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Citations sur Mal élevé (11)

Bonne nouvelle : il n’y avait personne dans la voiture. J’ai
annoncé à Sandrine que nous allions devoir nous passer du
cadeau de ses parents, ce qui, au fond, m’arrangeait, puisque
l’inspiration m’arrive souvent lorsque je lave la vaisselle.
C’est ma mère qui me disait, le jour où elle s’est enfuie de
la maison, qu’on réussissait toujours à extraire du positif des
situations difficiles.
Une dame parlait au téléphone, appuyée sur le coffre de la
voiture. Je me suis approché d’elle, bousculant quelques écornifleurs
fascinés par les sièges en cuir défoncés, par la portière
arrachée ; la chose, tout de même, était spectaculaire. Rassuré
de savoir qu’elle discutait avec un garagiste et non avec la
police, j’ai attendu qu’elle termine son appel et je me suis présenté.
Elle s’appelait Hélèna, et sa main était froide et molle.
L’incident ne semblait pas l’avoir bouleversée. À voir son
visage, dont les orifices étaient désalignés à la suite de quelque
chirurgie ratée, elle avait connu pire. M’observant par un de
ses trous de nez, elle m’a expliqué qu’elle engueulait toujours
son mari parce qu’il a l’habitude de garer sa voiture un peu
n’importe où, illégalement ou pas, plus préoccupé d’arriver à
l’heure à ses rendez-vous louches ou à leurs traitements au
Botox qu’à respecter les lois. Sandrine, meilleure que moi en
relations publiques, a pris ma relève pour converser avec la
dame, avant que j’aie pu avoir des détails sur ces rendez-vous.
J’imaginais une bande de malfrats défonçant le garage, y
détrui sant tous mes instruments de musique et me coupant
une oreille avant de repartir. Hélèna nous a présenté, parmi la
foule, le personnel et les habitués du café Vernazza, d’où elle
arrivait.
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À vrai dire, c’est plutôt étonnant que l’album marche au Québec. Tout le monde ici écoute les mêmes vieilles chansons depuis trente ans, maintenant chantées par des jeunes qui veulent plaire aux mononcles puis aux matantes.
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Avec n'importe laquelle des autres filles, rien que de savoir que son père fabriquait son vin aurait été une raison suffisante pour
la quitter. Mais je ne m'étais encore jamais rendu à l'étape de rencontrer les parents. Avec Sandrine, je me disais que ça devait être un test, une façon de savoir si je tenais vraiment à elle. On m'a tendu un verre alors que nous sortions à peine du taxi, il m'a fallu boire la première gorgée pendant que le beau-père me regardait sans dire un mot. Sans doute était-ce un genre d'initiation vulgaire, une façon d'être accepté par la famille, comme d'autres mêlent leur sang ou se suicident en groupe. Voyant que je ne vomissais pas son vin rouge pétillant, moussu et parsemé de corps étrangers, il s'est empressé de remplir mon verre à ras bord. Et, pour souder davantage cette amitié naissante, il m'a traîné dans le garage pour dévoiler, devant mes yeux faussement éblouis, sa collection d'outils. Un cauchemar.
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J’ignore si c’est l’odeur du café ou les bruits qui m’ont réveillé,
mais c’était samedi et je n’avais pas l’intention de me lever
si tôt. J’ai tâté l’autre côté du lit, Sandrine n’y était pas. Puis,
sentant une présence dans la chambre, j’ai tourné la tête pour
constater que Laurie était là, à me regarder le derrière comme
s’il était à vendre. J’ai grogné, cherchant à tâtons les couvertures
sans rien trouver, le soleil dans les yeux, essayant de comprendre
ce qu’elle faisait là. Puis Francis est venu la rejoindre,
suivi de Manu, qui s’est empressé de sortir un appareil photo
de son sac en bandoulière pour immortaliser le moment. Mes
fesses, en gros plan. J’ai lancé les deux oreillers sans faire de
victimes.
Je me suis retrouvé je ne sais trop comment dans le garage.
