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EAN : 9782253068211
288 pages
Le Livre de Poche (10/03/2004)
3.26/5   73 notes
Résumé :

En 1832, dans Alger récemment conquise, Delacroix s'introduit quelques heures dans un harem. Il en rapporte un chef-d'œuvre, Femmes d'Alger dans leur appartement, qui demeure un " regard volé ".

Un siècle et demi plus tard, vingt ans après la guerre d'indépendance dans laquelle les Algériennes jouèrent un rôle que nul ne peut leur contester, comment vivent-elles au quotidien, quelle marge de liberté ont-elles pu conquérir ?

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Je me replonge, un peu par hasard, dans mes notes de lecture et d'études de ce recueil de nouvelles d'Assia Djebar intitulé, en référence au célèbre tableau de Delacroix, Femmes d'Alger dans leur appartement
Autour du rapport à l'Histoire, à la mémoire, à la question de l'identité des peuples colonisés ou encore à la langue, Assia Djebar met à l'honneur l'écriture féminine des voix des femmes.

La construction du livre est intéressante avec une « Ouverture », presque musicale, et une « Postface » plus littéraire qui se répondent autour de deux autres parties de longueur inégale dont les titres, « Hier » et « Aujourd'hui » marquent une opposition et une articulation. Deux nouvelles sont très longues, « Femmes d'Alger dans leur appartement » et « Les morts parlent » tandis que les plus courtes en sont comme des échos.
« La nuit du récit de Fatima » montre comment la parole peut sauver la vie. Fatima se fait l'alter ego de la célèbre Shéhérazade, personnage cadre avec cependant de multiples relais, dont un narrateur omniscient en italiques. Cette nouvelle met en abyme tous les thèmes du livres.
« Femmes d'Alger dans leur appartement » est structurée comme un morceau de musique avec interlude et « diwan », poésies lyriques chantées.
« La Femme qui pleure » est le récit d'une rencontre essentielle entre une parole et une écoute.
« Il n'y a pas d'exil » est centrée sur le mariage, sur l'absence de consentement de la femme, sur son silence. La nouvelle se déroule sur fond de deuil et de « thrènes », chants funéraires.
« Les morts parlent » insiste sur le rôle culturel de la parole féminine ; les femmes supportent l'enfermement grâce au chant et à la lamentation, seules voix possibles, d'où la fascination pour les pleureuses. La parole féminine lyrique n'est possible que lors des deuils et des mariages, hors de toute écriture et encadrée.
« Jour de Ramadhan » et « Nostalgie de la horde » surprennent des conversations de femmes, des confidences lourdes de sens.
En 1832, lors d'un voyage, Delacroix a eu l'occasion de pénétrer dans un intérieur et de voir ce que normalement, on ne donne pas à voir à un étranger et ce qu'il a ensuite représenté a marqué une rupture : la femme algérienne n'est plus vue comme une odalisque, mais dans sa réelle intimité. Il faut arriver à la fin du recueil pour retrouver cet épisode dans « Regard interdit, son coupé »… Cette nouvelle oppose la modalité inquiète de Delacroix, sa vision angoissée de l'invisibilité et du silence au travail de Picasso qui va, dans ses propres oeuvres, briser l'interdit et libérer les prisonnières du harem, annonçant les porteuses de bombes de la bataille d'Alger.

L'écriture s'échelonne de 1958 à 2001. L'ensemble est très musical, comme un trajet d'écoutes : les voix et les sonorités, les chants, les « thrènes » des pleureuses sont des points de départ et d'aboutissement dans les nouvelles, des passerelles pour la mémoire et la transmission : « Je ne vois pour les femmes arabes qu'un seul moyen de tout débloquer : parler, parler sans cesse d'hier et d'aujourd'hui, parler entre nous, dans tous les gynécées, les traditionnels et ceux des H. L. M. »…
Assia Djebar a choisi d'écrire en français, la langue du colonisateur ; pourtant, elle pratique le berbère, l'arabe dialectal et a étudié l'arabe classique avant de poursuivre ses études en français puis d'enseigner dans cette langue à l'université. C'est chez elle un choix révélateur car elle considère la langue française comme un voile, avec toutes ses ambiguïtés : l'usage du français l'a, en quelque sorte, libérée, lui a permis de s'exposer, de se raconter, mais aussi de garder une distance avec le monde et avec ses propres mots. Elle utilise ce voile et s'en démarque en même temps, jouant de la diglossie pour transposer les voix arabes en français en se réappropriant la langue du colonisateur.
Cette posture est d'autant plus paradoxale que l'arabe est la langue des femmes. C'est encore plus complexe car, dans sa tribu berbère d'origine, les femmes utilisent un arabe clandestin et occulte, oral, un peu différent de l'arabe de la communauté, celui des hommes. Cette parole plurielle exprime le quotidien familial et religieux.

