L'Evangile au risque de la psychanalyse, tome 2

Quelque part, en nous, existe une potentialité de décision, un embryon de décision, parfois. Mais qu'en savons- nous? Il est certain que le crépusculaire envahit une telle portion de notre conscient! Quand je lis l'Evangile, je rencontre sans cesse Jésus qui fait appel à cette décision, à notre responsabilité, à notre vigilance à l'égard de nos propres instincts. Quand une pulsion partielle se détache, notre responsabilité de l'ensemble ne doit-elle pas s'en inquiéter? En effet, nous savons que l'ensemble de nos pulsions doit rester lié à l'intelligence de notre existence et aller ainsi, contribuant au tout de notre vie. Mais il peut y avoir une pulsion partielle qui se dévoie, qui se détache, il faut alors que, restant éveillés au sens de notre désir d'homme, ou de femme, responsables de notre totalité d'être, nous y veillions et la ramenions à toutes les autres, avec l'aide acceptée d'un plus fort que nous. C'est pourquoi je pense que nous n'avons pas à comprendre le mouton égaré comme un individu humain : c'est le troupeau tout entier qui est un individu humain dont le berger est la tête pensante et le cœur aimant. Et Jésus qui est la conscience divine de cet individu humain ne peut pas laisser- aller vers sa perte une seule de ces pulsions partielles. Il doit les faire aller, non pas grégairement, mais unies vers l'oasis qui va être la paix totale de l'être.

[...] le péché c'est cette contradiction inhérente à notre vie humaine : nous essayons de vivre notre désir mais la peur de s'y risquer, les évènements qui barrent notre route, la violence de notre dynamique, l'éthique de notre groupe, les facilités du chemin nous arrêtent.

Un autre besoin moins immédiat est le besoin de manger. Nous avons besoin d'un objet, le pain, par exemple, pour apaiser notre faim, pour satisfaire notre besoin de manger, pour emplir ce trou, ce «creux» de l'estomac. Mais, bien vite, en plus du pain, nous avons envie de bonne chère, de vin, d'une certaine ordonnance du repas, d'une certaine présence, de conversations, nous «désirons une convivialité » : une communication avec d'autres autour de la table. Nous passons, vous le voyez, de la consommation à la communion. Nous passons du besoin de manger au désir de communiquer. Le besoin nous met en relation avec un objet prometteur de plaisir et autre que nous. Quand le besoin apparaît incapable de combler une vie, nous mine alors la dépression... car le désir et son abîmé se découvrent, mais nous ne percevons pas ce désir et son gouffre, trop démunis et aveugles que nous sommes encore pour un temps.

Il se montre à qui le désire et à qui en a besoin pour croire. Il se présente sous une forme particulière à chacun. Il se révèle selon le centre d'intéret, selon le désir, selon la mesure de chacun. Il se présente à ses apôtres tel qu'ils l'ont connu. Aux disciples d'Emmaüs, il se montre par l'éclairement des Ecritures et le pain partagé. A Thomas, il se révèle par ses plaies. Thomas doit toucher la vérité pour croire.

Mais pourquoi Jésus insiste-t-il sur le fait que ce berger invite ses amis à se réjouir avec lui ? Est-ce parce qu'il est communicatif ou exubérant, ce berger?
C'est la réalité que Jésus décrit. L'objet de sa quête retrouvé, le berger peut enfin communiquer avec les autres. Avec ses voisins et ses amis, il éclate de joie. Et tous, avec lui, de sa joie se réjouissent. C'est la fête! Pourquoi? Parce que la joie, c'est de retrouver la cohésion de tout notre être, l'unité - même passagère autour du noyau de notre désir. Et ce désir est une évolution de toute notre personne qui cherche la joie dans la paix de tout l'être et non pas la satisfaction d'un plaisir partiel. Cette joie dépasse le plaisir d'avoir un mouton retrouvé... II laisse alors deborder sa joie après l'angoisse et l'inquietude.