À moitié habillé, une grande tasse de café à la main et ma
guitare au cou. Trente secondes pour me rendre au local de
répétition, alors qu’avant j’en avais pour une heure à voyager
dans la chaleur étouffante du métro, un étui de guitare dans
chaque main, pressé de questions par des néophytes curieux
à l’haleine pas toujours fraîche. Et, enfin, je pouvais boire du
vrai café. Rien à voir avec celui de la distributrice à l’entrée
de notre ancien local, un arrache-tripes amer dans lequel une
étrange poudre blanche tenait lieu de crème.
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« Quand on vit à deux, c’est important qu’on ait chacun son
côté du lit. Pour éviter qu’on se retrouve avec le cadran de
l’autre qui nous réveille pour rien, pour pas avoir à chercher
nos livres de chevet, tout ça. »
Je la regardais sans savoir quoi dire. Elle m’a demandé
d’y penser. Je me suis plutôt caché dans une autre pièce pour
appeler Daniel : « Effectivement, les filles sont catégoriques
là-dessus. Il faut que tu choisisses un côté du lit, mon vieux.
Si tu veux lui faire plaisir, prends celui du côté de la porte de
chambre. Elle va se sentir protégée, si jamais un voleur entre
chez vous. » Ah bon.
Je suis retourné voir Sandrine et je lui ai dit que j’avais
décidé. Elle m’a guidé jusqu’au lit en me tenant par la main.
Je lui ai montré mon choix, le côté le plus près de la porte.
Elle a souri en approuvant, ravie de savoir que c’est moi qui
me prendrais le poignard dans le ventre en cas d’agression.
Elle a pu disposer son réveil, une pile de livres, un calepin,
des stylos, une boîte de papiers mouchoirs, un carton plastifié
d’examen mammaire et quelques crèmes en pots sur, sous,
dans et autour de sa table de chevet.
Elle a posé un chien grisâtre et difforme de son côté du
lit. Il me regardait piteusement de son oeil encore valide. À
trente-deux ans, j’allais partager mon lit avec une saleté en
peluche.
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Sandrine passait et repassait devant moi. J’étais fasciné
par ma découverte : les filles sont capables de faire cinq choses
à la fois. Tout en parlant au téléphone, elle fouillait dans les
boîtes à la recherche d’objets qu’elle rangeait dans la salle de
bain, cherchait l’horaire d’un film sur Internet et regardait
comment sa nouvelle blouse soulignait ses seins dans le grand
miroir du corridor. Elle a retiré son soutien-gorge, sans se
débarrasser de sa blouse ni interrompre la conversation. Elle
a ramassé la boule de papier tombée par terre et en a lu le
texte. Elle a grimacé avant de mettre la feuille aux poubelles.
Je me suis tout de suite senti mieux, j’ai ouvert une bière pour
fêter ma libération. Sandrine s’appliquait du rouge à lèvres en
observant ses fesses dans le miroir. Elle a posé une main sur
le téléphone, pour que Fred ne l’entende pas me demander :
« Trouves-tu que j’ai un gros cul là-dedans ? »
Ce n’est pas tant la réponse à cette question qui importe –
il n’y en a qu’une seule – que le temps mis à y répondre. D’un
air étonné, dans le délai acceptable d’un millième de seconde,
je lui ai fait comprendre qu’elle était folle de se questionner
ainsi : « T’es complètement bandante. » Pour quelqu’un qui
n’avait jamais vécu en couple, je me débrouillais plutôt bien.
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J’ai les muscles en inox
mais ton coeur qui me boxe
me secoue l’estomac
et me sort du coma.
Mauvais.
Indéniablement mauvais. Cette chanson était minée par
un cancer qui se répandait dans la moindre de ses syllabes.
Je trouvais chacune de ses phrases insignifiante, la mélodie,
mièvre. J’ai froissé la feuille jusqu’à en faire une boule et j’ai
visé la poubelle : elle tombe dedans, je l’oublie ; elle tombe à
côté, je continue.
