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EAN : 9782021118896
250 pages
Seuil (16/01/2014)
3.5/5   9 notes
Résumé :
Petits et innombrables, les Insectes et autres Arthropodes terrestres forment une composante essentielle de la biodiversité et participent de manière décisive au fonctionnement des écosystèmes terrestres. Aussi leur étude a-t-elle joué un rôle pionnier dans le renouveau de la classification et dans l’observation des comportements animaux. Elle se retrouve en pointe dans des domaines de recherche tels que la biologie évolutive, l’écologie comportementale, la génétiqu... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Véritable réussite didactique, l'ouvrage de Jean-Marc Drouin, Philosophie de l'insecte, conviendra aussi bien à l'entomologiste amateur qu'au naturaliste confirmé. Réussissant à allier clarté et précision, l'auteur, historien et philosophe des sciences, propose de réaliser l'archéologie du concept d' « insecte » tel qu'il a été construit par les sciences naturelles, mais également par les sciences humaines et sociales. Aussi justifie-t-il le choix du titre de son ouvrage : « la Philosophie de l'Insecte n'est pas la philosophie des Insectes » (p. 11). Une philosophie de l'Insecte, avec la majuscule comme syncrétisme de tous les discours qui ont été produits sur les insectes, doit ouvrir l'Insecte au monde global (Welt) en tant qu'il est membre du règne vivant au même titre que tout autre animal, tout en s'assurant de tenir compte des singularités qui lui sont propres dans sa manière d'être-au-monde. En d'autres termes, il s'agira pour cette philosophie de questionner l' « Insecte » dans son amplitude propre à tendre vers l'existence.
Dans un premier temps, l'auteur examine la façon dont la science, et les scientifiques (entomologistes, biologistes, éthologistes, sociobiologistes), ont élaboré le concept d' « Insecte », ceci en mettant au jour l'ensemble des biais épistémologiques et culturels sous-jacents à sa construction. Jean-Marc Drouin commence par s'intéresser à la classification du vivant à partir de laquelle ce que nous nommons « Insecte » nous est apparu. Cette classification n'a pas toujours été identique à ce qu'elle est aujourd'hui. Il est possible de dérouler la longue série d'évolutions qu'elle a connu au fil des siècles, et il est étonnant à ce titre de constater que sous la classe des Insectes figuraient autrefois des espèces qui n'y figurent plus de nos jours. C'est ce qui fait dire à l'auteur que le concept d' « Insecte » n'a jamais cessé de se resserrer, pour, au départ, inclure les Arthropodes comme ce fut le cas dans la classification de Linné, et pour, à présent, n'inclure que l' « animal à squelette externe, possédant une tête, un thorax et un abdomen, trois paires de pattes, deux paires d'ailes (éventuellement atrophiées ou disparues), une paires d'antennes » (p. 38). Ainsi peut-on constater que toute classification du vivant est arbitraire et dépend de l'époque sous laquelle elle a été pensée ainsi que du scientifique qui l'a établie.
Certains naturalistes, comme Buffon ou Réaumur, ont privilégié les comportements déployés par les animaux à la classification anatomique telle que Linné l'avait élaborée. Selon Buffon, il est préférable de réunir des animaux dont les comportements se composent naturellement, comme c'est le cas pour le cheval et le chien, plutôt que de tenter vainement de regrouper des animaux à la morphologie similaire mais qui, néanmoins, ne partagent aucun espace commun, comme c'est le cas pour le cheval et le zèbre (p. 36).
Dans l'histoire de la classification, le darwinisme fit date en raison du fait qu'il intégra un nouvel élément dans la perception que l'on se faisait alors du vivant. Pour Darwin, la classification du vivant n'est pas arbitraire car elle doit retranscrire la véritable généalogie de chaque espèce, ce qui la distingue d'un simple travail d'ordonnancement du vivant tributaire du scientifique qui l'effectue (p. 45). La classification n'est plus simplement anatomique, comme pouvait l'être celle d'Antoine-Laurent de Jussieu ou celle de Georges Cuvier, mais elle devient généalogique, introduisant alors les schèmes de la théorie de l'évolution dans la façon de classer le vivant. Aujourd'hui, ce travail de classification a subi une nouvelle révolution en mobilisant les apports de la phylogénie dans sa compréhension des espèces. Cette révolution a été rendue possible par deux innovations que sont, d'un côté, le cladisme, qui est une redéfinition du darwinisme à l'échelle de la phylogénie, et de l'autre le courant de la biologie moléculaire, qui a permis de découvrir et de justifier l'histoire phylogénétique du vivant (p. 46).