Ce recueil mérite d'être connu…
Personnellement, j'ai du mal à le dissocier d'un sujet d'études, même après quelques années. Je garde le souvenir d'une lecture un peu difficile, d'un intérêt surtout intellectuel.
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Un recueil de nouvelles extrêmement bouleversantes.
Assia Djebar raconte des instants de vie, interminables ou fugaces, perçus par le prisme des femmes algériennes dans la période coloniale et post-coloniale.

On assiste notamment à un enterrement digne de la célèbre pièce de théâtre de Federico Garcia Lorca, La casa de Bernarda Alba. Lors de la veillée, les visiteuses, les pleureuses et les parentes commentent inexorablement la vie de la défunte et certaines n'hésitent pas à déverser leur venin sous forme de propos médisants et de messes-basses suffisamment audibles pour mettre à terre les vivants.

Assia Djebar donne la parole aux femmes qu'elles soient jeunes, vieilles, promises, mariées, veuves, divorcées ou orphelines. Toutes vivent en retrait, calfeutrées physiquement ou sont emmurées moralement et socialement.
L'autrice ne donne pas la parole aux femmes pour les entendre entonner un lamento ou un chant d'opéra telles des cantatrices car il s'agirait encore d'une parole policée aux accents attendus. La souffrance contenue ne sort pas dans un filet de voix aussi talentueux et musical soit-il, mais dans des cris rauques et gutturaux assourdissants qui, pris séparément, ne feraient pas plus que des ronds dans l'eau, et qui, réunis, brisent la cage de verre dans laquelle chaque femme se consume, isolément.
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Ce recueil de nouvelles est intéressant au niveau anthropologique puisqu'il nous permet de découvrir la vie de différentes femmes, jeunes ou plus âgées, en Algérie au XXème siècle. Nous voyons tout un pannel de femmes : celles émancipées (elles conduisent, travaillent et ne portent pas le voile), tout comme celles restant chez elles, mariées de force très jeunes, avec plusieurs épouses etc. Il faut savoir que les Algériennes présentes dans ce recueil, quelle que soit leur conditions, me paraissent fortes et je dirais même presque indomptables (positivement).
Connaissant très mal ce pays, j'ai apprécié découvrir un peu de sa culture, ou du moins celle de l'époque : l'importance de la religion, le respect, le "devoir" d'avoir un garçon, chose primordiale pour les hommes, même si certains pères vouaient un amour inconditionnel pour leurs filles et leurs permettaient d'avoir une éducation.
J'ai également aimé le fait que l'auteure ait abordé certains pans de l'histoire, notamment la colonisation française, les tortures et exécutions. Même si les choses sont dites assez pudiquement, nous en avons un petit aperçu, par exemple avec une femme ayant fait partie de la résistance et ayant connu la prison et la torture.

Cependant, je ne suis pas tout à fait conquise, il me manque un petit quelque chose. Il est indéniable que l'auteure à une belle écriture, mais je n'y ai pas toujours adhéré. le thème (les femmes et leurs conditions) m'a bien sûr plu, mais je me suis parfois un peu perdue dans une ou deux nouvelles, ne comprenant pas toujours les enchaînements. de plus, j'aurais aimé m'attacher plus aux personnages, ressentir de la compassion pour ces femmes et vibrer avec elles, or cela n'a pas été le cas.
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Très beau livre de Assia Djebar, première auteure nord-africaine à avoir été élue à L Académie Française en 2005 (et première algérienne à avoir intégré Normale Sup en 1955).
C'est ainsi que A. Djebar présente son livre : ces nouvelles, quelques repères sur un trajet d'écoute, de 1958 à... à aujourd'hui, septembre 2001. Conversations fragmentées, remémorées, reconstituées... Récits fictifs ou frôlant la réalité - des autres femmes ou de la mienne -, visages et murmures d'un imaginaire proche, d'un passé-présent se cabrant sous l'intrusion d'un avenir incertain, informel." (premières lignes de l' "ouverture")
La construction du texte et l'écriture elle-même sont très poétiques et nous parlent du quotidien des femmes d'Alger. Deux parties dans ce recueil : "Aujourd'hui", histoires de femmes après l'indépendance de l'Algérie et "Hier" histoires de femmes avant la guerre d'indépendance.
"Récits d'hier et d'aujourd'hui" de femmes arabes, voilées, dominées par les hommes, leurs pères qui souvent les marient trop jeunes, leurs frères et leurs maris qui commandent et doivent être servis.
Voici ce que l'auteure dit de la première longue nouvelle, "La nuit du récit de Fatima" : " Ce récit le plus récent, placé juste après l'ouverture du recueil, je souhaiterais qu'il soit comme une lampe sur ce seuil, pour éclairer la solidarité de toute parole féminine, notre survie." Fatima y raconte sa vie et celle de ses parents à sa bru Anissa qui elle-même prend ensuite la parole : histoires d'enfants à donner ou à prêter, grande douleur de mère.
Dans les autres nouvelles, l'auteure évoque les femmes "enfermées", parlant peu ou pas sauf entre elles, femmes soumises et voilées, n'ayant le droit que d'être mère ; la violente nuit de noces, les bains publics où elles vont en groupe (souvent leur seule sortie), le ramadan...
Quelle identité réelle possible pour ces femmes ?
Et malgré leurs conduites courageuses pendant la guerre d'Algérie, leur déception quand le carcan de la tradition les paralyse à nouveau.

