Je ne vais évoquer dans ce commentaire qu'une des oeuvres de ce volume, la pièce de théâtre Un homme est venu me voir.
Commencée sans doute en 1965 et terminée au début de 1967, Un homme est venu me voir paraît en 1968 dans le tome II du Théâtre chez Gallimard. La pièce n'a été portée sur scène qu'en 2000, c'est à dire après la mort de l'auteure, ce qui montre à quel point qu'elle a reçue peu d'écho, sans doute parce qu'elle est assez atypique dans l'oeuvre de
Marguerite Duras.
C'est en effet une oeuvre politique, qui évoque des événements réels, et qui est d'une certaine manière une oeuvre engagée. Il s'agit d'un face à face entre deux hommes, un a été le bourreau et l'autre la victime, interné dans un camps d'où il a pu s'échapper. Nous sommes chez
Duras, c'est à dire que les choses sont forcément floues et symboliques, plus que descriptives et précises, mais la pièce évoque les procès de Moscou, et les exactions du Parti. On peut rappeler que
Duras a fait un passage rapide au parti communiste, dont elle a été exclue en 1950, s'étant opposée avec d'autres à la conception de la littérature proposée, ou plutôt imposée par Jdanov (le fameux réalisme socialiste). Elle a donc vécu ce type de processus de l'intérieur, du côté des victimes, même si c'était forcément plus confortable en France. Mais elle a eu le sentiment d'avoir vécu un procès stalinien, dans le rôle de l'accusée.
Sa pièce se situe 18 ans après les procès de Moscou (qui ont eu lieu entre 1936 et 1938), et évoquent la manière dont les victimes sont rendues complices de leur condamnation, avec les aveux forcés, les confessions publiques. Il ne s'agit pas seulement de condamner, l'éliminer, mais aussi de faire participer la victime au processus, d'obtenir sa collaboration à son propre anéantissement, qui au-delà d'un anéantissement physique doit être aussi annihilation de la volonté, adhésion à sa propre déchéance.
Steiner, l'homme qui a pu s'échapper, reçoit la visite d'un homme qui a été parmi ceux qui l'ont condamné. Ce dernier est venu demander encore une fois à Steiner de rendre service, de participer, d'être de leur côté. Il s'agit d'identifier un ancien tortionnaire, qui sait trop de choses, qui peut devenir gênant, et le jeter à l'opprobre générale. Steiner s'est installé dans une vie confortable, s'est bâti une autre existence. Mais une sorte de complicité immédiate s'installe entre les deux hommes, jusqu'à la révélation finale.
C'est vraiment une excellente pièce, très efficace dramatiquement, le face à face est très fort. J'ai du mal à comprendre pourquoi elle n'a pas eu plus de succès, sans doute parce qu'elle est très loin de l'univers habituel de
Duras.