il va découvrir au sujet de sa famille, en particulier de son père, va remettre en cause toute sa vision du monde…

Entendons-nous, il est extrêmement délicat de commenter un tel livre, un tel sujet. Je pense que Boubacar Boris Diop réussit à la fois à transmettre quelque chose sur la folie de ce qui s'est passée, mais également sur comment on vit après cela, en particulier quand on doit porter le poids des fautes des autres, le tout en évoquant l'historique lointain ou immédiat pour tenter d'expliquer l'inexplicable. Plus que dans les autres ouvrages qui traitent de la question, la prise de position du romancier est nette. Les désignations ne sont pas masquées. Les nuances semblent trop dangereuses. Murambi, le livre des ossements parle à ceux qui veulent en savoir d'avantage. Je ne peux pas être plus long sur cet ouvrage. Certains aspects de la narration peuvent être lus, mais ne peuvent pas être exprimés ou commentés hors du contexte de ce livre. Aussi, je m'arrêterai sur ce, en espérant que vous lirez ce livre. Parce c'est nécessaire.

Bien à vous,

Boubacar Boris Diop, Murambi, le livre des ossements
Lien : http://gangoueus.blogspot.fr..
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