Ensuite, après avoir passé en revu l'histoire de la classification des Insectes dans le règne vivant, l'auteur s'arrête sur le travail des entomologistes, et plus spécifiquement sur le vocabulaire utilisé pour décrire les comportements observés chez les Insectes. Il ressort du discours entomologique un anthropomorphisme évident, facilitant alors les usages de concepts tels que ceux de « guerre », de « société », de « métier », de « jeu », ou encore de « morale » pour caractériser des modes de vie Insectes (pp. 65-66). Ce détour par l'anthropomorphisme, précise toutefois l'auteur, n'est pas uniquement simplificateur à l'extrême et problématique pour la constitution d'une connaissance pleine et entière de son objet. le discours anthropomorphique, s'il pêche par une interprétation déformée de la réalité, au moins a-t-il le mérite de rendre vivant le monde des Insectes, un monde qui a le tort de rester trop souvent fermé sur lui-même de par notre éloignement vis-à-vis de lui (p. 68).
L'auteur ajoute qu'au problème de la classification du vivant s'adjoint une méconnaissance globale des Insectes, et c'est par ce point que Jean-Marc Drouin débute son ouvrage. La grande différence de taille qui nous sépare des insectes nous pousse fréquemment à idéaliser le mode d'existence de ces êtres qui nous demeurent parfois invisibles. Pour lutter contre ce penchant, on est souvent tenté, nous dit l'auteur, de ramener l'Insecte à une taille humaine, pour mieux vanter les performances de ce dernier. Cependant, cette réduction de l'Insecte à des proportions humaines ne fait pas sens, et ceci pour deux raisons.
La première est qu'on oublie de prendre les conséquences de la taille des insectes lorsque nous parlons de leur performance. Or, à tailles différentes, les performances des animaux doivent être physiquement identiques, étant entendu que ce qui permet aux fourmis de porter de lourdes charges n'est pas une force exceptionnelle mais bien plutôt un poids réduit. L'auteur nous renvoie donc à un simple principe d'égalité, à savoir le fait qu'en doublant sa taille, un insecte multiplierait sa force par quatre mais son poids par huit (p. 18). En pesant plus lourd, sa force serait ainsi relativisée à sa taille globale, ce qui contraindrait les fourmis à réaliser les mêmes performances que les êtres vivants de cette taille, et à Jean-Marc Drouin de conclure qu'une sauterelle ayant notre taille ne sauterait pas pour autant plus haut que nous (p. 19). Il est essentiel de prendre en compte le changement d'échelle qui a lieu dans ces jeux de perspective, car si la taille, le poids ou la force sont modifiés, les proportions entre ces trois variables continuent d'être identiques.
La deuxième raison qui fait de cette réduction de l'Insecte à l'Homme un non-sens, c'est que cette réduction empêche de comprendre que l'Insecte et l'Homme existent dans le même monde objectif (Welt), bien qu'ils possèdent tous deux des manières distinctes de s'y rapporter et des comportements particuliers pour l'habiter. de par son éloignement physique, nous avons tendance à penser l'Insecte dans une autre réalité que la nôtre. Or, refuser de penser l'Insecte dans notre monde, c'est refuser d'admettre qu'il est susceptible de se rapporter aux mêmes objets que nous. S'il est bien évident qu'il faut comprendre ce rapport aux choses comme existentiellement différent du nôtre (Umwelt), il n'empêche qu'il est nécessaire de penser le terreau ontologique originel au sein duquel nous prenons place et que les Insectes, au même titre que les Mammifères, habitent (p. 174).
Cette méconnaissance du monde des Insectes se retrouve également dans le langage utilisé pour en parler. Contrairement aux Mammifères, par exemple, où il est d'usage de les désigner par l'espèce à laquelle ils appartiennent -on parle de chat, de lion ou encore de panthères et non de félins (Felidae)-, nous renvoyons habituellement les Insectes à leur famille et non à leur espèce, comme c'est le cas pour les Coccinelles (Coccinellidae), les Mouches (Muscidae), ou encore les Fourmis (Formicidae), ce qui accentue, cela va sans dire, notre éloignement vis-à-vis d'eux (p. 70).
Un peu à la manière dont Derrida contestait l'usage généraliste du concept d' « animal », qu'il opposait au néologisme « animot » qu'il créa pour exprimer à la fois l'artifice du mot inventé par l'homme et le pluriel qu'il est supposé traduire, Jean-Marc Drouin souhaite dégager la diversité contenue sous le concept d' « Insecte ». Étymologiquement, insecte vient du latin insectum et du grec entomon qui désignent tous deux le fait d'être coupé. L'Insecte est donc historiquement désigné par une caractéristique physique, à savoir celle d'avoir la tête, le thorax et l'abdomen divisé en trois parties visiblement distinctes. Cette désignation morphologique permet d'expliquer la raison pour laquelle l'opinion commune a souvent pris pour habitude d'intégrer à la classe des Insectes des espèces qui n'y figurent pourtant pas, comme les Araignées ou les scorpions. En effet, ceux-ci, appartenant à la classe des Arachnides, présentent également un corps visiblement segmenté (p. 34).