Assia Djebar, une femme qui parle, qui s'oppose au silence imposé à toutes les maghrébines.

Extrait (p 87) : " Les seules femmes libres de la ville sortent en files blanches, avant l'aube, pour les trois ou quatre heures de ménage à faire dans les bureaux vitrés des petits, des moyens, des hauts fonctionnaires qui arriveront plus tard. Elles pouffent de rire dans les escaliers, rangent les bidons l'air hautain, relevant lentement leurs coiffes superposées, tout en échangeant des remarques ironiques sur les chefs respectifs des étages, ceux qui, protecteurs, les questionnent sur les études des enfants, et ceux qui ne parlent pas, parce qu'on ne parle pas aux femmes, qu'elles travaillent dehors ou qu'elles soient, comme les leurs, objets de représentation..."
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Femmes d'Alger dans leur appartement d'Assia Djebar est un bouquet de nouvelles qui tisse un chemin narratif racontant l'évolution de la femme algérienne. À travers deux parties intitulées «Aujourd'hui» et «Hier», l'auteure lève le rideau sur la vie quotidienne de la femme algérienne avant et après la guerre d'indépendance. Et dévoile, ainsi, sa condition de vie et son rôle dans une société typiquement traditionnelle.

En effet, les types de champs représentés dans les nouvelles sont parfois réels relatifs aux lieux tel un appartement, Hammam ou plutôt bain public, etc. Et parfois irréels relatifs aux rêves tel le rêve d'un personnage dans l'une des nouvelles racontées, Femme d'Alger. Comme on trouve quelquefois, aussi, des champs mémoriels dans lesquels réside le passé évoqué par les femmes.

À vrai dire, le cercle du souvenir a permet à l'auteure de créer une esthétique littéraire pour le cadre narratif de ses nouvelles. Et présenter, ainsi, un recueil bien situé dans l'espace et dans le temps.

Femmes d'Alger dans leur appartement est, donc, une invitation à la lecture d'un passé féminin vécu sous l'autorité d'une société réservée.
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Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
- Je ne vois pour les femmes arabes qu'un seul moyen de tout débloquer: parler, parler sans cesse d'hier et d'aujourd'hui, parler entre nous, dans tous les gynécées, les traditionnels et ceux des H.L.M. Parler entre nous et regarder. Regarder dehors, regarder hors des murs et des prisons!...
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Mais pourquoi soudain ce désir insolent de me fixer dans un miroir, d’affronter mon image longtemps ? Et de dire, tout en laissant mes cheveux couler sur mes reins, pour qu’Anissa les contemple : - Regarde. A vingt-cinq ans, après avoir été mariée, après avoir perdu successivement mes deux enfants, après avoir divorcé, après cet exil et cette guerre, me voici en train de m’admirer et de me sourire, comme une jeune fille, comme toi… (p. 74)
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Magdouda, ma grand-mère, m'embrassa, me garda sur ses genoux : je me souviens encore de son odeur, de son teint presque noiraud, de ses grands yeux allongés et globuleux qu'elle noircissait d'un khôl soutenu... Je fixai enfin son tatouage bleu qu'elle avait entre les sourcils : une rosace raffinée qui la rendait étrange. Avec ses multiples foulards de soie mauve et orange, elle paraissait une vieille reine sauvage, venue je ne savais d'où...
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Magdouda, ma grand-mère, m''embrassa, me garda sur ses genoux : je me souviens encore de son odeur, de son teint presque noiraud, de ses grands yeux allongés et globuleux qu'elle noircissait de khôl soutenu... Je fixai enfin son tatouage bleu qu'elle avait entre les sourcils : une rosace raffinée qui la rendait étrange. Avec ses multiples foulards de soie mauve et orange, elle paraissait une vielle reine sauvage, venue je ne savais d'où...
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Où êtes-vous les porteuses de bombes ? Elles forment cortège, des grenades dans les paumes qui s'épanouissent en flammes, les faces illuminées de lueurs vertes... Où êtes-vous, les porteuses de feu, vous mes soeurs qui aurez dû libérer la ville... Les fils barbelés ne barrent plus les ruelles, mais ils ornent les fenêtres, les balcons, toutes les issues vers l'espace...
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Videos de Assia Djebar (14) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Assia Djebar
L'écrivain prix Goncourt 2015 pour "Boussole (Actes Sud) Mathias Enard et l'écrivaine Kaouther Adimi ("Au vent mauvais", Seuil, 2022) rejoignent le Book Club pour parler de littérature algérienne : l'incontournable "Nedjma" de Kated Yacine, Assia Djebar, Mohammed Dib... L'occasion de partager avec les auditeurs et auditrices des lectures fondatrices de leur rapport à l'écriture et à l'Algérie.
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