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Le garage tout en blanc. Puisque c’était la seule pièce pour
laquelle nous étions d’accord au sujet de la décoration, c’est
la première que nous avons peinte.
Le prix de l’appartement, y compris le garage, nous avait
paru tellement bas que c’en était suspect. Alors je m’étais
renseigné. Le dernier locataire, un vieillard, y avait habité
trente-six ans, en plus d’être un bon ami du propriétaire de
l’immeuble. D’où les augmentations de loyer peu fréquentes.
Voyant qu’il devenait de moins en moins autonome, ses
enfants avaient décidé de l’abandonner dans un centre d’accueil.
Voilà pour l’histoire officielle. Ça ne servirait à rien que
Sandrine – qui croit aux fantômes – apprenne que l’octogénaire
est mort d’un accident dans le garage, vidé de son sang,
la main tranchée par une scie ronde. Son cadavre n’avait été
découvert que trois jours plus tard, preuve qu’il avait fait un
bon travail en insonorisant les murs. C’était d’ailleurs ce qui
m’avait attiré ici : la possibilité de transformer le garage en
local de répétition, de ne plus avoir à fréquenter des studios
glauques et mal chauffés à des kilomètres de chez moi. J’ai fait
promettre au propriétaire de l’immeuble de taire la tragédie à
Sandrine et, pour ma part, je ne lui dirai rien, sauf, peut-être,
sous la torture (Wilfred Le Bouthillier).
Ne reste plus de lui qu’une odeur de pipe incrustée dans
les murs et une immense tache sombre sur le plancher.
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Je me suis levé pendant la nuit, je transpirais tant que je me
suis demandé si je n’avais pas pissé sur le matelas. Je me suis
ouvert un chemin parmi les boîtes jusqu’à la cuisine pour boire
un verre d’eau. J’ai bu de longues gorgées, puis j’ai observé la
ruelle pour découvrir d’éventuels voisins à épier. Personne à
cette heure.
Je me suis collé le nez sous un bras. Oui, c’est bien moi
qui dégageais cette forte odeur d’oignons. J’ai cru pendant
un instant que mon père se trouvait dans la pièce. Ça m’a fait
grimacer.
J’avais envie de fumer, mais mon paquet de cigarettes se
trouvait dans une des boîtes encore fermées. Il ne restait plus
de bière. J’ai sorti la bouteille de vodka du congélateur et
j’ai observé la feuille retenue au frigo par un aimant. Depuis
quatre jours, je cherchais une rime avec « muscle » pour finir
ce refrain. En inversant ceci et cela, j’en étais arrivé à chercher
une rime avec « estomac », ce qui ne m’avançait pas du tout.
Maudit soit l’imbécile qui a décrété qu’un texte de chansons
doit rimer ! Qu’on le pende par le gland sur la place publique,
qu’on le branche sur un iPod qui diffuse en boucle les albums
de Wilfred Le Bouthillier ! Même Baudelaire, vers la fin de
sa vie, s’est converti aux poèmes en prose.
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Je décapsulais la première bière au moment où le lavevaisselle
a redescendu l’escalier. Il y a eu tout d’abord un
léger grincement, signe que l’appareil se dégageait, coincé qu’il
était entre le mur et la rampe depuis vingt minutes. Chacun se
demandait quoi faire, personne ne bougeait. Le vacarme a
débuté à l’instant où, puisque nous avions enlevé la porte pour
avoir plus d’espace, le lave-vaisselle atteignait sans encombre le
balcon et défonçait la balustrade en bois pourri. Et, ensuite, ce
court instant de silence alors qu’il fendait l’air chaud, avant
d’aller s’écraser un étage plus bas, dans un bruit délirant de
métal tordu s’éparpillant dans tous les sens. Puis, de nouveau,
le silence.
J’ai essuyé mes sourcils imbibés de sueur avec un coin de
mon t-shirt, puis j’ai posé la bière sur une pile de boîtes. Peu
pressé d’aller voir les dégâts.
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