Enfin, l'ouvrage se termine en ouvrant sur la dimension éthique que renferme le discours entomologique, et plus largement celui d'une science naturelle qui serait à l'écoute des interactions se produisant quotidiennement entre différents individus du règne vivant. Si Émile Blanchard proposa une lecture particulièrement anthropocentré de l'entomologie en tant que savoir stratégique permettant de se prémunir des Insectes, les sciences naturelles peuvent également dégager les conditions de possibilité d'une politique de coexistence pacifique entre Insecte et Homme (chapitre 6). Cette diplomatie, pour reprendre les mots de Baptiste Morizot, est délicate à réaliser dans la mesure où certains Insectes sont transmetteurs de maladie, comme dans le cas du paludisme où la nature des relations entre Moustique et Homme est essentiellement agonistique. La mise en place d'une politique d'équilibre des biotopes entre Insecte et Homme passerait alors par un décentrement nécessaire de l'Homme dans le monde, ce qui le conduirait alors à le penser, lui, et non plus le Moustique, comme le vecteur de contamination, étant entendu que pour infecter l'Homme, un Moustique a besoin de piquer un corps déjà atteint par la maladie (pp. 134-135).
Partant de cette perspective décentrée, Jean-Marc Drouin propose d'élaborer, pour qualifier nos interactions avec l'Insecte, un langage qui ne serait plus celui de la guerre. Pour ce faire, il dégage deux pistes qui, toutes deux, ont le bénéfice d'ouvrir le discours scientifique sur un vocabulaire apaisé. Citant Michel Serres, l'auteur nous dit qu'il serait bon de faire succéder au vieux contrat social mettant en scène un sujet rationnel en proie à des intérêts privés, un contrat naturel qui ferait alors appel à d'autres catégories que celles supposées par la « maîtrise et la possession », telles « l'écoute admirative, la réciprocité, la contemplation et le respect » (Le Contrat naturel, 1990, p. 67, cité par l'auteur p. 182). Retrouver la naïveté face à une nature qui s'est longtemps passée de nous et qui ne cessera pas d'être après notre mort, voilà ce que l'étude du monde mystérieux de l'Insecte permet de provoquer sur les consciences individuelles. Et à ce titre, l'ouvrage de Jean-Marc Drouin est une réussite en la matière, car de par son style clair et son exposé efficace, le lecteur ne peut que se sentir concerné par le sort secret des Insectes qui ne doivent pas être exclus de notre sphère de considération morale.
Introduction, pp. 7-12 ; Remerciement, p. 185 ; Notes, pp. 187-209 ; Bibliographie, pp. 211-240 ; Index, pp. 241-250, Table, p. 251.


Références :

ISBN : 978.2.02.111889.6
Type de document : Monographie
Titre : Philosophie de l'Insecte
Auteur principal : Jean-Marc Drouin
Ville : Paris
Éditeur : Seuil
Date de publication : 2014
Nombre de pages : 254 p.
Support : Document imprimé
Collection : Science ouverte
Langue : Français
Mots clés : Animal, Entomologie, Biologie, Comportement, Épistémologie.
Notes : Introduction, pp. 7-12 ; Remerciement, p. 185 ; Notes, pp. 187-209 ; Bibliographie, pp. 211-240 ; Index, pp. 241-250, Table, p. 251
Lien : http://laphilosophie.over-bl..
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Ce petit livre aurait du s'appeler introduction à la philosophie de l'insecte car malgré les nombreuses notes (20 pages), la bibliographie copieuse (40 pages) et l'index détaillé (10 pages), l'auteur ne fait que survoler le sujet.

Malgré tout, c'est agréable à lire et il donne des pistes pour approfondir le sujet.
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critiques presse (1)
Telerama
29 janvier 2014
Si Drouin situe les insectes dans la nature et notre imaginaire, Didi-Huberman compare la fragilité des images à celle d'un papillon.
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (2) Ajouter une citation
Ni tout proches de nous, comme le sont les vertébrés à sang chaud (Mammifères et Oiseaux), ni radicalement autres comme peuvent l'être les végétaux, les Insectes s'offrent à l'investigation scientifique, à la création esthétique et à la réflexion philosophique.
page 184
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« la Philosophie de l'Insecte n'est pas la philosophie des Insectes » (p. 11)
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